Pétrole : du risque à l’incertitude

Asset Management - L'attaque des installations pétrolières en Arabie saoudite début septembre incarne à la perfection ce que les analystes appellent un « Cygne Noir » sur les marchés. Comment mesurer la portée de cet événement sur les marchés financiers ? L'interventionnisme des banques centrales peut-il contrer un choc pétrolier ? Jean-Jacques Ohana, Responsable de la gestion d’actifs YCAP AM, partage son analyse.

L’attaque des installations pétrolières saoudiennes par des drones — et des missiles de croisière — marque un tournant dans l’ère des actes terroristes industriels. Tout d’abord, le caractère technologique et chirurgical de cette action met en évidence le terrorisme d’Etat, avec une atteinte claire à la souveraineté saoudienne et une intention de provoquer le plus de dégâts industriels possibles et visibles en un minimum de temps.

En quelques heures, c’est 5,7 millions de barils par jour de production pétrolières qui sont à présent retirés du marché. Soit la moitié de la production saoudienne et environ 5 % de la demande mondiale de pétrole. Cette attaque expose la fragilité des industries à caractère sensible, qui sont non seulement vulnérables à des catastrophes naturelles (Fukushima) mais aussi à des attaques ou à des sabotages terroristes.

Conséquences d’un « Cygne Noir »

Cet acte est clairement associé à un « Cygne Noir » sur le marché pétrolier, parmi les événements dont l’occurrence n’était même pas envisagée par les marchés financiers. La hausse du contrat Brent, le lundi 16 septembre, atteint 14 %, soit quasiment 6 écarts-types journaliers. C’est la seule hausse de cette ampleur depuis 2009 associée à un choc d’offre. C’est la plus forte et la plus brutale chute d’offre jamais enregistrée dans l’histoire de la production pétrolière.

La société pétrolière Aramco — dont l’introduction en bourse est plus que compromise — pourrait rétablir au moins 40 % de la production perdue d’ici la fin de la semaine et quasiment toute la production d’ici fin septembre. Cet événement soulève plusieurs points :

  • Le risque d’embrasement au Moyen-Orient est réel, tant l’implication de l’Iran parait évidente dans une action militaire si sophistiquée et si préparée. Même si l’Arabie Saoudite n’a pas intérêt à répliquer directement sur le territoire iranien mais plutôt au Yémen, le risque de conflit direct entre l’Arabie Saoudite et l’Iran ne peut être écarté.
  • L’implication éventuelle des États-Unis dans une riposte pourrait étendre le conflit, bien que le président Trump se soit montré plus prudent que d’accoutumée et que son aversion à des conflits militaires extérieurs au territoire américain soit bien connue, surtout à un an des élections présidentielles américaines.
  • La rencontre entre Trump et le président iranien en marge de l’assemblée générale de l’ONU semble compromise. Il faudra surveiller les éventuels revirements de l’administration Trump et voir comment la narration de l’acte terroriste évolue tant du côté saoudien que du point de vue américain.

S’adapter au choc pétrolier

Finalement, les questions liées à cette disruption sont bien plus nombreuses que les réponses que nous pouvons apporter. Nous ne savons donc pas grand-chose de l’impact éventuel à long terme d’un tel événement. Cependant, la dépendance de l’économie mondiale au pétrole s’est réduite ces dernières années.

Du point de vue de la liquidité, nous voyons deux stress significatifs au sein du système financier : la volatilité des prix du pétrole et la volatilité des taux d’intérêt. Bien que ces vulnérabilités restent cantonnées, l’Aversion au Risque Globale oscille depuis le début de l’année en territoire neutre. Le calme apparent des marchés dissimule des disparités de style et de secteurs significatives.

Ainsi, le rattrapage des valeurs décotées (style Value) est-il accentué en partie par le rattrapage des valeurs pétrolières. Aux États-Unis, les petites capitalisations (indice Russel 2000) et le crédit sont soutenus par l’envolée des cours du pétrole, ce qui permet aux petits producteurs pétroliers de recouvrer opportunément la rentabilité.

Rôle des banques centrales

Au niveau plus global, ce choc d’offre pétrolière intervient à un moment où la croissance mondiale est particulièrement fragile et où paradoxalement tous les actifs financiers ont énormément progressé, soutenus par l’activisme des Banques Centrales. La Réserve Fédérale a baissé ses taux de 25 points de base pour la deuxième fois en 2019, tandis que la BCE a utilisé toute la panoplie des outils monétaires à sa disposition lors de sa dernière réunion le 12 juillet 2019.

Toutefois, les Banques Centrales sont désormais dépassées par la rapidité et l’imprévisibilité de l’évolution géopolitique, du conflit commercial entre Chine et États-Unis — qui a montré des signes d’apaisement en septembre — jusqu’à la possibilité d’un conflit au Moyen-Orient. Les Banques Centrales seront désormais cantonnées au rôle d’observateur, contraintes d’en savoir plus avant d’agir.

Quelles perspectives sur les marchés ?

Pendant un certain temps, les marchés financiers seront livrés à eux-mêmes, dans un environnement hautement imprévisible où le risque est supplanté par l’incertitude, selon la distinction de l’économiste Franck Knight. Mais la reflation des actifs exceptionnellement élevée du début d’année appelle des prises de profit et une réduction du risque dans les portefeuilles.

Jean-Jacques Ohana - Homa Capital

CFA Directeur de la Gestion

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