2018 : Quelles perspectives pour le marché asiatique ?

Asset Management - Alors que débute 2018, les marchés du crédit asiatique et émergent présentent un visage bien différent de celui qu’ils ont pu avoir ces deux dernières années. Nous avons évolué d’un environnement où les spreads de crédit étaient vraiment attrayants, au regard de la probabilité de défaut, à une situation caractérisée par une compression considérable des spreads de crédit.

Selon nous, l’ampleur de ce mouvement est justifiée par la reprise économique mondiale en cours ; le renforcement des marchés de matières premières ; la réduction du nombre de dégradations des notes de crédit, les meilleures conditions macro en Asie ; et, enfin, l’énorme appétit des investisseurs pour les produits obligataires. Alors qu’il nous faut naviguer dans cet environnement de spreads de crédit plus faibles, la question clé que nous avons en tête est : où trouver désormais un potentiel de valorisation ?

Cette question n’est pas simple dans l’environnement actuel

  • La Federal Reserve a signalé son souhait de procéder à trois hausses de taux cette année
  • Il y a une possibilité de hausse des prix à la consommation
  • L’offre de “Treasuries” devrait doubler cette année.

Nous estimons que les ventes de Treasuries devraient dépasser un trillion de dollars en 2018, soit le plus haut niveau depuis 2010, en raison de la baisse de la détention d’obligations par la Fed et des déficits déjà sur le point d’augmenter, même avant la prise en compte de la réforme fiscale américaine.

Le “portage” est enfin de retour

Plus de dix ans après, le rendement des Treasuries deux ans revient au-dessus des 2%. Nous avons observé un fort aplatissement de la courbe des rendements des Treasuries depuis un an et nous pensons désormais que la courbe est à un niveau d’équilibre. La courbe est susceptible de s’aplatir encore au fil du temps, à mesure que les hausses de taux interviendront aux USA. Nous pensons que les investisseurs qui se sont détournés pendant des années des maturités les plus courtes peuvent maintenant profiter du portage des titres de crédit de duration moyenne, à la fois dans le segment investment grade et le high yield, sans trop de volatilité des cours.

A moins que les attentes sur la croissance mondiale ne se dégradent, ce qui conduirait à une baisse des rendements des Treasuries par rapport au niveau actuel à l’extrémité la plus longue de la courbe, nous pensons que le “portage” représentera l’essentiel de la performance pour les investisseurs en crédit cette année. Pour le dire autrement, les gains en capital ont des chances d’être sous pression. Nous profitons de cette opportunité pour examiner les tendances sous-jacentes du marché obligataire asiatique en dollars.

 

L’Evolution de la structure de marché

Une offre record en 2017, sans doute pas réitérable en 2018

Les émissions obligataires brutes en dollars en Asie hors Japon ont atteint un record l’an dernier, à environ 302 milliards USD, dépassant largement la plupart des estimations. Les entreprises ont profité de la faiblesse des spreads et des rendements d’Etat américains pour sécuriser leurs financements et rééchelonner leur dette. Un marché favorable sur les devises asiatiques a aussi contribué à soutenir les émissions en dollars pour les émetteurs souffrant d’écarts de valorisation sur leur devise. L’offrenette, après remboursements et coupons, a aussi atteint un record en 2017, à 170 Mds USD. Sans surprise, les émissions chinoises ont représenté plus de 65% de l’offre en Asie. En particulier, pour la première fois depuis 2004, les émissions souveraines chinoises ont atteint le seuil de 2 milliards USD. Le Ministère des Finances a émis des obligations 5 ans à 15 points de base au-dessus des Treasuries, alors que les obligations 10 ans ont été émises à 25 pb.

Ces deux points sont à l’intérieur de la courbe souveraine coréenne, notée AA, ce qui souligne les progrès réalisés par la Chine au fil des ans. Si sa taille reste modeste, cette émission symbolique est perçue comme un benchmark pour les émissions chinoises quasi-souveraines en devises étrangères. Par secteur, les financières ont été les plus larges contributrices, grâce à la Chine, là aussi. Postal Savings Bank of China a émis sa toute première Additional Tier I (“AT1”) en dollars : sa taille de 7,25 milliards en fait la plus importante jamais vue dans le monde. Les quatre grands gestionnaires d’actifs chinois à capitaux publics ont aussi été des émetteurs importants de l’année (environ 8,67 milliards USD émis par China Huarong AM en 2017). Dans le secteur privé, on doit à Alibaba une des émissions phares de l’année : 7 Mds USD, sursouscrite à hauteur de 46 Mds USD, ce qui illustre la forte demande pour les signatures asiatiques de qualité.

