Marchés financiers : Chine et Fed sont les « deux mamelles » de la nervosité

Asset Management - l n’y aura sans doute pas de moment Minsky en Chine. Mais remettre de l’ordre dans l’économie (immobilier et tech) pour assurer la stabilité de la croissance à moyen terme, tout en faisant face à un environnement international plus compliqué, va demander beaucoup de doigté. Les autorités de Pékin sauront-elle faire ? Le moment n’est pas très lisible et cela vaut pour tout le monde ; y compris la Fed. Il n’est pas temps pour elle de changer de cap ; son rôle est d’offrir des perspectives, pas de montrer ses hésitations. Le point avec Hervé Goulletquer, stratégiste chez LBPAM.

Les marchés restent nerveux, inquiets de la situation chinoise (avec actuellement au centre des préoccupations le dossier Evergrande) et attentifs à ce que dira ce soir la banque centrale américaine au sortir de son comité de politique monétaire.

Chine, quelle vision du capitalisme ?

Evergrande, large promoteur devenu une sorte de conglomérat, aurait 300 milliards d’USD de dettes financière et commerciale, dont 37 milliards avec une maturité restante inférieure à 12 mois. « En face », le cash disponible serait à l’heure actuelle de 13 milliards. Le tout en sachant que le calendrier des paiements à venir comporte des échéances à très court terme. La situation est inconfortable et l’inquiétude, justifiée. Au point de justifier le risque d’un moment Minsky, comme on peut le lire dans la presse britannique ou américaine ?

Pour l’économiste Hyman Minsky, « la dynamique interne des économies capitalistes débouche sur des structures financières génératrices de crises financières et d’instabilité des revenus ». Ainsi, des contreparties surendettées sont-elles contraintes de vendre une partie de leurs actifs pour faire face à leur besoin de liquidité, déclenchant une spirale de baisse auto-entretenue des prix d’actif et un assèchement de la liquidité disponible (au moins ex ante). L’expression d’« économies capitalistes » est importante. 

La Chine ne s’inscrit que partiellement dans ce modèle et nous pouvons penser que les autorités de Pékin ont les moyens de parer un tel risque. Si nous voulions faire la « chasse aux références », parler d’un moment Yukos (ou Khodorkovsky) serait peut-être plus approprié. Il y a certes en Chine aujourd’hui la question d’un secteur corporate très endetté et celle du « hasard moral » que cela crée ; il y a encore plus le point des grands noms de la Tech chinoise, qui, forts de leurs succès, veulent s’autonomiser de l’Etat-Parti et participent d’une évolution de la Société qui n’est pas conforme aux vues des dirigeants du pays. 

Les rouages du « risque chinois »

Pour mesurer le « risque chinois », il faut je crois prendre en compte la dimension économique (l’immobilier et la Tech) et y mêler les aspects géopolitique (les implications du dossier AUKUS). Pour répondre au double enjeu d’une natalité trop faible et d’inégalités trop importantes, il apparaît aux autorités chinoises qu’il il est nécessaire de freiner la dynamique excessive du secteur de l’immobilier résidentiel (des prix trop élevés et, dans ce sillage, un poids démesuré dans l’économie).

Tout comme il faut à leurs yeux brider la culture du « vainqueur prend tout » propre au secteur de la Tech, dont il est craint « en haut lieu » l’apparition de monopoles en son sein. Bien sûr, interroger au même moment la dynamique de l’activité du logement et des résultats des entreprises (plus de régulation, surtout dans le secteur de la Tech) revient à prendre le risque d’un ralentissement non voulu de la croissance.

Nous devons probablement nous préparer à des initiatives visant à raviver la demande publique (hors immobilier) et à faciliter l’accès des PMEs au financement ; une sorte de déclinaison d’un en même temps chinois (assouplissement ici et ressèment ailleurs) !

Stabilité de la zone Pacifique

Cet exercice, pas trivial du tout, visant à consolider la stabilité à moyen terme, mais en prenant inévitablement des mesures qui ont l’effet inverse à court terme, est rendu encore plus compliqué par un environnement diplomatique plus compliqué qu’attendu. Le lancement par les Américains, les Australiens et les Britanniques de l’alliance AUKUS ne peut qu’être mal reçu par Pékin. Même s’il n’y a pas à être très étonné sur le fond du dossier.

L’hubris chinois (l’Occident décadent), le contre-effet de la diplomatie agressive du « loup combattant » — en quelques petites années, l’Australie est ainsi passée de la recherche d’une certaine neutralité entre Chine et Etats-Unis au rapprochement spectaculaire avec celui-ci — et l’obsession de l’encerclement (pour ne prendre que le dossier le plus récent ; celui du Quad, l’alliance entre les Etats-Unis, le Japon, l’Inde et l’Australie) ont induit des comportements qui ne peuvent qu’inquiéter le reste du monde.

Au point de déclencher une spirale d’augmentation des dépenses militaires en Asie – Pacifique, voire dans le monde entier ? Il faut alors relire Paul Kennedy (Naissance et Déclin des Grandes Puissances, 1986) et méditer la thèse défendue selon laquelle des budgets de défense inflatés finissent par peser sur la dynamique de l’économie. La Chine du Président Xi s’inscrit peut-être sur une trajectoire dont les tenants pourraient être moins stables que voulus ; avec alors quelles conséquences sur les aboutissants ?

Fed, l’ombre du tapering

Finissons avec la Fed ce soir. On doit évidemment admettre que l’environnement américain est moins assuré qu’on pouvait le ressentir il y a quelques semaines en arrière : les chiffres d’août de l’emploi ont déçu et les prix ralentissent peut-être plus vite qu’attendus. Pouvons-nous alors se donner plus de temps et décaler le moment de l’enclenchement du ralentissement des achats de titres ?

Je pense qu’il faut répondre non à cette double question. En ce moment pas très lisible, à la Fed de donner des perspectives ; elle doit garder son cap. Sans pour autant se lier les mains ; elle n’est pas tenue de dire que le tapering commencera en novembre, mais juste réaffirmer que cela se fera avant la fin de l’année. Le marché comprendra !