Politique monétaire : le dilemme de la Fed

Asset Management - La Fed est confrontée à un dilemme : alors qu'elle a changé ses « forward guidance » à Jackson Hole en introduisant un objectif moyen d'inflation, ses prévisions montrent une inflation qui reste sous les 2 % jusqu'en 2023. Les mesures non-conventionnelles prises pendant la crise du Covid sont certainement un avant-goût. Les explications de Stéphane Déo, Stratégiste à la Direction de la gestion chez La Banque Postale Asset Management.

La Fed a, comme attendu, laissé ses taux directeurs inchangés avec un objectif à 0 % – 0,25% et n’a pas annoncé de mesures de politique monétaire additionnelles. En revanche, après le discours de Jackson Hole, et l’adoption d’un objectif d’inflation moyen, elle a précisé (un peu) sa pensée. Elle a lié la remontée des taux à l’évolution du marché de l’emploi.

Définir le plein emploi

Les taux resteront inchangés « jusqu’à ce que le marché de l’emploi aura atteint une situation compatible avec l’évaluation faite par le Comité du niveau de plein emploi et jusqu’à ce que l’inflation aura atteint 2 % avec des perspectives de dépasser modérément les 2 % pendant un certain temps ». Précision qui n’en est pas vraiment une, puisque la notion de plein emploi est plus que vague. La phraséologie sur l’inflation ouvre là aussi la porte à beaucoup d’interprétations. 

A retenir donc : les deux variables principales sont l’inflation et le marché de l’emploi — mais ça nous le savions depuis belle lurette — et la Fed s’est acheté une marge de manœuvre considérable pour repousser la remontée des taux. Les marchés ont d’ailleurs salué l’initiative et les attentes d’inflations ont progressé. Preuve que l’annonce de la Fed est crédible, au moins en partie.

Quelles règles pour l’inflation ?

Petit cas pratique avec le dernier cycle sur les Fed funds : le graphique ci-dessous montre que la première hausse de décembre 2015 ainsi que la suivante un an plus tard n’auraient pas eu lieu d’être, l’inflation était toujours sous les 2 %. Les deux suivantes auraient aussi probablement été repoussées, l’inflation n’ayant pas dépassé les 2 % « depuis un certain temps ». On ne ré-écrit pas l’histoire, mais le resserrement monétaire aurait donc probablement débuté deux ans plus tard.

Et cela illustre à quel point ce changement de règle est impactant ! Reste le sujet qui fâche : que faire ? Pour l’instant la Fed nous a dit qu’elle voulait plus d’inflation, et même une inflation temporairement au-dessus de son objectif de 2 %. Mais il faut remarquer qu’elle n’y croit pas elle-même, comme le montrent les prévisions économiques publiées. Le graphique ci-dessous donne la projection médiane, tout comme la « tendance centrale » qui restent sagement sous les 2 % jusqu’en 2023. Pas de dépassement donc.

Baisse des taux peu probable

Si la « forward guidance » ne suffit pas, il faudra alors que la Fed agisse pour pousser l’inflation plus haut. Et pour l’instant, elle n’a pas dit quelles mesures additionnelles elle comptait prendre. Une baisse des taux semble difficile, la structure du marché monétaire aux Etats-Unis fait qu’avec des taux négatifs ce marché pourrait s’avérer dysfonctionnel d’où la grande réticence de la Fed pour les taux négatifs. Augmenter le QE ? Il est déjà illimité, donc infini, difficile de faire plus.

A noter d’ailleurs, les TIC viennent d’être publiés — il s’agit des statistiques de détention de dette américaine par les étrangers. La détention de Treasury par la Fed dépasse maintenant la détention de Treasury par l’ensemble des banques centrales mondiales. Et c’est plus qu’une anecdote. Cela illustre que la menace de vente de Treasury par la Chine est très peu crédible : si elle le faisait, la Fed serait complètement en mesure d’acheter le papier, et donc de neutraliser totalement les effets de l’opération.

En conclusion

Si l’inflation ne progresse pas, ou si elle progresse comme dans les projections de la Fed, la banque centrale devra alors avouer que son objectif n’est pas atteint. Les forward guidances seraient alors insuffisantes et il faudra s’attendre à des mesures additionnelles. La baisse des taux ne semble pas une option crédible, le QE est déjà à son maximum.

Il faudra alors inventer encore de nouvelles mesures. La panoplie mise en place pendant la période covid (facilité de financement pour le papier commercial, mutual fund liquidity facility, et autres QE sur le crédit) sera très certainement pérennisée et augmentée. C’est là qu’il faut regarder pour avoir une idée de la prochaine phase d’assouplissement monétaire.

Stéphane Déo

Stratégiste au sein de la gestion à la Banque Postale Asset Management.

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