Europe : les obligations d’entreprises sont-elles de nouveau attractives ?

Asset Management - Le High Yield européen traverse une période de forte volatilité. Faut-il s'attendre à de nouveaux points bas sur les marchés suite au coronavirus ? Comment cela se traduit-il sur les marchés obligataires ? L'équipe de gestion de Keren Finance propose son éclairage.

Ce Flash marché a été rédigé le 23 mars 2020 par l’équipe de gestion de Keren Finance.

Les marchés ont déjà accusé une baisse violente suite à la pandémie, faut-il s’attendre à voir de nouveaux points bas ?

Nous n’avons pas beaucoup de recul à ce jour, mais ce que nous constatons jusqu’à présent c’est que les marchés semblent plus focalisés sur le décompte de la contamination et le nombre de décès que les divers plans de relance.La violence de la baisse s’explique surtout par le fait que la plupart des intervenants ont sous-estimé la crise sanitaire et ses conséquences. Ils l’ont perçu, au début, comme très localisée (Chine) et de courte durée, n’ayant des conséquences uniquement sur la supply chain et l’offre de certains biens.

Nous croyons également que la plupart des intervenants ont pensé que l’ampleur de la contamination en Chine était étroitement liée à un système de santé défaillant et loin des standards européens ou US. De ce fait, ils n’ont jamais imaginé la situation que nous vivons aujourd’huiSuite à cela, et au vu des mesures strictes de confinement, les investisseurs ont compris que la pandémie n’avait pas seulement pour conséquence un problème d’offre mais aussi de demande. La chine de 2003 (SRAS) ou de 2009 (H1N1) n’est pas la Chine aujourd’hui. Elle contribue à 30 % à la croissance mondiale.

Enfin, qui aurait pu imaginer un tel développement de la maladie à travers le monde entraînant un quasi arrêt de l’économie ? Cette violente chute des marchés illustre la différence entre le risque et l’incertitude. Nous sommes, pour l’instant, encore dans l’incertitude. Nous ne connaissons pas l’ampleur de la contamination aux Etats-Unis et ses conséquences économiques et plus généralement nous n’avons pas d’idées précises sur la durée de cette crise. Cela autorise des mouvements erratiques et déraisonnés de la valeur des actifs financiers.

Les différents marchés actions ont au plus fort de la crise baissé de près de 40 %, il n’est pas impossible d’envisager que ceux-ci baissent à nouveau mais d’une ampleur beaucoup plus faible à la recherche d’une consolidation.

Comment cela se traduit sur les marchés obligataires ?

Les marchés obligataires sont des marchés de gré à gré où la nécessité de communiquer est impérieuse car elle participe à la fluidité du marché et à la perception du juste prix des actifs. Nous constatons qu’il est actuellement plus difficile de traiter même si des acheteurs et des vendeurs sont bien présents via le télétravail. Les acteurs les plus nombreux sur le marché sont les anglais pour la plupart et les porteurs finaux sont peu représentés. La place est donc fortement laissée à des hedges funds et autres spéculateurs ayant une connaissance des émetteurs très approximative.

De nombreuses banques ont fermé leur book, elles ne contribuent plus à la formation des prix et n’assurent plus la liquidité ; au lieu de cela, elles se font le relais des spéculateurs et des vendeurs forcés en proposant des prix éloignés de parfois plus de 10 % des prix de marché ; cela se constate dans les intérêts dévoilés (runs ou axes) aux intervenants déstabilisant le marché. Il est particulièrement difficile, pour un gérant, d’avoir une idée de la profondeur de la demande. Et dans cet environnement stressé, la tentation est grande de mettre de côté les fondamentaux et ses prétentions.

La préférence pour la liquidité est le seul but recherché par les intervenants. Les prix actuels reflètent clairement des situations de ventes forcées, de profonde récession avec des taux de défauts élevés et des taux de « recovery » faibles. Ils ne sont plus nécessairement en rapport avec la valeur des actifs mais sont surtout guidés par la panique et les sorties pressenties de capitaux. 

Certaines obligations d’entreprises baissent fortement car les prix ne sont pas uniquement validés par des transactions mais aussi par des variations de prix initiées par des traders que nous sommes obligés de prendre en compte dans la valorisation quotidienne des fonds. Les récentes tensions sur les emprunts d’Etats ont amplifié ce mouvement mais il semble que les interventions des banques centrales aient inversé la tendance. Plus que jamais la performance future sur le Crédit va être lié à :

1/ la capacité à ne pas être « vendeur forcé » dans cette période

2/ Éviter les défauts qui vont apparaître probablement rapidement désormais.

Poursuivons cette analyse : 

Depuis notre communication du 1er mars, voici l’évolution des principaux indicateurs/indices que nous évoquions :

  • 10 ans Allemand : -0,33 %, avec une oscillation de 75bp sur 10 jours (-0,90 % / – 0,15 %) ;
  • 10 ans Français : +0,10 %, avec une oscillation de 65bp sur 10 jours (-0,40 % / +0,35 %) ;
  • 10 ans Américain : +0,85 %, avec une oscillation de 60bp sur10 jours (+0,55 % / +1,20 %) ;

Pour rappel, nous parlons ici des obligations les plus liquides de la planète qui ont donc vu leur prix varier de plus de 6,5 % en moyenne. Nous ne détaillerons pas ici l’ensemble des informations envoyées par les banques centrales et les gouvernements mais vous trouverez ci-dessous les principales (d’autres mesures devant être annoncées sous peu) :

  • Lancement par la FED d’un programme de Quantitative Easing de 700 milliards de dollars et baisse des Fed fund rate à 0 %, qui doit toutefois être approuvé dont 300 milliards de dollars spécifiquement pour les entreprises ;
  • Augmentation du programme de Quantitative Easing de la BCE de 750 milliards d’euros, soit une enveloppe totale de 1100 milliards d’euros pour 2020.

