Marchés financiers : le spectre de l’inflation

Asset Management - Les anticipations d'inflation ont un impact direct sur les rendements obligataires. Quels sont les facteurs qui alimentent la repentification de la courbe des taux ? Quelles politiques les banques centrales mettent-elles en place pour contrer la tendance ? Le point avec Karamo Kaba, Directeur de la recherche économique chez Ecofi.

Depuis quelques semaines, les investisseurs se préparent à un retour de l’inflation, et ce qui s’est traduit par une nouvelle envolée des rendements obligataires. Et ce n’est pas les derniers développements qui devraient calmer les esprits, surtout après l’approbation par le Sénat du plan de relance de 1 900 milliards de dollars.

Surveiller l’inflation

Les effectifs salariés non agricoles ont augmenté de 379 000 postes supplémentaires en février, soit plus que les 200 000 attendus par le consensus. Mieux, les chiffres du mois précédent ont été revus à la hausse de 38 000 unités, de quoi alimenter davantage les anticipations d’un « tapering » prématuré.

Les indicateurs avancés sont ainsi ressortis en forte hausse dans l’industrie (+2,1 points en février pour l’ISM manufacturier, à 60,8, soit un plus haut de 3 ans). Et n’eut été une aggravation des conditions climatiques, l’indice ISM dans les services, passé de 58,7 en janvier à 55,3 points en février, serait également ressorti en progression.

Pourtant, une nouvelle fois, sans convaincre les investisseurs, le président de la Réserve fédérale (Fed) s’est voulu rassurant — peut-être même trop — au point d’affirmer que son institution, inquiète d’un taux de chômage potentiellement plus important que le chiffre officiel de 6,2 %, pourrait laisser filer l’inflation. Nous surveillerons donc particulièrement les chiffres de l’inflation de février qui devraient ressortir à 1,7 % sur un an grâce à une forte contribution de l’énergie.

Courbe des taux

Dans un contexte de flambée des cours du pétrole (+ 7,5 % pour le Brent, à
66,1 dollars), dopés par la décision de l’OPEP+ de ne pas relever sa production en avril, la forte appréciation des rendements obligataires (+12 points de base, à 1,58 % pour le taux à 10 ans aux Etats-Unis) a provoqué une forte repentification de la courbe des taux. Le secteur technologique a continué sa correction (-1,9 %, à 12 669 points) pendant que l’indice Dow Jones, riche en valeurs industrielles, a enregistré une progression (+ 1,82 %, à 31 496 points).

Cet environnement a davantage profité à l’Europe (+2,1 %, à 3 712 points pour l’EuroStoxx 50) du fait d’une pondération plus forte en valeurs bancaires et cycliques. Nous noterons que le podium des meilleures performances sectorielles sur l’indice EuroStoxx 50 en 2021 est occupé par les voyages & loisirs (+ 16,5 %), la banque (+ 16,1 %) et les matières premières (+ 14,9 %).

Pourtant, le plongeon des ventes au détail (- 5,9 % sur le mois de janvier), plombées par les effets des mesures sanitaires sur les produits non alimentaires (- 12 % en janvier), ne laisse plus de doute sur une entrée en récession de la zone euro. Cette perspective, couplée à la stabilisation de l’inflation (+ 0,9 % sur une année en février), devrait permettre à la Banque centrale européenne (BCE) de prendre de nouvelles mesures pour mettre fin à la dégradation des conditions de financement.

Zone euro, la récession ?

La BCE ne peut pas se permettre une envolée des rendements obligataires par effet de contagion dans la mesure où la campagne de vaccination et l’activité économique sont plus poussives qu’aux Etats-Unis. Elle pourrait faire des annonces le 11 mars prochain quant à une augmentation des rachats de titres via son programme d’achats d’urgence face à la pandémie (PEPP).

C’est sans doute ce qui explique la forte dépréciation de l’euro (- 1,2 %, à 1,19283 dollar) en plus de la prolongation de la suspension des règles budgétaires européennes (« clause de sauvegarde » ) jusqu’à la fin de l’année prochaine. Ainsi, après les élections en Allemagne (septembre 2021) et en France (avril 2022), la Commission européenne recommande-t-elle de désactiver en 2023 le « quoi qu’il en coûte » budgétaire.

Marché des changes

Une telle issue dépendra naturellement de l’évolution de la pandémie et de la montée en puissance de la campagne de vaccination. Sur la scène des changes, le dollar a été en grande forme contre toutes les monnaies (+ 1,2 % pour son taux de change effectif). Cette performance semble incompréhensible si nous ne tenons compte que de l’évolution des anticipations d’inflation.

Mais le billet vert a profité en même temps d’un décalage conjoncturel plus favorable que la plupart des pays du G7, ce qui soutient une progression plus rapide des taux d’intérêt. Cela ne devrait pas arranger les affaires au niveau de la balance commerciale qui s’est à nouveau dégradée en passant de -67 Mds$ en décembre à – 68,2 Mds$ en janvier.

Karamo Kaba

Directeur des études économiques

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