Dans le domaine du high yield, l’offre a surtout été tirée par les signatures de moindre qualité, avec un environnement économique favorable et des taux de défaut restant bas. Selon Moody’s, les émissions de qualité B1 et inférieures à fin octobre ont touché un record, représentant 68% de tout le high yield asiatique. Notamment, le chinois Evergrande Group (notation B3, augmentée à B2 depuis) a levé à lui seul 9,1 milliard d’obligations en 2017, quand l’indien Vedanta Resources a levé 2 Mds USD. Même Kaisa Group a réussi un appel au marché de plus de 5 Mds USD, l’essentiel étant certes destiné à financer la restructuration de sa dette. En excluant les émissions Evergrande et Vedanta, les émissions B ou inférieures représentent encore 55% du total des émissions asiatiques en high yield.

En 2018, l’offre brute devrait rester importante, à environ 245 Mds USD, pour des émissions nettes de remboursement et coupons de seulement 113 billion Mds USD. Ceci serait plus faible que les émissions nettes de 2017, le contexte de marché favorable l’an dernier ayant suscité l’avancement de certaines opérations prévues initialement en 2018. Comme en 2017, nous nous attendons à ce que la Chine soit le principal contributeur, en investment grade comme en high yield.

Une avancée clé est que la liquidité du marché “onshore” chinois s’est considérablement contractée en 2017. Cela a conduit à un rendement des obligations AAA supérieur d’environ 200 pb à celui du marché chinois offshore investment grade. Ainsi, pour une entreprise onshore, le marché obligataire offshore en dollars apparaît aujourd’hui bien plus efficient, surtout dans la perspective d’une stabilité du taux de change USD/CNY.

Alors que les volumes sur le marché obligataire onshore en RMB venant des promoteurs immobiliers est voué à augmenter en 2018 (39 Mds CNY) et 2019 (88 Mds CNY), nous pensons que lesdits promoteurs pourraient se tourner vers le marché obligataire en USD pour se refinancer. Qui plus est, après le 19e Congrès national du Parti communiste chinois, qui s’est tenu en octobre 2017, la Commission nationale pour le développement et la réforme (NDRC) a rapidement agi pour accélérer le processus d’approbation des obligations offshore en USD. Les émetteurs s’inquiétant d’une possible fermeture prochaine de cette opportunité, nous nous attendons à ce qu’une part importante des émissions chinoises prévues en 2018 intervienne dès le T1. Au-delà de la Chine, la tendance des émissions devrait selon nous se stabiliser dans des marchés importants comme l’Inde et l’Indonésie, avec des conditions de liquidité qui restent saines dans ces pays.

En plus des émissions “vanille” en USD, l’Indonésie tente d’introduire un nouveau format obligataire, le “komodo bond.” Il s’agirait d’une obligation globale, libellée en IDR (roupie indonésienne) mais dont les produits seraient réglés en USD. Ceci est similaire aux “masala bonds” que l’Inde a commencé à émettre sur les marchés mondiaux. Le marché du Komodo bond indonésien a vu apparaître une première émission en 2017, une émission à 3 ans de 4.000 Mds IDR (environ 280 millions USD) de la société étatique PT Jasa MargaPersero Tbk. Cette émission a suscité une demande finale de plus de 15.000 Mds IDR, ce qui souligne la forte demande pour de tels instruments de taux. En l’absence d’écarts de devises côté émetteurs, nous nous attendons à voir d’autres sociétés d’Etat, comme PT PLN ou PT Wijaya Karya suivre cette voie avec d’autres émissions de Komodo bonds. Ceci étant, nous pensons toujours que la croissance de cette classes d’actifs sera lente, la majorité des émissions globales restant au format « vanille » en USD.

Des facteurs techniques soutenus par une forte demande domestique

Dans le même temps, la structure de la demande a radicalement changé en Asie. Comme le graphique ci-dessous l’illustre, la part des investisseurs asiatiques au marché de la dette asiatique en USD a beaucoup progressé, de 44% en 2009 à plus de 75% du marché en 2017.

