Guerre des taux contre l’inflation : où s’abriter des tirs croisés ?

Asset Management - Le prix du baril s'élève actuellement à 115$. Un niveau qui étonne positivement. Seulement, des parallélismes situationnels avec le second choc pétrolier de 1979 apparaissent. Thomas Planell, Gérant et analyste de DNCA Investments, livre son analyse.

Outre le dollar et les matières premières — principalement le pétrole à 115$ — qui résiste particulièrement (trop) bien au risque de récession qui inquiète les marchés, il n’est nulle part où se cacher.

Tant les actions que les obligations sont vendues : les investisseurs coupent la sensibilité de leur portefeuille à presque tous les facteurs de risques qu’ils peuvent identifier : risques de taux, risque de crédit, risques d’entreprise… A chaque hausse surprise (75 points de base contre 50 attendus par la FED, première hausse de la Banque nationale suisse depuis plus de 20 ans), les probabilités de récession s’affolent et la fuite des actifs cotés en faveur du cash, principalement du dollar, s’accélère.

Reprise de l’économie chinoise

Malgré l’extrême pessimisme (l’indice Bull vs. Bear est au plus bas depuis 2009), les indices Vstoxx et Vix restent contenus. A 32, à l’aube d’une récession économique, le prix de la volatilité est en réalité historiquement peu cher par rapport aux chocs de marché précédents… Les acheteurs d’options de vente, nombreux, ne bénéficient pas (au travers du véga) de la réalisation tant espérée de la volatilité…

Malgré son prix faible, la volatilité n’est pas pour autant un gage absolu de protection. Dans un scénario où, intégrant déjà de nombreuses mauvaises nouvelles, les marchés deviendraient temporairement immobiles, les positions acheteuses de volatilité souffriraient également…

Il n’est pas certain que les actifs refuges des six premiers mois de l’année continuent de protéger les portefeuilles cet été. Après avoir bien résisté aux replis précédents du marché, les valeurs pétrolières cèdent du terrain, elles aussi. Malgré une offre contrainte insuffisante à satisfaire une demande qui tutoie les niveaux pré-covid, elles font aussi les frais de l’aversion pour le risque qui se propage à tous les secteurs.

En cas de réouverture totale de l’économie chinoise, rien n’interdit de penser que le pétrole puisse culminer entre 150 & 175$. Dans le contexte actuel, surtout en Europe avec la faiblesse de l’euro, cela équivaudrait quasiment à un nouveau choc pétrolier.  La Chine, d’ailleurs, semble particulièrement sensible au cours du brut : elle ne mise pas tout sur son partenaire russe et négocie actuellement avec le Qatar pour prendre des participations dans des champs pétrolifères locaux.

Sur fonds de tensions géopolitiques extrêmes avec les USA autour de la question taïwanaise, Xi Jinping continue de positionner ses pions stratégiques sur le planisphère des matières premières. En 2022, l’accès au pétrole reste au cœur des enjeux de puissance. Peut-être même plus que jamais.

Un parallèle avec le second choc pétrolier

L’intensité pétrolière du PIB s’est pourtant contractée très nettement depuis le second choc pétrolier de 1979. D’ailleurs, beaucoup de choses rappellent le moment délicat de l’arrivée de Volcker à la FED. A ce moment-là, l’un de ses prédécesseurs, Arthur Burns, dresse un constat auquel la situation actuelle fait ironiquement écho.

Le financement de la guerre (le Vietnam à l’époque, celle contre la Covid 19 en 2020), le boom économique de 1972-73 (que rappelle la forte reprise économique qui succéda aux confinements), les mauvaises récoltes et l’explosion des denrées agricoles de 74-75, la hausse extraordinaire du pétrole et la baisse de la productivité… seraient les causes du sursaut d’inflation qui s’abattait sur le pays,  le précipitant vers la stagflation.

Différence principale avec 1979 : le chômage est aujourd’hui presque deux fois moins élevé qu’à l’époque ! Rappelons-nous que la politique monétaire expansionniste qui précéda l’ère Volcker visait à le combattre, en vain… Bonne ou mauvaise nouvelle ? Difficile à dire… car un marché de l’emploi en surchauffe ne facilite pas le travail de Jay Powell. En effet, pour l’instant, sur le bureau du Président de la FED, les rapports d’activité qui s’amoncèlent mois après mois sont bons, trop bons pour conclure aux premiers signes de dégonflement de l’activité qui augurerait d’un pic d’inflation.

Cette situation de plein emploi va-t-il le forcer à continuer de remonter ses taux plus agressivement que prévu à chaque rendez-vous de politique monétaire ? Tout dépendra des données qui tomberont entre aujourd’hui et le Symposium de Jackson Hole… C’est peut-être à ce moment-là que les premiers signes de ralentissement tangibles seront constatés et que la proximité de la récession se fera sentir. Alors, si toutes les conditions sont réunies, quelque-chose dans le discours hawkish de Jay Powell pourrait s’infléchir…

Au fur et à mesure de données précisant l’imminence récessive, le dollar, très cher par rapport à l’ensemble des devises de la planète, pourrait alors montrer les premiers signes de faiblesse. Le dollar, roi des actifs du premier semestre 2022, n’est pas non plus affranchi de tout risque… Malheureusement, dans la guerre des taux qui fait rage, il n’est nul abri où se cacher…

Thomas Planell - DNCA

Gérant analyste

Voir tous les articles de Thomas