Marchés obligataires britanniques : l’avertissement qui a retenti s’adresse à tous

Asset Management - Face à l'emballement des marchés obligataires, la Banque d'Angleterre (BoE) a conduit des opérations de rachat de titres. L'action des institutions britannique peut-elle enrayer la crise de confiance financière ? Le point avec Thomas Planell, Gérant – analyste chez DNCA Finance.

L’institutionnalisation du Trésor britannique remonte au-delà du XIe siècle, avant les conquêtes normandes. Outre-Manche, l’une des premières formes centralisées d’impôt, le Danegeld, a été créée par les Saxons pour les protéger des Vikings. En échange de ce tribut de protection, les clans nordiques épargnaient les côtes britanniques de leurs raids sanglants, qu’ils redirigeaient alors vers le littoral breton.

Les effets du « mini budget »

Sur les côtes de craie blanche du pays d’Albion, ce sont aujourd’hui les drakkars des investisseurs qui ont sévi, en répercussion du « mini budget » du nouveau Chancelier Kwasi Kwarteng. Parce qu’il n’a montré aucun effort de réduction des dépenses face à un son programme de baisse considérable des taxes (le plus important depuis 1972 !) au moment où ses finances sont déjà fragiles, le Trésor s’est attiré l’ire des Vikings des marchés de capitaux.

Le prélèvement de l’impôt est la prérogative régalienne primordiale de l’Etat : historiquement, c’est grâce à elle qu’on bat monnaie, qu’on lève et finance l’armée et les campagnes militaires, et surtout, par elle que l’on s’assure de sa crédibilité auprès des prêteurs privés ou publics. Gare à l’Etat qui ne parvient plus à convaincre qu’il dispose des moyens de vivre… au-dessus de ses moyens…

Face au dérapage des taux et au naufrage de près de 30 % des obligations du Trésor à 30 ans, la défiance fut telle que le préteur de dernier ressort, la Bank of England (BoE) a dû intervenir. Dans l’urgence, ce n’est pas le comité de politique monétaire mais la direction de la banque qui gère les opérations au jour le jour qui a réagi sans consultation du conseil des Neuf.

Crise de confiance financière

Mais à quel prix ?  Après avoir débuté avec du retard son calendrier de hausse de taux, la BoE, qui était censée démarrer l’assainissement de son bilan s’embourbe, à contre-courant du reste de la planète, dans un nouveau programme de quantitative easing qui ne dit pas son nom. En effet, afin de corriger ce qu’elle appelle alors un disfonctionnement du marché des Gilts, la banque centrale a conduit des opérations d’achat de titres dans le marché. Dans ce contexte de secours porté au Trésor, son indépendance, acquise en 1997, pourrait être contestée.

C’est une véritable crise de confiance financière qui s’empare aujourd’hui du Royaume-Uni. Elle rappelle celle des années 1970 : le pays avait alors demandé l’aide du FMI. Près de 4 milliards de dollars avaient été apportés, la ligne de crédit la plus importante jamais ouverte par l’institution. La situation du Royaume-Uni est certes particulière. Le Brexit a amplifié la crise logistique, le déficit de travailleurs et l’inflation par rapport au reste du monde. Aujourd’hui, les relations tendues avec l’Irlande du Nord ajoutent une composante territoriale et commerciale à la crise budgétaire que traverse le pays.

Face à ce cas particulier, l’action des institutions britanniques est plus incohérente qu’ailleurs. La politique monétaire se contredit : elle est restrictive sur les taux, expansionniste sur le bilan. L’austérité monétaire requise par l’emballement de l’inflation fait désormais face au creusement du déficit public par une baisse des taxes sans ajustement des dépenses. Cependant, malgré les caractéristiques particulières du cas anglais, il ne faut pas croire que le message limpide envoyé par les marchés ne s’applique pas ailleurs.

L’ombre de la récession

En cette période de repli de la croissance, de défis structurels, de remontée de l’inflation et des taux, le temps des largesses des deux dernières années est révolu. Les capitaux internationaux ne financeront pas aussi aveuglement que par le passé l’action publique. Ils ne tolèreront plus des taux nominaux significativement inférieurs à la somme de la croissance potentielle et de l’inflation de long terme, dont le régime est en train d’évoluer.

Par leur réaction les marchés obligataires nous signifient que l’idée d’un taux minimum d’emprunt requis pour prêter aux Etats n’est plus un fantôme du passé et qu’il est temps de tourner la page des taux structurellement bas ou négatifs. C’est la raison pour laquelle les Etats doivent mener une politique budgétaire en adéquation avec la politique monétaire. L’objectif primordial de cette dernière est aujourd’hui d’endiguer l’inflation. Cela ne se fera pas sans heurts.

Les gouvernements auxquels il manquera le courage de l’accepter (en se réfugiant dans les promesses de baisse de taxes ou d’acharnement thérapeutique vis-à-vis de l’économie) risquent de faire supporter un coup plus élevé encore à leurs administrés. En s’engageant dans cette voie le gouvernement britannique a mis en péril le système de retraite du pays, les fonds de pension comptant parmi les premiers détenteurs de Gilts. La baisse de la devise couplée à la hausse des rendements, quant à elle, aggrave et accélère le risque de récession.

Texte achevé de rédiger le 30 septembre 2022

Thomas Planell - DNCA

Gérant analyste

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