L’inflation : un caractère transitoire ou durable ?

Asset Management - Après une phase de rattrapage, les marchés financiers entrent dans une nouvelle phase. Faut-il craindre une spirale inflationniste durable ? L'éclairage de Jean-Jacques Friedman, Directeur des investissements de VEGA Investment Managers — filiale de Natixis Wealth Management (Natixis IM).

Lors de notre dernière lettre, nous indiquions que le marché, après avoir connu une phase de rattrapage des secteurs de l’économie traditionnelle, entrait dans une nouvelle séquence. Les investisseurs se mettaient alors en quête d’identifier de nouveaux relais possibles, au-delà de préoccupations très ponctuelles qui font varier les cours sur quelques séances.

En l’absence de ces relais, deux thèmes ont constitué les points d’attention du mois dernier : la saison de publication des résultats des entreprises pour le premier trimestre — qui n’a pas suscité de réaction particulière car de très bonne facture — et l’inflation.

Un marché plus volatil

S’il existait selon nous des éléments militant pour une accélération de la hausse des prix à court terme, nous n’envisagions pas de réelle spirale inflationniste faisant entrer en jeu la hausse des salaires. Avec les nouvelles formes d’organisation du travail, la productivité s’améliore et pèse négativement sur les salaires, et ce malgré quelques goulets d’étranglement identifiés sur des emplois de service actuellement médiatisés en cette période de réouverture de l’économie.

Après une progression de six mois en continu, le marché s’est donc montré plus volatil en mai, alternant les séances de hausse et de baisse. En Europe, il a même connu six séances d’une amplitude supérieure à 1 %. Ces volte-face quotidiennes ont surtout été alimentées par les questionnements qui ont suivi la publication d’un chiffre d’inflation ressorti à 4,2 % aux Etats-Unis, largement au-dessus des attentes (3,6 %).

Vers l’embellie conjoncturelle

Face à une telle accélération des prix, alimentée par l’augmentation des cours des matières premières et des intrants, certains membres de la Fed ont demandé à ouvrir les débats autour du tapering, c’est-à-dire la diminution des achats d’actifs mensuels de la banque centrale. Mais le président de l’institution, Jerome Powell, a repoussé l’échéance de ces discussions, accréditant ainsi le scénario d’une inflation « transitoire ».  

Sur le plan macro-économique, les publications sont restées très favorables, avec des indicateurs des directeurs d’achat qui se situent sur des niveaux records aux Etats-Unis comme en Europe, laissant présager un fort rebond de la consommation dans les mois à venir. Mécaniquement, les grandes institutions de prévisions économiques, ont revu à la hausse les perspectives de croissance des économies développées. Pour l’Europe, la Commission européenne, envisage ainsi désormais une croissance de 4,3 % en 2021 et 4,4 % en 2022 (contre 3,8 % initialement).

Valeurs cycliques au premier rang

D’un point de vue boursier, ce sont les secteurs les plus en lien avec la consommation comme la distribution ou l’automobile qui ont constitué les plus fortes hausses, notamment aux Etats-Unis, d’autant plus qu’un projet de budget de « réinvention » de l’économie américaine d’un montant de 6 000 milliards de dépenses est promu par Joe Biden

Les valeurs bancaires, sensibles aux perspectives de hausse des taux d’intérêt, ont également bien performé dans ce contexte. Enfin, la plus grande nervosité des marchés en mai s’est également traduite par la chute du bitcoin, de plus d’un tiers de sa valeur, après sa formidable hausse du début d’année. Dans ce contexte, notre scénario d’investissement continue d’écarter la probabilité d’une spirale inflationniste par une hausse des salaires. 

En outre, par rapport à notre anticipation de début d’année qui identifiait une courbe « en cloche » de l’inflation, nous considérons aujourd’hui que cette dernière pourrait se maintenir plus longtemps sur des niveaux élevés et donc que les discussions autour du tapering de la Fed pourraient avoir lieu dès la seconde partie de cette année, avec comme conséquence une remontée des taux sur la période à venir.

Diversifier par secteurs et zones

Aussi, nous continuons à diversifier au maximum nos portefeuilles, en complétant notre préférence traditionnelle pour les valeurs de croissance par des dossiers notamment liés à la consommation et l’automobile. Nous indiquions le mois dernier avoir modifié notre exposition aux marchés actions pour revenir à la neutralité ; notre objectif, cet été, est de tirer davantage parti des évolutions en relatif des secteurs et des zones géographiques. 

Du fait de la constitution sectorielle des indices, cette stratégie favorise le marché européen par rapport au marché américain. Au-delà des valeurs cycliques européennes, le segment des mid caps constitue également une source de diversification. Enfin, sur les marchés émergents, que ce soit en Asie ou en Amérique latine, les perspectives d’amélioration de la vaccination devraient permettre, là encore, une meilleure performance relative.

Des scénarios alternatifs liés au rythme d’évolution des taux

Un scénario de remontée progressive des taux peut encore offrir un soutien au marché actions, notamment sur des zones où l’économie traditionnelle est bien représentée, comme la zone euro ou le Japon. Mais c’est surtout le rythme d’évolution des taux qui conditionnera les scénarios alternatifs.

Une hausse trop rapide pénaliserait négativement les marchés actions, et plus particulièrement les marchés américains et le segment des valeurs technologiques. Les valeurs technologiques sont sensibles à l’anticipation d’une remontée des taux d’intérêt car leur valorisation dépend des bénéfices futurs, qui se déprécieraient en cas de hausse des taux.

Achevé de rédiger le 11 juin 2021 

Jean-Jacques Friedman - Natixis Wealth Management

Directeur des Investissements (CIO)

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