Marchés financiers : pétrole, Brexit et dette mondiale

Asset Management - Chute du prix d'équilibre pour le pétrole, dette souveraine mondiale au plafond, négociations au point mort pour le Brexit... Quelles perspectives de long terme pour les investisseurs sur les marchés ? Les explications de Stéphane Déo, Stratégiste chez La Banque Postale Asset Management.

Les prix du pétrole sont inhabituellement stables depuis quelques mois, il semble aussi qu’un prix d’équilibre à long terme plafond de plus en plus bas apparaisse pour le pétrole. C’est ce jeudi 15 octobre le D-day auto-imposé par le Royaume-Uni pour la fin des négociations sur le Brexit, date qui sera repoussée ; nous nous acheminons vers un accord à géométrie variable. D’après le FMI le stock de dette souveraine atteindra un très haut niveau, la répression financière est donc là pour longtemps.

Pétrole, entre crise coronavirus…

Les cours du pétrole semblent s’être stabilisés depuis juin. Le Brent par exemple yoyote dans une fourchette étroite de 40-45 dollars. Une ampleur inhabituellement faible sur une période de plus de quatre mois. Oublié donc l’effondrement des prix au pire de la crise et l’épisode rocambolesque des cours du WTI temporairement négatifs.

Ce calme apparent cache un changement des évolutions de fond beaucoup plus importantes. Ce graphique montre que les contrats futurs à 5 ans sur le Brent ont lentement mais surement baissés depuis 2015. Ils étaient même au-dessus de 100 il y a dix ans, à la sortie de la grande récession. Ils sont passés sous les 50 dollars ces dernières semaine. Il faut voir ces chiffres comme une mesure du prix d’équilibre de long terme du pétrole.

Pourquoi cette baisse ? Elle a beaucoup été attribuée à l’exploitation du gaz et pétrole de schiste qui permettait non seulement d’exploiter des ressources à des prix de l’ordre de 40 à 50 dollars, mais aussi qui permettait d’avoir une offre beaucoup plus flexible à court terme. Cet argument, s’il a une pertinence indiscutable, est de plus en plus difficile à tenir.

Un cours d’équilibre en dessous de 50 dollars mettrait très sérieusement en danger la rentabilité d’un bon nombre d’exploitations dans le bassin Permien au Texas et au Nouveau-Mexique qui a représenté jusqu’à près de la moitié (46 %) de la production totale de pétrole de schiste aux États-Unis.

…et ajustement structurel

Autre sujet, les faillites dans le secteur pétrolier ont rebondi. D’après le cabinet d’avocats spécialisés Haynes & Boone, le montant des faillites s’est élevée à 53 milliards au troisième trimestre de cette année, deuxième pire trimestre depuis que les statistiques existent.

Si en 2016, date du pire trimestre, les faillites étaient dues à un faible niveau des cours, nous pouvions nous attendre à un rebond avec un prix du Brent attendu à plus de 60 dollars à terme. Dans le cas actuel — avec donc une tendance sous les 50 dollars à long terme — l’histoire est beaucoup plus difficile à raconter.

L’argument d’une offre pléthorique est donc beaucoup moins convaincant. Il y a peut-être un autre argument tout aussi important qui met un plafond aux prix du pétrole. Le graphique ci-dessous montre le coût de production de l’énergie solaire. La baisse des coûts a été impressionnante même récemment : une baisse de 41 % sur les 5 dernières années ou de 84 % sur la dernière décennie.

La tendance est similaire pour l’éolien : d’après le Department of Energy, le coût de l’éolien aux Etats-Unis est inférieur à celui du gaz. Il existe donc de plus en plus une alternative économiquement viable au pétrole et cela constitue le plafond pour les prix pétroliers. Un plafond d’ailleurs qui baisse régulièrement.

Brexit : D-Day

Nous y sommes ! C’est aujourd’hui la date limite, auto-imposée par le Royaume-Uni, pour finaliser les discussions sur le Brexit. En revanche sur l’accord on n’y est pas du tout ! Et la date limite va être repoussée ; Boris Johnson en a parlé et les négociations vont donc se prolonger. La livre sterling s’est d’ailleurs appréciée sur la nouvelle à 0,903 contre euro ce matin, un niveau qu’elle n’avait pas vu depuis un mois.

Nous nous acheminons tout droit vers un accord « à géométrie variable » ou a minima, où la Grande Bretagne sortirait avec un accord sur certains secteurs, alors que d’autres feraient l’objet d’une sortie non négociée. Une solution quelque part entre le « hard Brexit » et la sortie avec un accord en bon et due forme. A lire sur le sujet, une étude très complète de la BCE qui vient de sortir, « A review of economic analyses on the potential impact of Brexit » (en anglais).

Il y a plusieurs conclusions à tirer de ces travaux :

  • l’impact sur le RU est considérablement plus important que sur l’Union Européenne ;
  • la variation des estimations est très large car elle liée à un nombre de variables, notamment politiques ;
  • la variation des estimations est aussi, et surtout, liée au degré de sortie. Plus la sortie est négociée, moins elle est douloureuse, plus on se rapproche du « hard Brexit », plus les effets sont disruptifs.

Dette mondiale au plus haut

D’après le dernier Fiscal Monitor du FMI, la dette souveraine mondiale atteindrait 124,7 % du PIB l’année prochaine. Il faut remonter à 1946, la sortie de la guerre pour voir des niveaux similaires. Tout comme à l’époque il semble qu’on s’achemine à grand pas vers une solution où les taux restent artificiellement bas ce qui permet non seulement d’assurer la soutenabilité de la dette mais aussi de l’éroder graduellement.

Le problème n’est alors pas celui de la soutenabilité de la dette mais celui de la « répression financière », le fait que les investisseurs se retrouvent confrontés à des rendements insuffisants pour protéger leur épargne. C’est de facto une taxe implicite sur l’épargnant. Et c’est certainement la solution la moins douloureuse pour gérer cette sortie de crise.

Stéphane Déo

Stratégiste au sein de la gestion à la Banque Postale Asset Management.

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