Politiques monétaires : les banques centrales sous pression

Asset Management - Célébrées pour leur soutien sans faille aux politiques fiscales pendant la pandémie, la Fed comme la BCE sont désormais sous pression. Et leurs politiques monétaires ne sont pas seules en cause.

Depuis le début de la pandémie, la Fed et la BCE ont été au rendez-vous, et de quelle manière : taux réduits à zéro aux Etats-Unis, maintenus négatifs en zone euro, 1 850 milliards d’euro de programme d’urgence pandémie à Francfort, et 120 milliards de dollars par mois à Washington… dont 40 milliards pour les seuls achats de titres de créance obligataire !

Réouverture de l’économie

Les louanges des autorités budgétaires des deux côtés de l’Atlantique ont été unanimes, à la hauteur du soulagement procuré par la certitude que les déficits fiscaux massifs (15 % du PIB aux Etats-Unis et presque 10 % en zone euro) seraient financés sans coup férir par les grands argentiers. Main dans la main, dirigeants politiques et banquiers centraux ont traversé unis la tempête CoVid.

La réouverture graduelle, puis de plus en plus rapide des économies, a mis fin à l’état de grâce. Dès le printemps 2021, les premières pénuries et accrocs dans la chaîne logistique mondiale se sont manifestés, faisant grimper par exemple le prix du bois de construction de plus 50 % en deux mois, entre le 1er mars et le 1er mai 2021.

Inflation transitoire… vraiment ?

Depuis, les hausses de prix se sont généralisées, du transport maritime, ferroviaire ou routier, à l’énergie — pétrole et surtout gaz et électricité, en particulier en Europe — et touchant désormais le logement et les prix de certaines denrées agricoles. Au total, l’inflation atteint désormais 3,4 % en zone euro (hors tabac) et 5,4 % aux États-Unis.

Or le mandat des banques centrales reste articulé — uniquement pour la BCE et partiellement ou indirectement pour la Fed — autour de la maîtrise de l’inflation. Faut-il donc non seulement réduire les achats d’actifs, ce qui s’impose doucement au fur et à mesure de l’accélération de la croissance, mais aussi remonter les taux, au risque de faire exploser la charge de la dette, publique comme privée ?

Et cela, alors que les projets de dépenses publiques restent immenses, des 3 500 milliards de dollars sur les infrastructures aux Etats-Unis aux colossales ambitions climatiques européennes ! La parade des banquiers centraux est toute trouvée : l’inflation est temporaire, inutile donc de se précipiter au risque de casser la croissance. L’erreur de la BCE en 2011 — qui remonta ses taux par deux fois avant de faire machine arrière en catastrophe — est encore dans toutes les têtes.

Tensions politiques en coulisse

Cependant les interrogations demeurent et la pression monte : lorsque le prix des loyers progresse de 0,5 % sur le seul mois de septembre aux Etats-Unis ou que les prix à la production grimpent de 14,2 % en rythme annuel sur le même mois en Allemagne, les partisans d’un changement d’orientation rapide se sentent pousser des ailes.

A ces doutes « techniques » viennent s’ajouter une situation politique de plus en plus complexe. En Europe, l’annonce, le 20 octobre, de la démission de Jens Weidmann, le très orthodoxe président de la Bundesbank, a mis en lumière les dissensions au sein de l’institution européenne.

Or, la cour constitutionnelle de Karlsruhe n’a pas abandonné toute velléité de contrôle du respect strict de son mandat par la BCE. Sa dernière tentative, en mai 2020, s’est heurtée à la volonté politique forte de Berlin. Mais Angela Merkel est sur le départ, et les libéraux du FDP seront sans nul doute exigeants au sein de la future coalition de gouvernement.

Etats-Unis, la quête de l’unanimité

Aux États-Unis, la situation est encore plus tendue. Deux membres du comité de politique monétaire, Eric Rosengren de Boston et Robert Kaplan de Dallas ont dû démissionner en septembre après avoir effectué des transactions financières pour leur compte avant des décisions majeures de la Fed. Richard Clarida, très estimé vice-président de la Fed et même Jerome Powell lui-même sont sur le grill.

Un renforcement des règles sur les transactions personnelles a été annoncé mais cela suffira-t-il à calmer les accusateurs, au premier rang desquels la sénatrice Elizabeth Warren, pivot progressiste de la fragile majorité démocrate de Joe Biden ? Jerome Powell joue sa reconduction, en février prochain, à la tête de la Fed. Et sa proximité avec les grandes institutions de Wall Street — accusées de faire pression pour ne pas renforcer la réglementation prudentielle — n’arrange rien à l’affaire.

Les divisions du parti démocrate pourraient cependant jouer en sa faveur, nul candidat — même Lael Brainard — ne semblant faire à ce stade l’unanimité en son sein. Les marchés seront très attentifs à ces développements : ils n’apprécieraient pas une instabilité de la banque centrale des Etats-Unis et du monde alors que celle-ci doit négocier un tournant délicat !

Wilfrid Galand - Montpensier Finance

Directeur Stratégiste

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