Le marché de l’emploi commence à se refroidir, mais à quelle vitesse ?

Asset Management - Aux Etats-Unis, les taux d'emplois vacants et de démissions demeurent à des niveaux quasi-historiques. Quels sont les conséquences sur l'économie mondiale ? Les explications de Xavier Chapard, Recherche & Stratégie chez La Banque Postale Asset Management (LBP AM).

Dans un contexte de liquidité faible en raison des nombreux jours fériés à travers le monde, les marchés d’actions restent volatiles mais sans vraiment de tendance alors que les marchés de taux se tendent davantage. L’appétit pour le risque se reprend légèrement après que les PMI manufacturiers à travers le monde aient rassuré sur le risque de ralentissement abrupt de l’économie à court terme. 

En effet, le PMI (indice des directeurs d’achat) mondiale se stabilise en mai après deux fortes baisses et reste en territoire de croissance à 52,4pt. Mais, les taux d’intérêts longs termes pèsent toujours sur les marchés d’actifs risqués, avec un taux américain sur dix ans revenu proche des 3%, un taux allemand dépassant les 1,25% pour la première fois depuis 2014 et un écart de taux entre l’Italie et l’Allemagne de nouveau au-dessus des 200pb.

Ces nouvelles tensions sur les taux s’expliquent par des discours agressifs des banquiers centraux et par la persistance des craintes inflationnistes. La vice-présidente de la Fed n’envisage pas que la Fed fasse une pause dans ses hausses de taux après septembre, ce qui fait craindre aux marchés que la Fed pourrait continuer à augmenter ses taux à un rythme de 50pb par réunion après l’été (contre des hausses de 25pb anticipées). 

120 dollars par baril

Côté BCE, plusieurs membres de la BCE discutent de la possibilité de monter les taux de 50pb plutôt que de 25pb en juillet (une possibilité à laquelle les marchés attachent une probabilité d’une chance sur trois désormais). Les prix du pétrole restent proches des 120 dollars par baril après que les pays de l’OPEP+ se soient mis d’accord sur une hausse un peu plus rapide qu’attendue de leur production cet été. 

Nous ne pensons pas que cet accord change vraiment la donne sur le marché du pétrole, en particulier parce que la plupart des pays de l’OPEP+ ne peuvent plus augmenter leur production et que l’Arabie Saoudite ne s’engage pas à compenser les moindres augmentations de productions des autres pays. Le prix du pétrole devrait donc rester élevé tant que la reprise économique n’est pas remise en cause.

Comme tous les premiers vendredis du mois, l’attention des marchés va être concentrée sur les rapports emplois américains pour le mois de mai. L’évolution du marché de l’emploi est encore plus importante qu’habituellement en ce moment, car c’est elle qui va montrer si l’économie américaine atterrit en douceur ou de façon abrupte après le rebond post-Covid et si la Fed doit ajuster sa stratégie de normalisation monétaire dans un sens ou dans l’autre. 

Les derniers chiffres suggèrent que le marché du travail américain reste très tendu, mais ne se tend plus d’avantage, et que les créations d’emplois commencent à ralentir sans s’effondrer. Ainsi, l’emploi privé a continué d’augmenter en mai, mais moins qu’attendu selon l’enquête ADP (+128 milles). La Fed souhaite un ralentissement de l’emploi pour permettre une détente des pressions salariales, sans générer un retournement du marché de l’emploi qui entraînerait une récession. C’est possible selon nous, mais cela sera difficile et risqué.

Les pays membres de l’OPEP+ ont annoncé qu’ils augmenteraient leurs quotas de production un peu plus vite en juillet et en août, de 648 mille barils par mois contre 400 depuis l’été dernier. Cela implique que la restauration de l’offre de pétrole de l’OPEP+ à la suite du choc du Covid sera achevée un mois plus tôt que prévu (en août).

L’Arabie Saoudite a cherché à trouver un équilibre entre les différentes pressions. D’un côté, elle répond aux pressions croissantes des Etats-Unis qui poussaient pour une augmentation de la production saoudienne plus rapide afin de. limiter la hausse des prix à la pompe (qui sont déjà à un plus haut historique à 4.7 dollars par gallon) durant la période de forte consommation de l’été et de pouvoir montrer que l’administration agit contre l’inflation à l’approche des élections de mi-mandat de novembre. 

D’un autre côté, l’impact de l’accord de l’OPEP+, hier, n’augmente l’offre de pétrole que de 0,2 millions de barils par jour en juillet et août par rapport aux anticipations, soit de 0,2% de la production mondiale, ce qui ne change pas fondamentalement la donne sur le marché du pétrole. Surtout, la hausse de quota est répartie proportionnellement entre tous les pays de l’OPEP+ (dont la Russie), alors que le marché espérait que l’Arabie Saoudite allait augmenter davantage sa production pour compenser le fait que la Russie, et d’autres pays, ne peuvent pas augmenter leur production. 

Cela montre que l’Arabie Saoudite souhaite continuer de bénéficier d’un prix du pétrole élevé et souhaite surtout maintenir l’unité de l’OPEP+ et ses relations amicales avec la Russie. Cela peut lui être très utile à l’avenir si une nouvelle baisse de production généralisée était de nouveau nécessaire pour stabiliser le marché.


