Marchés financiers : bond de l’inflation

Asset Management - Après un an de crise sanitaire, l'inflation signe son grand retour. Combien de temps cette tendance va-t-elle durer ? Quelles conséquences pour les investissements ? L'éclairage de Karamo Kaba, Directeur de la recherche économique chez Ecofi.

Pendant longtemps les économistes ont prédit le retour de l’inflation et mis en garde sur ses conséquences. Alan Greenspan, ancien président de la Réserve Fédérale (Fed), annonçait dès 2007 dans son livre « The Age of Turbulence : Adventures in a New World » un rythme de progression des prix à deux chiffres.

En route vers l’hyperinflation ?

Après le dernier rapport d’inflation aux États-Unis, sommes-nous en passe de rentrer dans l’ère de l’hyperinflation ? Sur le mois — donc hors effet de base des niveaux de l’an passé — les prix ont littéralement flambé (+0,9 % en glissement mensuel, du jamais vu depuis avril 1982) dans plusieurs secteurs à l’image des billets d’avion (+10,2 %) ou des voitures d’occasion (+10,0 %).

Cet envol peut cependant s’expliquer par des facteurs temporaires. Ainsi, après avoir vendu une grande partie de leur flotte, faute de demandes dûes à la pandémie, les agences de location ont dû reconstituer au plus vite leur stock de voitures.

Or, par manque de véhicules neufs en nombre suffisant, elles se sont rabattues sur les véhicules d’occasion, en même temps que les particuliers avec l’approche de la « driving season » (période de vacances). Cela explique aussi le bond du prix des billets d’avion et des chambres d’hôtel (+8,8 % sur le mois d’avril). Le bond des prix devrait se calmer au fur et à mesure de l’accélération de la production d’automobiles.

Répercussions sur la consommation

Toute la question est maintenant de savoir si cette tendance va durer ; un scénario que plusieurs éléments tendent à soutenir. Les prix de l’essence, étonnamment bas en avril (-1,4 %) devraient accélérer suite à la cyberattaque contre l’opérateur d’oléoducs, Colonial Pipeline, qui transporte tout de même près de 50 % du pétrole entre le golfe du Mexique et la côte est des États-Unis.

Malgré le paiement d’une rançon de 5 millions de dollars aux pirates, le mal semble être fait — si nous en jugeons par les mouvements de panique observés chez les automobilistes. Nous pourrions aussi commencer à ressentir les effets des hausses de salaires observées avec la pénurie de la main d’œuvre. Cela a obligé des entreprises comme McDonald’s, Target, Costco ou Amazon à augmenter les salaires de leurs employés, pour les porter à 15 dollars de l’heure.

C’est pour cette raison que les composantes « prix » des indicateurs avancés sont restés au plus haut, annonçant une poursuite à la hausse des prix. Si cette tendance perdure, il faudra s’attendre à des déceptions au niveau de la consommation dans les prochains mois. Le rapport des ventes au détail a surpris en avril, ressortant stable contre une attente de +1 % par le consensus. Sans le segment des automobiles (+2,9 %), de l’alimentaire, des matériaux de construction et des stations-service (-1,1 %), les ventes de base, bon proxy du PIB, ont reculé de 1,5 % pendant le mois.

Faible appétence pour le risque

Ce bond de l’inflation — passée de 2,6 % en mars à 4,2 % en avril sur une année glissante — ne devrait pas amener la Fed à se précipiter. En attendant de connaître les Minutes du dernier FOMC qui seront publiées cette semaine, les investisseurs ont porté le rendement du taux à 10 ans au-delà de 1,64 %, en hausse de 6 points de base (pdb) sur la semaine. Cela a entraîné la hausse des autres rendements, notamment l’OAT 10 ans en France qui atteint un pic de 13 mois (+9 pdb, à 0,26 %).

Craignant un effet plus durable de l’inflation que ce qu’anticipe la Fed, il n’en fallait pas plus que les investisseurs se retirent des marchés actions (S&P 500 : -1,25 % à 4 179 points), notamment des valeurs du secteur technologique (Nasdaq 100 : -2,2 % à 13 424 points). Et contrairement à ce que nous pouvions attendre avec la hausse de l’aversion pour le risque, le dollar ne s’est pas tellement apprécié (+0,12 % contre toutes les monnaies).

Le billet vert a sans doute été pénalisé par les commentaires de membres de la Fed pour qui l’inflation est passagère. Nous pensons que la Fed sous-estime délibérément l’inflation afin d’ancrer durablement les taux réels en territoire négatif. Cette attitude devrait favoriser l’euro, malgré sa légère dépréciation (-0,2 % contre le dollar, à 1,21$). La poursuite de l’appréciation de la monnaie unique restera conditionnée au jugement de la Cour de Karlsruhe sur les rachats de titres de la BCE.

Karamo Kaba

Directeur des études économiques

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