Ce phénomène est particulièrement évident pour les émissions chinoises, d’où la notion nouvelle de “China Bid”. Le “China Bid” désigne typiquement la demande émanant des fonds chinois (gestionnaires d’actifs domestiques, compagnies d’assurance onshore ou départements trésorerie des banques). C’est le groupe d’investisseurs qui croît le plus vite en Asie. Si le “China Bid” est un facteur technique bien établi soutenant les émissions chinoises offshore, des forces semblables sont à l’œuvre sur le high yield indien de bonne qualité ou les émetteurs du sud-est asiatique, ce que nous nommons collectivement l’ “AsianBid”. Nous pensons que cet “AsianBid” va rester très puissant en 2018, car il est soutenu par :

  • Une balance courante largement excédentaire dans de nombreux pays asiatiques
  • Un besoin d’opportunités d’investissement à l’étranger, étant donné le vieillissement rapide de la population dans les parties les plus développées de l’Asie
  • Le besoin des banques chinoises de diversifier leur exposition devises, surtout alors que les dépôts en dollars dans ces banques continuent de croître sur fond de fuite des capitaux
  • Un biais domestique de la demande des investisseurs locaux
  • Des obligations chinoises en USD vues comme une classe d’actifs cœur par les investisseurs chinois
  • Des opportunités d’arbitrage entre certaines obligations en CNY et en USD

À notre sens, cette croissance de la demande asiatique pour des instruments obligataires globaux est de nature structurelle, essentiellement soutenue par des tendances démographiques. Malgré le contrôle des sorties de capitaux par la Banque populaire de Chine, nous pensons que l’“Asian Bid” a peu de chance de s’évanouir et pourrait encore augmenter. Cet “Asian Bid” semble maintenant s’étendre à d’autres marchés de crédit à fort rendement, surtout dans les Etats du Golfe et en Amérique latine. Nous avons noté une forte augmentation du nombre d’émetteurs latino-américains en USD participant à des roadshows à Singapour ou à HongKong pour attirer des investisseurs asiatiques.

En réponse à une telle progression de la demande locale, des émetteurs asiatiques ont aussi ajusté leurs offres obligataires pour réduire les coûts liés aux tranches d’émissions 144A. Société Générale souligne que 70% des obligations asiatiques en USD sont désormais émises seulement au format Reg S, qui n’est pas disponible pour les investisseurs américains, lesquels peuvent seulement acheter des tranches 144A.

Deux émissions phares de plusieurs milliards de l’année ont ainsi été proposées seulement via des tranches Reg S, les émetteurs décidant que la participation d’investisseurs américains n’était pas nécessaire : l’obligation perpétuelle de 4.5 Mds USD de Softbank et l’obligation senior de 3 Mds USD de China Chemical. Selon les estimations de Lombard Odier utilisant les données Bloomberg, environ 20% des émissions asiatiques en USD de 2017 ont été réalisées avec des tranches 144A (en plus des tranches standard REG S), alors que le chiffre était de 48% en 2012. Hors émissions souveraines, le déclin serait encore plus prononcé.

Les investisseurs mondiaux restent sous pondérés sur l’Asie

Après 2017, les encours externes en dette émergente privée ont dépassé les 2.000 Mds USD, soit plus que le marché high yield US. En conséquence, on a vu une forte augmentation des capacités d’investissement dédiées aux corporates émergents.

Les flux des fonds étrangers vers la dette émergente ont dépassé les 100 Mds USD en 2017, contre seulement 43 Mds en 2016. Au sein des fonds de dette émergente gérés de manière active, les investisseurs sont nettement sous-pondérés Asie et surpondérés Amérique latine. Selon un récent sondage de JPMorgan auprès d’investisseurs institutionnels et d’entreprises exposés aux actifs émergents (127 investisseurs gérant 985 Mds USD d’actifs émergents ont été sondés) les investisseurs sont surtout surpondérés Mexique, Brésil, Argentine et Russie au sein des marchés émergents majeurs (par ordre décroissant de surpondération). Cette même base d’investisseurs est sous- pondérée sur tous les pays asiatiques à l’exception de l’Indonésie, qui est récemment passée de sous-pondération à surpondération. Toutefois, nous notons que le récent rallye du crédit latino-américain en 2017 a engendré un rétrécissement significatif du spread entre les marchés du crédit en Amérique latine et en Asie, à structure comparable.