La hausse de production de pétrole des pays de l’OPEP+ sera probablement bien inférieure à la hausse des quotas annoncée hier. Bien sur la production Russie risque de baisser encore en raison des sanctions occidentales qui contraignent les exportations russes. L’Agence International de l’Energie estimait mi-mai que la production de pétrole de la Russie avait baissé de 1,5 millions de barils par jour en avril et anticipe une baisse de trois millions de barils par jour à partir de mai. 

Cette baisse pourrait être plus importante que cela après que l’UE ait finalisé l’accord sur l’embargo partiel du pétrole russe et que les pays occidentaux aient annoncé une interdiction d’assurer les pétroliers transportant du pétrole russe. Mais, cela va au-delà de la Russie, car la plupart des membres de l’OPEP+ peinent à augmenter leur production malgré la hausse de leurs quotas en raison de capacités limitées. 

Seuls, l’Arabie Saoudite, les EAU et l’Irak semblent avoir la capacité d’augmenter nettement leur production (en plus de l’Iran dont la situation dépend des avancées sur l’accord nucléaire avec les Etats-Unis), mais l’accord d’hier ne suggère pas une compensation du manque de production des autres pays membres de l’OPEP+.

L’emploi aux Etats-Unis

Le taux d’emplois vacants et le taux de démissions sont restés proches de leurs plus hauts historiques en avril et il y avait toujours deux fois plus d’emplois vacants que de chômeurs aux Etats-Unis. Pour mai, plus de la moitié des PME indiquent avoir des postes non pourvus, égalant le record de septembre.

Clairement, le marché du travail américain reste à son niveau le plus tendu depuis des décennies. Cela dit le niveau de tension semble se stabiliser depuis avril. En effet, le taux de chômage est resté stable en avril (à 3.6%) et le taux d’emplois vacants a légèrement baissé (de 7.3% à 7%). Le sentiment des ménages sur le marché de l’emploi reste très élevé, mais a commencé à baisser assez nettement en avril et mai.

Les données publiées hier ont été mitigées, mais globalement cohérentes avec un ralentissement seulement graduel de la croissance de l’emploi. D’un côté, les demandes d’allocations chômage, qui augmentaient légèrement ses dernières semaines, ont de nouveau baissé dans la seconde partie de mai, avec un stock de demandes d’allocations atteignant son plus bas niveau depuis les années 1960. Ce n’est pas le signe d’un retournement du marché du travail. 

D’un autre côté, les créations d’emplois dans le secteur privé ont ralenti plus qu’attendu en mai selon l’enquête ADP. À 128 milles en mai après 202 milles en avril, les créations d’emplois ralentissent pour un troisième mois consécutif et sont au plus bas depuis le début de la reprise, même si elles restent largement positives. Bien que la corrélation entre cette enquête et le rapport emploi officiel publié aujourd’hui ne soit pas parfaite, cela suggère que les créations d’emplois pourraient décevoir. Et si l’enquête ISM auprès des industriels en mai a montré que l’activité résistait, la sous-composante emploi a baissé sous la limite des 50pt pour la première fois depuis le début de la reprise en 2020.

Si le ralentissement de la croissance de l’emploi aux Etats-Unis se confirme, il reste à savoir si cela est dû à un ralentissement de l’activité économique, comme c’est le cas habituellement, ou à un manque de main d’œuvre disponible. Cette distinction est fondamentale et les données actuelles ne permettent pas de trancher clairement entre ces deux solutions. 

Dans le premier cas, cela serait un bon signe pour la Fed, qui a répété ces dernières semaines que le marché de l’emploi était en surchauffe et qu’il devait ralentir pour que les pressions salariales se détendent et redeviennent compatibles avec une inflation de 2% à moyen terme. Et dans ce cas, comme toujours lors de ralentissements, le risque serait que le ralentissement soit trop marqué et conduise à une récession. Cela devrait pousser la Fed à être plus prudente au-delà des hausses de taux déjà anticipées pour les prochains mois. 

Mais, dans le second cas, si les employeurs ne trouvent plus de candidats, cela indiquerait que le marché de l’emploi est encore plus tendu qu’on ne le pense et que les pressions salariales pourraient continuer de progresser. Alors la Fed devrait être encore plus agressive dans son resserrement monétaire pour réduire la surchauffe de l’économie et contrôler les pressions inflationnistes.

Pour mieux voir si le ralentissement de l’emploi est dû à un problème d’offre ou de demande, il va falloir regarder de très près l’évolution des salaires. Nous tendons à penser que les deux éléments jouent un rôle actuellement et que les salaires pourraient commencer à ralentir avec la croissance à partir de l’été, mais pas de façon abrupte de telle sorte qu’ils resteraient au-dessus du niveau compatible avec une inflation revenant à 2% au moins jusqu’en 2023. 

Avec cette hypothèse, nous anticipons que la Fed continuera à remonter ses taux au S2 2022 mais pas plus vite que ne l’anticipent déjà les marchés (les futures anticipations indiquent un taux de 2,8% en fin d’année). En revanche, elle pourrait devoir remonter ses taux plus qu’attendu en 2023 (le marché anticipe un taux maximal à 3,3%). 

Dans ce contexte, les taux d’intérêts américains longs pourraient osciller autour de leur niveau actuel dans les prochains mois même si les risques restent haussiers à plus long terme. Mais les incertitudes sont élevées et nous, la Fed et les marchés resterons très sensibles aux données de salaires dans les prochains mois. À commencer par les revenus horaires des salariés publiés cette après-midi.