Politique monétaire : coup de Trafalgar de la Banque d’Angleterre

Asset Management - Finalement, la Banque d'Angleterre (BoE) ne relèvera pas ses taux directeurs. Quelles seront les conséquences sur les marchés de ce retour d'une politique monétaire accommodante ? L'éclairage de Karamo Kaba, Directeur de recherche économique chez Ecofi.

Alors qu’elle avait préparé les esprits à un relèvement immédiat de ses taux directeurs, la Banque d’Angleterre (BoE) s’est finalement ravisée au dernier moment. Par une majorité de 7 voix contre 2, la BoE a dévié de sa position, douchant au passage les anticipations des investisseurs en dépit d’un ton pourtant resté accomodant.

Même si des hausses de taux sont promises dans les mois à venir ou que la Réserve fédérale (Fed) a confirmé le début de la phase de réduction de son programme de rachats de titres (Tapering), les rendements des emprunts Gilts ont fortement reflué, jusqu’à -19 points de base (pbs) pour le Gilt à 10 ans (à 0,848 %).

Anticipations des investisseurs

Comme il fallait le craindre, c’est sur les échéances à court terme que les reflux ont été les plus importants comme nous avons pu nous en apercevoir sur le rendement du taux à 2 ans (-26 pbs à 0,426 %). Ce mouvement traduit l’ajustement des anticipations des investisseurs sur le rythme rapide des relèvements de taux directeurs anglais.

Dans ces conditions, le consensus table désormais sur une hausse cumulée de 90 pbs d’ici fin 2022 contre 120 pbs avant la réunion de la BoE. Et compte tenu de la révision à la baisse des prévisions de croissance (-0,2 point soit +7 % pour 2021 et -1 point soit +5 % pour 2022), il n’est pas du tout certain que la BoE puisse passer ces hausses de taux. Ce n’est donc pas une surprise si la livre a cédé énormément de terrain (-1,45 % sur la semaine, à 1,34941 dollar).

L’onde de choc de cette surprise de la BoE ne s’est pas cantonnée qu’au Royaume-Uni. Même les taux américains ont été aspirés à la baisse comme le témoigne le plongeon du rendement du T-Bond (-11 pbs sur la semaine, à 1,4548 %). Pourtant, rassurée par des créations d’emplois en nette amélioration (+531 000 postes supplémentaires en octobre, avec une révision des chiffres de septembre et d’août), la Fed a confirmé qu’elle réduirait ses achats mensuels de 10 et 5 milliards de dollars respectivement pour les Bons du Trésor et pour les titres hypothécaires.

Pénuries et marché du travail

Malgré cela, les investisseurs ont surtout retenu du discours du président Jerome Powell que le rythme anticipé des relèvements des taux de la Fed était sans doute exagéré, comme pour sa consœur anglaise. Il faut dire que plusieurs éléments vont inciter la Fed à la plus grande des prudences. Tout d’abord, les goulets d’étranglement persistent dans les chaînes d’approvisionnement, ce qui pèse sur la confiance dans l’industrie puisque l’indicateur avancé ISM manufacturier a interrompu en octobre (-0,3 point, à 60,8) deux mois consécutifs de hausse.

Ensuite, les effets de l’appréciation du dollar pèsent de plus en plus sur les exportations (-3,0 % en septembre), ce qui s’est traduit par une nouvelle dégradation à un niveau record du déficit commercial (à -80,9 milliards de dollars en septembre).

Enfin, l’amélioration sur le marché du travail — le taux de chômage est passé de 4,8 % en septembre à 4,6 % en octobre, avec une baisse du nombre de chômeurs de longue durée de 357 000 — cache de profonds problèmes. Cela concerne notamment la faiblesse du taux de participation en dépit de l’amélioration de la situation épidémiologique et surtout de l’arrêt des généreux programmes d’allocation-chômage attribués par l’Etat fédéral.

Opportunités et prises de risques

Il n’est donc pas certain que les pénuries dont se plaignent aujourd’hui 51 % des patrons de PME s’estompent. Cela devrait aider la progression du salaire horaire moyen (+4,9 % sur un an), ce qui va encore alimenter les inquiétudes sur l’évolution des prix. Le rapport d’inflation (attendu à +5,8 % sur un an en octobre) qui sera publié mercredi 10 novembre devrait montrer une nouvelle accélération.

Cependant, en dépit de ce contexte incertain, les actifs risqués ont été une nouvelle fois très recherchés, à l’image de l’indice CAC 40 qui, après sept séances consécutives de hausse, a établi un nouveau record (+3,14 %, à 7 045 points), dépassant au passage le seuil psychologique des 7 000 points. Les valeurs du luxe comme Hermès ou L’Oréal ont grandement contribué à cette embellie de l’indice phare parisien.

Mais plus généralement, la prise de risques a surtout profité des annonces de Pfizer, après ceux de Merck, sur la mise au point d’une pilule très efficace contre les formes graves de Covid-19. Cette annonce majeure a fait bondir l’action de Pfizer et entraîné une correction sur Moderna, BioNTech et Novavax.

Karamo Kaba

Directeur des études économiques

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