 

Tendances dans les notations

Notation : vers une stabilisation des tendances après de nombreux mouvements parmi les souverains asiatiques

2017 fut une année clé pour les agences de notation en Asie avec des changements de notation pour les trois principaux pays. Côté positif, la note de l’Indonésie et de l’Inde a été relevée, après des développements économiques et politiques positifs. Au long de l’année, les deux pays ont œuvré à améliorer leur situation budgétaire, leurs économies continuant à croître à un rythme modeste par rapport à l’économie mondiale. Dès février 2017, Moody’s voyait des perspectives positives sur la note souveraine indonésienne, avant qu’elle soit réévaluée à BBB-/ Stable en mai par S&P. Depuis ceci, la note souveraine indonésienne est considérée comme investment grade par les trois principales agences. Moody’s a aussi surpris le marché en relevant la note de l’Inde à Baa2/Stable. Ces relèvements de note ont aussi conduit à ceux d’entités quasi-souveraines, dont PT Pertamina (Indonésie) et Indian Railway (Inde).

Au contraire, la note souveraine chinoise a été abaissée par Moody’s et S&P, sur l’argument de risques économiques et financiers accrus, avec des impacts en cascade sur les principales SOE (sociétés à capitaux publics) chinoises ou le gouvernement de Hong Kong (note abaissée de Aa1/AAA à Aa2/AA+). Ces dégradations ont été beaucoup commentées par la presse occidentale, mais ignorées par les marchés obligataires asiatiques, qui les ont considérées comme purement « cosmétiques ».

Au sein du crédit, les ratios abaissements/relèvements se sont normalisés après le pic de mi-2016, signalant des fondamentaux de crédit plus stables en Asie. En octobre 2017, Moody avait une perspective stable sur environ 88% des émetteurs IG et 68% des émetteurs HY. Nous pensons que les tendances en matière de notation vont se stabiliser en 2018 grâce à l’environnement macro favorable et à l’amélioration du profil de crédit des sociétés asiatiques.

 

 

Des défauts surtout idiosyncratiques

On a vu trois défauts sur le high yield asiatique en 2017, pour un montant obligataire de 1,6 Md USD, soit environ 0.9% au marché high yield asiatique. C’est nettement moins que les prévisions de Moody’s, qui tablait sur 2,9% pour 2017. Ces défauts ont été causés principalement par les échéances d’intérêts impayées de Global A&T Electronics (GA&T : 1,12 Md USD) et Reliance Communications (“RCom” : 300 M USD) tandis que MIE Holdings (MIE) a lancé une offre « distressed » sur son encours obligataire (environ 178 M USD). Notons de plus que Noble Group a entamé des négociations avec divers porteurs de parts en vue d’une restructuration, même si elles restent à conclure. En ajoutant Noble Group, le taux de défaut en année pleine atteindrait environ 2,3%. Ceci étant, comparés à d’autres pays émergents, les défauts asiatiques restent assez limités en nombre.

Si les défauts de GA&T et MIE étaient prévisibles, au vu d’un environnement sectoriel compliqué et des dernières décisions de gestion, la restructuration de RCom a pris les investisseurs par surprise. Jusqu’à mi-mai 2017, les obligations 2020 de RCom se traitaient encore au-dessus du par (env. 6% de rendement à maturité), lorsque la société travaillait à une fusion avec Aircel et à des ventes d’actifs pour réduire sa dette. Mais les choses ont vite basculé après un rapport de Debtwire indiquant que l’entreprise avait des échéances bancaires en retard et que la fusion était menacée. Le défaut de RCom est devenu un cas d’école observé de près sur la façon dont les créditeurs étrangers réagiront à la nouvelle législation indienne sur les faillites (votée en mai 2016). À notre sens, si la restructuration est menée de manière adéquate et équitable, cela pourrait constituer un précédent positif et les créditeurs internationaux pourraient se réconforter à l’idée que la restructuration d’une dette peut avoir une issue favorable en Inde. Un processus de restructuration réussi pourrait au final rendre le pays plus attrayant pour les investisseurs en dette high yield, à notre sens. En 2018, nous nous attendons à ce que le taux de défaut reste faible, à environ 1,0%. Alors que les besoins en refinancement obligataire seront significatifs en 2018, nous pensons que la dynamique de marché fournira aux entreprises asiatiques une bonne liquidité. Malgré des signaux de défaut en hausse sur le marché obligataire onshore chinois, la situation de l’onshore devrait rester gérable dans l’ensemble, sans se propager au marché offshore en USD, à notre sens.