Finance Comportementale – Opus 2/3

Asset Management - Tout au long du mois d’août, Quantology Capital Management et Le Courrier Financier vous présentent trois ouvrages de référence dans le domaine de la Finance Comportementale. Premier opus : « Thinking. Fast and Slow » (en français : « Système 1 / Système 2 : Les deux vitesses de la Pensée ») de Daniel Kahneman, publié en 2011. Cette semaine, deuxième opus : « La Sagesse des Foules » de James Surowiecki, publié en 2004.

Une foule intelligente ?

En 2020, les investisseurs individuels sur la plateforme Robinhood® font en moyenne mieux que les investisseurs professionnels ! Dans son ouvrage La Sagesse des Foules, publié en 2004, le journaliste américain James Surowiecki s’intéresse au concept d’intelligence collective. Face à l’aléa, le choix d’une population « non-experte », nombreuse et sans aucune influence d’un individu sur l’autre a tendance à effectuer de meilleures appréciations qu’un panel d’experts.

Ceci s’explique par le fait que, chaque individu disposant de la même information, au même moment, fait son estimation propre, en toute indépendance, les erreurs commises par les uns compensant les erreurs des autres, faisant converger la moyenne des estimations (la décision collective) vers la vraie valeur ou la meilleure décision.

A cet égard, il est intéressant de noter qu’il est très rare qu’une estimation individuelle soit plus proche de la vraie valeur que la moyenne de ces mêmes estimations individuelles. Autrement dit, un individu peut se comporter de façon irrationnelle, mais une « foule » ou un collectif d’individus irrationnels a tendance à se comporter comme un agent rationnel.

Quelques exemples

Qui aurait cru que ce serait le plus grand pourfendeur de la foule qui amènerait un exemple le plus célèbre de son intelligence, j’ai nommé Sir Francis Galton ? En 1906 lors d’une kermesse en Angleterre, le scientifique du nom de Francis Galton assiste à un jeu collectif au cours duquel les intervenants doivent — indépendamment — évaluer le poids d’un bœuf.

Sir Galton a collecté et analysé tous les bulletins : si certains se situaient beaucoup trop haut ou d’autres beaucoup trop bas, la majorité tournait autour du poids moyen estimé, ce qui donnait une courbe en cloche, néanmoins sans qu’aucune estimation individuelle se rapproche autant de la vraie valeur que la moyenne de l’ensemble des estimations — y compris les plus farfelues — qui s’établissait à 1 197 livres, soit seulement 1 livre de moins que le poids réel du bœuf, soit une erreur inférieure à 0,1 %. Même un brillant vétérinaire aurait eu du mal à faire aussi bien que la foule ! 

Prenez l’exemple du panier garni dont il faut deviner le poids lors de la fête de l’école du petit dernier : pour maximiser vos chances de le décrocher, attendez la fin de la journée pour vous y rendre, et proposez la moyenne des estimations faites par vos prédécesseurs. Il y a de grandes chances que vous soyez l’heureux gagnant ! Merci à Eric B. qui a la paternité de l’exemple et qui se reconnaîtra.

Pourquoi cette connotation péjorative et le recours aux « experts » ?

Avec un siècle de retard, l’ouvrage de James Surowiecki s’inscrit comme une réponse magnifique à Psychologie des Foules, rédigé par Gustave Le Bon en 1895, ce juste après les périodes de troubles boulangistes qui ont failli faire tomber la Troisième République. Ces écrits et le contexte post-eugéniste de l’époque sont à l’origine de la connotation — péjorative en français — associée au terme « foule ». Mais le « bon sens populaire » qui dérive de la sagesse des foules est utilisé dans certains domaines :

  • en France, les jurys d’assises sont composés de citoyens non professionnels de justice ;
  • en Suisse, les votations permettent aux citoyens de s’exprimer sur des sujets politiques assez fréquemment.

Posons la question de la légitimité des dits « experts ». Qu’est ce qui leur confère cette légitimité, si ce n’est souvent leur seule présence médiatique qui auto-alimente leur célébrité et donc leur compétence supposée ? C’est le fameux « vu à la télé ». Essayez de gagner de battre le marché en suivant les conseils boursiers « avisés » des professionnels de la finance que vous voyez à la télévision ou que vous lisez dans les journaux. S’ils sont si compétents, pourquoi ne sont-ils pas encore millionnaires et ont-ils ncore besoin de s’exposer ?

Plus récemment, la crise du Coronavirus a totalement décrédibilisé les « experts », à force d’articles scientifiques trafiqués et d’arguments contradictoires : nous sommes finalement bien obligés de nous raccrocher au bon sens populaire. A ce sujet, réfléchissez à la pertinence des multiples proverbes qui jalonnent la langue française, entre autres ; ils constituent une magnifique illustration de la sagesse de générations qui se sont succédé et qui nous ont précédés.

En réalité, plus la complexité, l’aléa ou le nombre de dimensions du problème est élevé, plus la foule ignorante — sous conditions d’indépendance des acteurs, non influence, etc. — va surperformer « l’expert ». Par contre, au fur et à mesure que la complexité diminue,
l’avantage de la foule tend à disparaître. Le livre de James Surowiecki nous fait réfléchir et réhabilite la notion de sagesse populaire, battue en brèche par l’avènement de « l’expertocratie ».

Une lecture rafraîchissante, propice à l’introspection.

Julien Messias - Quantology Capital Management

Fondateur - Gérant de fonds

Voir tous les articles de Julien