Marchés actions : trop en avance par rapport aux banques centrales ?

Asset Management - Depuis le début de l'année, les marchés financiers affichent leur optimisme — en dépit des annonces des banques centrales, qui indiquent un cap monétaire restrictif. L'éclairage d'Alexandre Baradez, responsable de l’analyse marchés chez IG France.

Il y a un contraste assez marquant entre les réactions des principaux indices actions et les annonces de la Fed ou encore de la BCE depuis une semaine. La fonction des investisseurs et des marchés est d’anticiper les évènements et c’est effectivement ce qu’il s’est passé lorsque les marchés ont commencé à rebondir début octobre, sur fond d’anticipation du pic inflation aux Etats-Unis puis en novembre sur les intentions de virage sanitaire de la Chine.

Mais aujourd’hui une divergence semble s’installer entre les marchés (surtout les marchés actions) et les intentions clairement affichées des banquiers centraux. Jerome Powell a rappelé le mercredi 1er février qu’il n’y avait « pas de place pour la complaisance », que les marchés devaient « refléter le degré de resserrement monétaire mis en place ».

D’après Jerome Powell, selon les anticipations de la Fed, il n’y aurait pas de baisse de taux cette année — alors que les Futures sur les Fed Funds, juste avant le rapport sur l’emploi ce vendredi 3 février matin, intégraient encore une baisse de taux de 50 points de base des taux d’ici la fin d’année, etc.

Risques du « higher for longer »

Jerome Powell a rappelé la notion de « higher for longer » pour les taux, signifiant que même après avoir atteint le niveau terminal, les taux resteraient élevés sur une durée relativement longue avant d’être abaissés. Le président de la Fed a clairement indiqué qu’il y aurait encore « plusieurs » hausses de taux alors qu’une partie du marché était convaincue que mars marquerait la dernière hausse de taux de 25 points de base. Sans oublier les références au marché de l’emploi qui reste « extrêmement tendu » pour reprendre les mots employés.

Le très solide rapport sur l’emploi aurait dû sonner comme un avertissement sans frais pour les marchés actions, sur les risques du « higher for longer », mais il n’y a eu qu’une légère réaction. Et le contraste a grandi ces derniers jours entre la bonne tenue des indices actions et le rebond marqué des taux courts de l’autre.

Le taux 2 ans américain qui évoluait proche de 4 % il y a moins d’une semaine a rebondi de presque 50 points en 3 jours, après le rapport sur l’emploi (et le fort rebond de l’indice ISM Services, secteur dans lequel se concentre l’inflation la plus « collante » et la plus problématique pour la Fed). Le Dollar Index a également accéléré à la hausse pour revenir sur ses niveaux de début janvier.

Divergence avec les marchés

Il y a donc un contraste ces derniers jours entre la bonne tenue des marchés actions et la réaction haussière des taux et du dollar en parallèle. Jerome Powell a reconnu ce mercredi 1er février qu’il y avait un décalage entre ce que la Fed et les marchés anticipaient notamment concernant la vitesse de repli de l’inflation, mais ce qui a plu aux marchés est qu’il ne cherche pas à « repousser » ces anticipations optimistes de marchés.

Et alors que nous attendions un président de la Fed plus incisif ce mardi 7 février au soir devant le Economic Club de Washington après les chiffres de l’emploi vendredi 3 février, il a une nouvelle fois relativement rassuré les acteurs de marché en indiquant que la Fed voulait être transparente afin « de ne pas surprendre les marchés ». Et les marchés semblent s’être une nouvelle fois arrêtés aux parties les plus souples du discours alors que les deux discours (mercredi dernier et ce mardi au soir) étaient plutôt « hawkish » dans leur teneur globale.

Notamment lorsque Jerome Powell explique que nous ne sommes qu’au « début du processus de désinflation », que l’inflation « ne partira pas rapidement et sans douleur », qu’il ne voit pas encore de désinflation dans le secteur des services (qui représente deux tiers de l’économie américaine), que la politique monétaire n’avait pas encore produit pleinement ses effets — sur l’économie notamment.

Politique monétaire plus restrictive

Nous ne pouvons pas parler d’euphorie sur les marchés, car les niveaux de volatilité des marchés actions ont certes beaucoup baissé mais ne sont pas ceux observés dans les phases d’euphorie… mais il y a peut-être un peu de complaisance. C’est le cas en Europe notamment, alors que la conférence de presse de Christine Lagarde ne laissait pas de place à une interprétation souple des intentions de l’institution monétaire dans les mois à venir.

Et pour ceux qui en doutaient, Isabel Schnabel, membre du Directoire de la BCE et une voix généralement consensuelle au sein de l’institution, a déclaré hier que la décélération de l’inflation jusqu’à présent était surtout due à l’énergie mais qu’elle n’était pas encore liée à la politique monétaire de la BCE.

Difficile d’être plus clair sur le cap monétaire restrictif à venir… et donc difficile de saisir l’appétit déraisonnable pour le risque des investisseurs depuis quelques semaines, alors qu’en parallèle les rendements obligataires sont redevenus attractifs. Attention à un rebond de la volatilité sur les marchés actions dans les jours qui viennent.

Alexandre Baradez - IG France

Responsable Analyses Marchés

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