Marché du crédit et Italie : le calme

Asset Management - L’intervention de la BCE a grandement limité la réaction du marché du crédit aux stress de marché. Le résultat des élections italiennes est encourageant avec une probabilité d’élections anticipées maintenant très faible. Les simulations du CBO montrent une trajectoire de dette « spontanée » exponentielle aux Etats-Unis. Soit la Fed devra maintenir des taux très bas longtemps, soit le gouvernement devra prendre des mesures correctives... soit les deux !

La stabilité du marché crédit est remarquable. Nous venons de vivre une correction boursière, certes courte, mais le VIX est néanmoins repassé à 38 en début de mois et le V2X (son cousin européen) a touché 32. En revanche l’évolution des spreads de crédit est d’une platitude impressionnante : les OAS spreads (LE5COAS Index) ont évolué depuis mi-août dans une fourchette extrêmement réduite, entre 112 et 116 points de base.

La zénitude du crédit

Même si ce manque de réaction peut sembler extrême, le calme du marché du crédit n’est pas nouveau et est beaucoup lié à l’interventionnisme de la BCE. Le graphique ci-dessous analyse le lien entre la volatilité actions, le V2X, et les écarts de taux sur le crédit. Evidemment nous trouvons une relation forte. Lorsque le marché est stressé, le prix de la volatilité mais aussi les écarts de taux augmentent.

Ce qui est intéressant néanmoins c’est de montrer que cette relation était beaucoup plus élevée lors de la crise de 2011 que durant l’année en cours. Les spreads de crédit ont beaucoup moins réagi cette année en comparaison des crises précédentes. Si la relation historique était maintenue, les spreads devraient être ce matin non pas de 116 mais de 174.

Il faut certainement y voir, en grande partie l’action de la BCE. Et c’est une très bonne nouvelle car cela maintient le taux de financement pour les entreprises à des niveaux bas, mais surtout cela stabilise leurs coûts de financement et donc leur donne de la visibilité.

Résultat des élections italiennes

La coalition s’en sort bien. Le référendum sur la loi réduisant le nombre de parlementaires — de 630 à 400 pour la Chambre et de 315 à 200 pour le Sénat — a été approuvé par 68 % des voix. De plus, les élections locales dans six régions importantes ont vu la victoire de la coalition de centre-droit dans trois cas (Vénétie, Ligurie et Marche) et la victoire de la coalition de centre-gauche dans les trois autres cas (Toscane, Campanie et Pouilles).

Le niveau de support pour le mouvement cinq étoiles s’est en revanche considérablement amoindri. Avec ces résultats la coalition au gouvernement sort renforcée et la probabilité d’élections anticipées si elle n’est pas de zéro — avec la politique italienne vous ne savez jamais — est très faible. Bref, une stabilité qui devrait porter la chambre actuelle à son terme en mars 2023.

D’un point de vue de marché il est intéressant de noter que sur la séance de lundi les écarts de taux italiens n’ont que très peu bougé, sur le 10 ans l’écart de taux était de 144,7 pdb vendredi soir pour finir lundi soir à 144,8. Mais ceci s’est fait dans un marché avec une très forte correction des actions, et une ambiance très « risk off », l’Italie n’a donc pas réagi comme à son habitude avec un écartement des spreads en période risk-off

Effet des élections ? Probablement. Changement de statut de l’Italie qui réagit beaucoup moins au risque depuis que la BCE intervient massivement ? Probablement aussi. Toujours est-il que ces écarts de taux se sont plus nettement resserrés hier, à 137,1 à la clôture.

Déficit américain : vers l’infini et au-delà !

Le Congressional Budget Office, un bureau d’analyse économique non-partisan lié au Congrès des Etats-Unis, a publié ses estimations de trajectoire de dette et déficit public. Et ils n’y sont pas allés de main morte. Le graphique ci-dessous reproduit la trajectoire simulée de la dette à un horizon 2050. Le niveau de dette passerait de 98,2 % cette année à 195,2 à l’horizon 2050, soit le double !

Pourquoi une telle progression ? Les hypothèses de trajectoire des déficits sont particulièrement frappantes. Il faut se souvenir de la règle du jeu : le CBO fait des simulations avec une économie qui retrouve son chemin de croissance et une politique budgétaire inchangée. Ceci donne la trajectoire de déficit reproduite sur le graphique ci-dessous.

Ce qu’il faut retenir…

Nous pouvons faire deux critiques importantes à ces simulations. D’une part le déficit primaire (hors service de la dette) ne cesse de progresser après l’épisode coronavirus digéré. Cela fait donc aussi l’hypothèse que l’état américain laisse glisser sa dette sans prendre de mesure corrective. Il est fort probable, au vu de la trajectoire, que l’état américain aura finalement une politique plus conservatrice.

Mais c’est là le but de ces simulations : montrer qu’à politique constante le chemin est exponentiel, donc qu’il faudra prendre, un jour, des mesures correctives. Plus contestable, le niveau du service de la dette progresse très vite non seulement, bien sûr, parce que la dette est élevée mais aussi parce que les hypothèses de taux sont assez musclées.

Nous avons recalculé le « taux d’intérêt apparent » — le taux moyen payé par un état sur l’ensemble de sa dette — utilisé par le COB. Nous obtenons ce graphique, qui montre une trajectoire un peu trop haussière pour être crédible : si la trajectoire de la dette est vérifiée, il est évident que la Fed devra intervenir pour maintenir des taux à des niveaux plus soutenables pour les finances publiques américaines.

Une dette exponentielle ?

La trajectoire « spontanée » de la dette — la trajectoire de la dette si le gouvernement ne prend pas de mesures correctives — est effectivement très préoccupante. Nous sommes sur un chemin exponentiel. Cela veut dire soit que la Fed devra maintenir des taux artificiellement bas, soit que le gouvernement devra prendre des mesures correctives pour réduire le déficit. Soit les deux !

Stéphane Déo

Stratégiste au sein de la gestion à la Banque Postale Asset Management.

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