Géopolitique : le seul « game changer » pour les marchés ?

Asset Management - Les marchés financiers sont chahutés depuis le début de l'année. Le contexte géopolitique est-il le seul "game changer" ? L'éclairage d'Alexandre Baradez, Responsable de l’analyse marchés chez IG France.

La fin du trimestre approche et les thèmes qui ont enflammé les marchés sur la première partie de l’année sont toujours présents : inflation, géopolitique et dynamique économique avec des craintes persistantes sur l’économie chinoise freinée par des mesures de confinement persistantes.

La piqûre de rappel concernant la détermination des banques centrale a été violente à Jackson Hole avec le discours lapidaire et expéditif du président de la Fed. Des éléments de langage moins nuancés que lors de la réunion de juillet, éteignant l’hypothèse de la proximité d’un pivot et ramenant les marchés financiers à la réalité du durcissement monétaire. La BCE a également décidé de muscler son discours ces dernières semaines : que ce soit Christine Lagarde ou d’autres membres de la BCE, l’accent a été mis sur la nécessité de remplir le mandat concernant la stabilité des prix, quitte à sacrifier une partie de la croissance pour y parvenir et au risque de tutoyer la récession.

Le repli du prix du transport maritime

Fed ou BCE, les discours se ressemblent assez : il faut agir vite et fort pour arriver rapidement au taux neutre, car l’impact économique sera moindre que si l’inflation s’installe à cause de mesures insuffisantes. Le rebond plus prononcé que prévu de l’inflation « core » aux Etats-Unis (hors alimentation et énergie) laisse peu de marge de manœuvre à la Fed pour le 21 septembre : alors qu’on s’orientait vers une hausse de 50 ou 75 points de base de la fourchette de taux, ce sera plutôt un match entre 75 ou 100 points de base.

Mais, il n’est pas impossible que nous soyons en train d’atteindre le pic agressivité de la Fed au troisième trimestre. En effet, plusieurs signaux « faibles » vont dans le sens d’un confirmation que le pic inflation a déjà été atteint : dans les indicateurs avancés que sont les PMI, ISM ou encore les indices d’activité publiés par les Fed régionales, la composante « prix payés » de ces indicateurs se replie partout, et parfois de façon prononcée, signe que la hausse des prix ralentit et cela devrait se traduire plus vigoureusement dans les chiffres d’inflation qui seront publiés tout au long du dernier trimestre.

On note également le repli sensible du prix du transport maritime mondial : alors qu’il fallait plus de 11 000 dollars en moyenne pour déplacer un conteneur maritime de 40 pieds il y a un an, il ne faut « plus » que 4 500 dollars désormais. Ce n’est pas encore un retour à la normale mais les problèmes logistiques sont en net repli ce qui détend les prix.

Les prix à la production en Chine

L’énergie s’est également nettement détendue, notamment le pétrole qui est revenu dans des zones de prix que nous connaissions déjà il y a quelques années, au sortir de la crise des subprimes par exemple, et qui n’étaient pas incompatibles avec la croissance économique ou encore la hausse des marchés actions. Pour mémoire, entre 2011 et 2014, le pétrole WTI a évolué à un prix moyen supérieur à 90$ le baril.

Autre facteur intéressant : la progression des prix à la production en Chine a fortement ralenti, elle n’est plus que de 2,3% en rythme annuel (août) contre 13,5% en octobre 2021. La Chine exporte donc beaucoup moins d’inflation qu’il y a quelques mois.

La Chine reste un facteur de préoccupation avec un ralentissement marqué de sa croissance ces derniers mois, en raison du ralentissement de la demande mondiale mais aussi de la demande intérieure lié à la politique « zéro covid » qui persiste. La dernière série de données mensuelles (ventes au détail, production industrielle, investissement) a toutefois montrée des chiffres meilleurs qu’attendu en parallèle de mesures de soutien économique annoncées par le pouvoir central, ainsi que la banque centrale, avec notamment l’assouplissement des ratios prudentiels pour les banques. Le dernier trimestre pourrait marquer le début de la stabilisation de l’économie chinoise, le secteur immobilier reste sous tension mais pour l’instant « l’atterrissage » du secteur reste relativement ordonné. A ce stade, et malgré la fragilité de nombreux acteurs du secteur, il n’y a toujours pas eu d’évènement de type « Lehman » …

Le « game changer »

Reste la situation géopolitique qui pourrait bien être le « game changer » vers une stabilisation des marchés et de l’économie mondiale. Même si les indices de matières premières ont, en moyenne, effacé la hausse post invasion de l’Ukraine, la pression sur le secteur des « commodities » reste présente et continue de créer un stress pour l’activité économique. Le prix du gaz naturel en Europe s’est un peu détendu en septembre malgré l’arrêt des livraisons via le gazoduc Nord Stream 1. Si on prend un contrat de référence pour le gaz naturel en Europe qu’est le « Dutch TTF », il évolue actuellement à 180€ /MwH contre un record à plus de 340€/MwH fin août. Mais; cette baisse ne doit pas faire oublier qu’avant la crise Covid et l’invasion de l’Ukraine, les prix moyens s’étalaient entre 10 et 30€/MwH…

Même si l’Allemagne se veut un peu plus rassurante concernant l’hiver qui approche et la disponibilité de l’énergie, la pression reste à ce stade très importante sur les entreprises allemandes et plus largement européennes, sur les consommateurs et donc sur les marchés financiers. Entre les problématiques d’énergie et d’inflation, qui sont en partie (mais pas seulement) liées, les investisseurs ont besoin de visibilité sur les résultats à venir des entreprises. Le CAC40 se paie actuellement 10 fois les bénéfices et le DAX 12 fois (contre près de 19 fois les bénéfices pour le SP500). Ce ne sont pas des multiples très élevés d’un point de vue historique mais ils pourraient se dégrader si l’approvisionnement en énergie se compliquait dans les mois qui viennent.

Il semble donc que le « game changer » pour les marchés financiers, et notamment pour les indices actions européens soit la géopolitique. En cas de stabilisation voire de détente, l’effet sera visible rapidement sur les prix par une détente supplémentaire des matières premières, entraînant une moindre pression sur les taux et donc, par effet collatéral, sur les marchés actions car elle permettrait aux banquiers centraux (surtout la BCE) d’avoir une meilleure visibilité sur la trajectoire des prix et de l’économie.

Alexandre Baradez - IG France

Responsable Analyses Marchés

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