Macroéconomie : les répercussions du nouveau paradigme financier ne seront pas toutes simultanées

Asset Management - En 2023, les retentissements financiers du nouveau paradigme d’inflation et de taux d’intérêt ne se révèleront pas tout de suite. Que retenir du contexte macroéconomique pour investir sur les marchés financiers ? L'analyse de Thomas Planell, CFA, Gérant-analyste chez DNCA Finance.

« Quand j’étais révolution, j’étais l’ami des séismes », écrivait le poète palestinien Mahmoud Darwich. Révolution : les banques centrales l’ont été en 2022, lorsqu’elles ont renversé avec une ardeur historique la course de leur politique monétaire.

La prudence de retour sur les marchés ?

La déflagration sismique de la remontée des taux la plus violente de l’histoire a balayé les arbres de la spéculation, qui semblaient croître jusqu’au ciel. Depuis leurs sommets atteints ces deux dernières années, les ETF thématiques (Cannabis, Ark, Meme Stock) cèdent respectivement 84 %, 77 % et 63 % de leur valeur. Le bitcoin et les valeurs technologiques non profitables reculent de 76 % contre 30 % pour le Nasdaq.

Pour les investisseurs entrés au paroxysme de l’euphorie entre 2020 et 2021, c’est une destruction presque complète du capital investi sur ces actifs ! Ceux qui par prudence ont privilégié la tangibilité des actions défensives et « value » ont mieux protégé leur épargne. Le MSCI Europe Value TR ne cède que 4,7 % depuis ses derniers plus hauts de début d’année. Ceci, à condition ne pas avoir alloué un poids trop important aux obligations souveraines, qui livrent l’une des pires performances de leur histoire.

Chiffres d’inflation ce mardi 13 décembre, puis réunion de la FED le 14 décembre : l’année n’est pas encore finie et la prudence semblait de mise sur les marchés. Sur la semaine écoulée, seul l’or collecte avant la trêve de Noël. Cela augure-t-il d’une année pendant laquelle les actifs réels et notamment les matières premières resteront déterminants pour les investisseurs et les entreprises ?

Matières premières, vulnérabilité énergétique

Oui, car une hausse des matières premières en période de récession — attendue dans les 12 prochains mois avec une probabilité de 62 % aux Etats-Unis — peut compromettre le scénario angélique d’un soft landing soit une croissance plus ou moins nulle en 2023. En Europe, le rebond de l’euro (1,055 dollar) et la baisse du pétrole apportent une bouffée d’oxygène aux ménages et aux entreprises.

Mais leur vulnérabilité à la hausse des prix du gaz (et donc de l’électricité) reste entière. D’autant que la majorité des efforts de consommation ont probablement déjà été faits — avec -24 % de la consommation en gaz par les entreprises européennes par rapport à la moyenne 5 ans. Aller plus loin est synonyme d’une réduction significative de la production industrielle.

Pendant ce temps la Chine revient du côté des acheteurs : ses importations de gaz, de pétrole et de cuivre en novembre sont au plus haut depuis janvier. Les métaux (nickel, fer) progressent de plus de 20 % depuis un mois et le gaz TTF se renchérit de 64 % depuis les « points bas » de fin octobre. Le repli des matières premières depuis la fin du premier semestre montre des signes de stabilisation. Leur rebond dépendra de la détermination de la Chine à rouvrir son économie malgré le prix du sang à payer : 1,5 million de morts, selon la revue Nature.

L’immobilier et la dette, liaisons dangereuses

Outre les matières premières, l’immobilier, actif réel de prédilection du consommateur doit être surveillé. Dans certains pays européens, notamment nordiques, le recours élevé à l’endettement (jusqu’à 194 % du revenu brut disponible des ménages danois !) et le poids du crédit taux variable (90% de la dette des ménages finlandais !) crée un cocktail explosif.

S’il a alimenté la hausse spectaculaire des prix — multipliés par 2,1 entre 2010 et 2021 au Luxembourg, par 2 en Autriche, par 1,8 en Allemagne, Suède, Norvège, contre par 1,3 en France —, il peut aussi la défaire, rendant les « fonds propres » des ménages plus fragiles et le service de la dette potentiellement problématique.

Concentrant 49 % de leurs investissements en bureaux et 15 % en commerces, les loyers des SCPI conservent une certaine sensibilité au cycle économique. Plus préoccupantes, celles qui ont recours à l’excès d’endettement pour doper les rendements servis risquent de devoir être les premières à liquider des participations. A ce titre, la décision de Blackstone de limiter les retraits sur son Real Estate Income Trust Fund doit rappeler qu’en raison de sa liquidité limitée, cette classe d’actifs n’est pas à l’abri des déséquilibres actif-passif.

Un nouveau paradigme lent à émerger

Aussi vrai que le son ne nous parvient pas aussi vite que la lumière, les retentissements financiers du nouveau paradigme d’inflation et de taux d’intérêt ne se révèleront pas simultanément. Si les actifs cotés ont été les premiers à s’ajuster, il convient désormais de se préparer à une réaction plus lente mais non moins importante des actifs non cotés au nouveau paradigme d’inflation et de taux plus élevés.

Au gré de la désintermédiation bancaire des dix dernières années et de la baisse des taux d’intérêts, le risque d’entreprise a de façon partielle mais croissante migré des bilans bancaires (publiés tous les trois mois par les entités cotées) vers les fonds de capitaux privés.

Un nombre croissant d’entre eux ont récemment eu recours aux Collaterised Fund Obligations, qui permettent de restructurer les fonds propres ou quasi fonds propres de plusieurs centaines de sociétés en participations en un produit obligataire, dont l’actif n’est plus identifiable. Ils servent un rendement croissant du niveau de risque des tranches offertes. Que ce soit leur acronyme (CFO) ou leur fonctionnement, ces produits rappellent tristement les CDO de 2008…

Achevé de rédiger le 9 décembre 2022

Thomas Planell - DNCA

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