Marchés financiers : une reprise vraiment inhabituelle

Asset Management - Après la crise sanitaire et économique de 2020, la reprise pose un certain nombre de question. Quel impact à long terme pour les entreprises et la consommation ? Comment les Etats-Unis vont-il adapter leur politique budgétaire ? Les explications de Stéphane Déo, Stratégiste chez La Banque Postale Asset Management.

Intéressante étude de la Fed de San Francisco qui met des chiffres sur le risque de surendettement des entreprises, avec la conclusion peu rassurante que, sur certains aspects, la situation est pire qu’en 2008. Le rebond très marqué de la consommation en Europe porte plusieurs leçons : elle explique pourquoi la phase initiale du rebond était si forte mais aussi pourquoi elle n’est qu’en partie tenable.

Si beaucoup de risques demeurent, il ne faut pas oublier qu’il existe aussi de très forts aléas à la hausse. Donald Trump ne veut pas. Il a demandé d’arrêter les négociations sur un plan de relance, lequel plan nous semble in fine inévitable. La question est donc maintenant de savoir quel délai, ce report étant inquiétant pour l’économie, mais aussi bien sûr quel sera le contenu du plan.

Crise, les effets de long terme

Si la phase initiale du rebond économique post-confinement a été très impressionnante, il n’en demeure pas moins que la reprise sera alourdie par un certain nombre d’héritages. Un des éléments préoccupants est le niveau de dette des entreprises qui a beaucoup progressé et qui devrait limiter leur capacité de croissance. 

Voire pire : nous pouvons nous attendre à une vague de défauts dans les mois qui viennent. La Fed de San Francisco vient de publier un article sur le sujet. Ils utilisent une méthode habituelle pour cette approche en calculant la « distance au défaut ». Le résultat, s’il est intuitivement peu surprenant, a le mérite de mettre des chiffres précis sur le sujet. Le graphique ci-dessous résume le sujet.

Le point principal, au-delà de l’augmentation de la probabilité de défaut, est que la situation est comparable à 2008, voire pire pour certaines métriques. Par exemple les entreprises qui ont une probabilité supérieure à 70 % de faire défaut représentent 40,5 milliards de dollars — en dollars constants 2008 — soit le plus de deux fois le niveau atteint en 2008.

Nous entrons donc dans une phase ou un certain nombre d’entreprises vont certainement déposer leur bilan. La question alors est de créer assez d’activité dans d’autres secteurs pour compenser. C’est beaucoup plus compliqué que la phase initiale de la reprise et cela explique le temps qu’il faudra pour que l’économie revienne sur un chemin de croissance normal.

Consommation, l’impressionnant rebond

Les chiffres de ventes de détail en zone Euro ont été publiés. Le rebond est impressionnant : une baisse de 20,5 % sur les trois premiers mois de l’année, une hausse de 36,1 % depuis avec comme résultat une hausse depuis le début de l’année de 8,1 %.

Surtout il est incomparablement plus rapide que lors de la crise précédente où il avait fallu attendre 9 ans et 8 mois pour retrouver le niveau d’avant la crise. Cette fois il a fallu attendre … 4 mois ! Ces chiffres valent le détour car il y a trois leçons à en tirer :

  • Sur-ajustement : d’une part la phase initiale de la reprise, avec un rattrapage du retard, implique que certains secteurs vont sur-ajuster. C’est le cas de la consommation. D’où la violence du rebond ;
  • Pérennité : d’autre part, ce sur-ajustement n’est pas pérenne, lorsque le temps perdu durant le confinement sera rattrapé, la consommation devrait revenir sur sa tendance pré-crise ;
  • Aléa haussier : plus fondamentalement, la très forte progression du taux d’épargne des ménages pendant le confinement, il a plus que doublé en zone Euro, crée un aléa à la hausse très important. Si cette épargne forcée est consommée rapidement, en particulier si la pandémie s’estompe et si l’optimisme revient, le profil de la croissance pourrait être beaucoup plus dynamique. S’il existe un certain nombre d’aléas à la baisse sur le scénario économique, il ne faut oublier qu’il existe aussi de puissants aléas à la hausse.

La conclusion principale pourrait aussi et surtout être que cette reprise est totalement inhabituelle parce que cette crise l’est aussi. Il faut donc faire très attention aux comparaisons historiques.

Budget : Donald ne veut plus

Il se disait sur « the hill » que Nancy Pelosi avait cédé à la pression d’élus démocrates qui voulaient un accord sur un plan de relance pour être réélus. Et donc il y avait une volonté réelle d’arriver à un accord avant les élections. Donald Trump n’est pas d’accord, et a demandé à ses équipes d’arrêter les négociations. L’ironie est que la décision est arrivée quelques heures après le discours de Jerome Powell sur la nécessité d’un plan additionnel.

Il est toutefois très peu probable que ce plan additionnel ne voit pas in fine le jour, l’économie en a besoin, et nous imaginons mal la nouvelle administration faire l’impasse. Tout est alors une question de moyens et surtout d’agenda. Certains secteurs, comme le transport aérien, sont aux abois et ont besoin d’une perfusion rapidement.

De manière plus générale, la progression du chômage permanent, malgré la décrue du chômage total, place certains ménages dans des situations financières très compliquées et peu créer un effet boule de neige comme en 2009. Repousser un accord devient alors un sujet préoccupant. Le marché a d’ailleurs mal pris la nouvelle. La bourse a dévissé comme le montre le graphique ci-dessous, -1,34 % sur le S&P 500 hier.

A noter aussi un regain de tension sur le marché des taux avec le MOVE — l’équivalent du VIX pour les Treasury — qui a beaucoup bougé. Certes il reste sur des niveaux modérés d’un point de vue historique : à 57,75 hier soir alors qu’il a été plus élevé les trois quart du temps depuis 2000. Mais l’augmentation est très forte, il s’agit même de la plus forte hausse journalière de l’indice, +45 %, depuis qu’il a été lance à la fin des années 1980.

La question maintenant, sauf revirement de dernière minute de Donald Trump, toujours possible, est de savoir si le Congrès et l’Administration seront capable de trouver un accord après les élections, le 3 novembre, et avant l’investiture, le 20 janvier. La période n’est pas propice et tout accord serait certainement a minima. L’attente va être longue…

Stéphane Déo

Stratégiste au sein de la gestion à la Banque Postale Asset Management.

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