Marchés financiers : l’inflation pousse les taux au plus haut

Asset Management - La Banque centrale européenne (BCE) va-t-elle relever ses taux en 2022 ? Le tapering est-il imminent en zone euro ? L'éclairage de Karamo Kaba, Directeur de recherche économique chez Ecofi.

Même s’il a évoqué des raisons familiales pour justifier sa démission de la Bundesbank (Buba), difficile de ne pas voir en cette décision de Jens Weidmann une opposition à la conduite de la politique monétaire de la Banque centrale européenne (BCE).

Comprendre cette démission

Certes, à l’image d’Axel Weber ou de Jürgen Stark, ce n’est pas la première fois qu’un banquier central allemand quitte le Board de la BCE avant la fin de son mandat. Certes, Jens Weidmann n’a jamais été avare en critiques concernant les décisions de l’institution monétaire européenne, allant même jusqu’au chantage d’une démission dès 2012, à l’époque de la mise en place de la doctrine du « whatever it takes » par Mario Draghi. Mais pourquoi cette démission maintenant ?

Certains avanceront comme explication son exaspération de voir les taux d’intérêt maintenus artificiellement bas pendant très longtemps alors que l’accélération des prix ne semble pas montrer de signaux de répit. D’autres pointeront la perspective de l’arrivée prochaine aux affaires d’une nouvelle coalition gouvernementale en Allemagne conduite par le SPD (aux côtés des Verts et du FDP) dont les orientations économiques s’annoncent plus dépensières que l’attelage actuel conduit par la Chancelière Merkel.

Quelle politique monétaire ?

Finalement, les raisons importent peu. Ce départ ne devrait pas changer grand-chose à la politique monétaire de la BCE. Le risque est même grand de voir le biais ultra-accommodant se prolonger dans le temps, ce qui pourrait conduire à des niveaux de taux réels encore plus bas. Afin de contrer les effets de l’inflation (passée de 3 % sur un an en août à 3,4 % en septembre), une hausse des taux directeurs ne semble pas du tout imminente en zone euro, à la différence de ce qui se prépare au Royaume-Uni.

Ainsi, en dépit d’une accalmie des prix en septembre (passés de 3,2 % à 3,1 % sur un an), Andrew Bailey, le gouverneur de la Banque d’Angleterre (BoE) a-t-il préparé les esprits à un relèvement des taux directeurs dès le mois de novembre 2021, le premier durcissement pour une grande banque centrale. Au même moment, la Fédérale Réserve (Fed) devrait également entamer la réduction de ses achats de titres (« Tapering »).

Rendements obligataires

Ce contexte a favorisé la poursuite de l’appréciation des rendements des emprunts obligataires. Nous avons ainsi vu le rendement du T-Bond monter de 6 points de base pour finir la semaine à 1,64 %, après avoir même atteint un pic de 5 mois à 1,7 %. La remontée des taux longs américains a aspiré tous les autres rendements, à l’image du Bund (+6 pdb, à -0,11 %).

A noter tout de même une nette sous-performance des pays périphériques (+8 pdb, à 0,95 % pour le BTP 10 ans italien), peut-être une des conséquences du ralentissement annoncé des achats d’actifs dans le cadre du programme d’urgence PEPP. D’ailleurs, cette semaine, Christine Lagarde sera sans doute interrogée sur la poursuite des différents programmes d’achats de la BCE. Certains commencent même à spéculer sur des relèvements de taux de la BCE en 2022, ce que nous jugeons très prématuré à l’heure actuelle.

Impact sur les indices

Ce scénario de taux réels négatifs est très favorable pour les actifs risqués, surtout qu’après le paiement in extremis d’une échéance de 83,5 millions de dollars d’intérêts, le géant de l’immobilier chinois Evergrande s’est donné un peu d’oxygène. En plus de cela, les indices boursiers ont profité de la publication de résultats d’entreprises très positifs, à l’image de Tesla qui a enregistré des profits records au troisième trimestre. Les grosses déceptions d’Intel (warning sur les marges) et de Snap ont contribué à la sous-performance du NASDAQ (+1,25 % à 15 336 points) par rapport au S&P 500 (+1,6 % à 4 541,91 points).

Pourtant, au moment où l’économie chinoise a perdu de l’élan (progression du PIB de seulement +0,2 % sur le troisième trimestre contre +0,4 % attendu) et que la production industrielle américaine s’est écroulée (-1,3 % en septembre contre +0,1 % attendu par le consensus), le pétrole a poursuivi son ascension (+1,8 % à 83,76 dollars pour le WTI ; +0,94 % pour le Brent, à 85,66 dollars), continuant à interroger sur le caractère temporaire de l’inflation mis en avant par les banquiers centraux. Cela a profité aux indices riches en valeurs pétrolières et bancaires comme l’EuroStoxx 50 (+0,4 %, à 4 199 points) ou le CAC 40 (+0,3 %, à 6 748 points).

Karamo Kaba

Directeur des études économiques

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