Marchés financiers : l’héritage de la pandémie

Asset Management - Le Projet de loi des finances français prévoit un déficit de 10,2 % cette année mais aussi de 6,7 % l’an prochain. Les déficits ne s’évanouiront pas avec la fin de la pandémie. Christine Lagarde a paru très prudente en début de semaine sur le potentiel de l’inflation à revenir vers 2 %. Enfin, la capacité du système bancaire à financer la reprise peut poser question. La reprise entre dans une phase plus compliquée, l’héritage sera long et lourd à solder.

Fascinant papier académique de David Chambers, Elroy Dimson & Charikleia Kaffe « Seventy-Five Years of Investing for Future Generations ».

Investir à très long terme

Le papier s’intéresse aux « endowments » des universités américaines : il s’agit de fonds gérés par les dotations des universités qui leurs permettent de générer des revenus récurrents et de financer une partie de leurs couts de fonctionnement. L’un des plus célèbres, celui de Harvard, est doté de plus de 40 milliards de dollars, celui de Stanford gère 27 milliards. Ces dotations sont gérées avec un objectif très long, d’où le titre de l’article.

Le graphique ci-dessous emprunté à l’article montre l’évolution des allocations. Il y a deux phases principales de mouvement. D’une part au milieu du siècle dernier une rotation vers les actions au détriment des produits de taux. Puis, dans les années 1990-2000 une ré-allocation vers les investissements « alternatifs », type hedge funds ou non-coté.

Source : LBPAM

Le PLF et la pandémie

Le gouvernement français a publié hier son PLF (Projet de Loi des Finances) qui permet de mesurer l’impact de la pandémie sur les finances publiques. Sur l’année en cours, et par rapport au budget initial pour 2020, les pertes de recettes fiscales sont estimées à 46 milliards d’euros et l’augmentation des dépenses à 50 milliards ce qui porte le déficit prévisionnel sur l’année à 10,2 %.

En 2021 le déficit sera ramené à 6,7 % du PIB mais ce chiffre montre bien que le retour à la normale sera long et que les déficits ne s’évanouiront pas avec la fin de la pandémie. En conséquence, les besoins de financement de l’Etat resteront très élevés, 283 milliards contre 344 milliards en 2020. L’Etat prévoit donc des ressources de financement qui comportent un programme net d’émission à moyen long terme stable à 260 milliards ainsi qu’une hausse de l’encours de BTF de 18,8 milliards.

Source : LBPAM

Le PLF annonce d’ailleurs « la dégradation de l’endettement public liée à la crise et aux mesures d’urgence et de relance de l’activité économique conduiront à mettre en place un mécanisme pour cantonner et apurer la dette Covid. » Malheureusement il n’y a pas plus de précisions. Nous pensons bien sûr à un dispositif de type CADES. A suivre.

BCE : plus de stimulus ?

Christine Lagarde, qui a parlé devant le comité économique du Parlement Européen hier, s’est montrée très circonspecte sur la capacité de l’inflation à retourner vers l’objectif de la BCE de 2%. Elle a aussi parlé d’une reprise « incertaine, incomplète et inégale ».

En parallèle, plusieurs membres de la BCE reprennent l’argument de l’asymétrie des risques : être trop accommodant est une erreur beaucoup moins grave que de ne pas l’être assez. Argument utilisé par Draghi mais aussi par Greenspan en son temps repris par Schnabel et Panetta récemment. Il semble donc que la BCE s’engage vers plus de mesures. Les questions deviennent « quand ? » et « quels instruments ? ».

Le crédit bancaire en Europe, nerf de la guerre ?

Les données de masse monétaire ont été publiées la semaine dernière avec, en particulier les détails sur les prêts bancaires. Première constatation, le volume de prêts bancaires a été depuis six mois sans précédent, une augmentation de presque 800 milliards, mais le rythme se tasse très rapidement. Seulement 18,5 milliards en août.

L’explication est connue : une politique extrêmement laxiste de la BCE et des garanties d’état allouées aux banques qui consentent des prêts. Ceci a soutenu les entreprises qui n’avaient plus d’activité mais la sortie du confinement réduit le besoin de financement et donc la dynamique des prêts.

Source : LBPAM

Si ces mesures étaient très largement justifiées elles ont pour conséquence un bilan bancaire gonflé et donc une capacité à financer encore l’économie qui est maintenant beaucoup plus limitée. Elle a aussi pour conséquence un niveau de dette important des entreprises et donc une capacité d’augmenter l’effet de levier qui elle aussi est faible, ce qui peut limiter la reprise. L’argument est particulièrement important en zone euro ; nos calculs montrent que malgré les changements structurels importants depuis plus d’une décennie, le financement des entreprises est surtout dépendant des banques.

Source : LBPAM

La dernière enquête trimestrielle de la BCE sur les conditions de crédit montrait d’ailleurs une tendance au resserrement du crédit par les banques. Tous ces éléments convergent vers une vue plus prudente de la trajectoire de croissance future. Mais aussi, probablement, vers une croissance potentielle qui serait impactée durablement par la crise. L’héritage sera long à digérer.

L’objectif zéro carbone de l’UE

Nous avions parlé vendredi de l’objectif ambitieux de la Chine, un pic d’émissions avant 2030 et la neutralité en 2060, mais aussi du conseil des ministres Allemand qui a approuvé un amendement de sa loi sur les énergies renouvelables pour atteindre la neutralité carbone sur la génération d’électricité avant 2050.

Source : LBPAM

Le sujet est décidément à la mode puisque le FMI a écrit un article sur le sujet, « How to Meet the European Union’s Ambitious Climate Mitigation Goals ». D’après le FMI, voici les conditions de succès des mesures mises en place :

  • une taxe carbone en augmentation graduelle pour inciter les ménages et entreprises à modifier leur consommation ;
  • une utilisation de cette taxe pour aider la croissance durable ;
  • des incitations à l’investissement vert ;
  • assurer une transition équitable pour éviter que les plus exposés à la transition n’en souffrent ;
  • mettre en place des mesures pour éviter la « délocalisation carbone ».

Conclusion, « le coût de l’inaction est bien supérieur au coût de l’action ». Au moins c’est clair !

Stéphane Déo

Stratégiste au sein de la gestion à la Banque Postale Asset Management.

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