A cela s’ajoutent toutes les mesures gouvernementales qui ont déjà été annoncées :

  • Déblocage d’un plan de 25 milliards pour l’Italie ;
  • 45 milliards pour la France par exemple ;
  • Le « kolossal » 550 milliards allemand ;
  • Possible plan à 2 000 milliards aux US.

Sur les actifs risqués, c’est évidemment pire : Le marché européen du High Yield de notation BB s’effondre de 15 % sur cette période contre -20 % pour l’ETF Ishare Euro High Yield. La partie Investment Grade affiche également une perte substantielle de plus de 7 %.

Alors pourquoi, malgré de telles mesures, le marché ne semble-t-il pas vouloir se stabiliser ?

Le marché se focalise aujourd’hui sur 3 principales questions :

1/ Où en sommes-nous de la propagation du virus ?

2/ Quelles en seront les répercussions économiques réelles et sur quelle période ?

3/ et enfin, quel niveau de valorisation sur les actifs risqués permet de compenser les incertitudes de deux questions ci-dessus?

Il est extrêmement difficile de répondre aux deux premières questions mais il est probable que nous parlions de mois, l’impact sur les USA et les zones émergentes n’en étant qu’à ses débuts. Toutefois la stabilisation déjà bien entamée en Chine est un signal encourageant pour les économies développés ayant décrété le confinement (Italie, France et Espagne). Concernant l’impact, Christine Lagarde vient d’indiquer 5 % de récession sur la zone euro, ce qui semble probablement un minimum vu le niveau de confinement demandé. 2020 sera d’ores et déjà à coup sur la pire année économique depuis la seconde guerre mondiale.

Reste donc à déterminer si les valorisations sont suffisamment attractives ou non.

Fondamentalement, il faut distinguer les marchés des obligations (notamment d’entreprises) et le marché actions. Aujourd’hui, tout est en place pour fournir des lignes de liquidités suffisantes aux entreprises et ne pas les conduire au défaut : report de taxes des états, vanne ouverte aux crédits par les banques centrales, congé partiel pris en charge par les états et, si cela ne devait suffire, nous pourrions assister à des annonces de non-paiement de coupon des dettes pour l’année 2020. Il s’agit d’une procédure complexe qui requiert l’accord d’une très large majorité des créanciers mais qui a déjà été utilisée par certaines sociétés en 2001 ou 2009.
De plus, les niveaux de spread intègrent aujourd’hui des probabilités de défaut relativement fortes selon différents scenarii (cf tableau ci-dessous)

Cas 1 : Normalisation rapide du Covid19 en maximum 3 mois, reprise de l’activité avec report de consommation, peu de défauts de paiement techniques sur la liquidité court terme, baisse des tensions sur le pétrole entre les membres de l’OPEP et la récession mondiale est évitée de peu (0% croissance mondiale). Dans ce scenario, le taux de défaut en Europe devrait se contenir vers 4 % ;

Cas 2 : Normalisation moyenne du Covid19 en 6 mois, reprise de l’activité avec report de consommation, quelques défauts de paiement techniques sur la liquidité court terme, le pétrole reste déprimé mais a un effet favorable sur la consommation européenne. Récession mondiale qui s’établit entre -2 % et -4 %. Dans ce scenario, le taux de défaut en Europe devrait migrer vers les 6 % à 7 %.

Cas 3 : Normalisation lente du Covid19 (plus d’un an), les secteurs de consommation non courante ou le transport/voyage durement impactés, défauts de paiement techniques sur la liquidité court terme en forte augmentation, le pétrole reste sur ces niveaux actuels mais aucun bénéfice en Europe. Récession mondiale forte qui s’établit au-delà de 5 %. Dans ce scenario, le taux de défaut en Europe devrait migrer au-dessus de 10 %.
KEREN FINANCE

Au moment où nous rédigeons ce document, l’ETF Euro High Yield affiche un spread de 1020 bp. La liquidité actuelle pèse sur les valorisations, ces dernières ne reflétant pas une valeur intrinsèque, sauf à penser que ce virus va durer plusieurs années.  Alors oui, l’année économique et boursière 2020 est d’ores et déjà probablement achevée mais, comme toujours, le pire n’est jamais certain. 

Quelle est la capacité de rebond de votre gamme de fonds utilisant principalement des obligations à haut rendement (Keren Patrimoine, Keren Corporate et Keren Haut Rendement 2025 ?

Techniquement, elle est importante car nous respectons dans nos portefeuilles les deux conditions évoquées plus haut. De plus, alors que nous avons gardé volontairement une duration très courte (environ deux années), les rendements actuariels des fonds ont littéralement explosé, prenant plus de 10 % par rapport au début de l’année ! Ainsi, nous avons actuellement plus de 16 % de rendement actuariel dans la poche obligataire de Keren Patrimoine (67 % de l’actif), 15 % dans Keren Corporate et 14 % dans Keren Haut Rendement 2025.

En terme de gestion, nous avons arbitré ces derniers jours quelques titres ayant effectué une baisse relative et absolue moins forte que la moyenne constatée au profit de titres valorisés en dehors de toute logique économique espérant un rebond marqué de ces derniers. Notre capacité à garder nos lignes et à ne pas brader notre portefeuille est la seule façon de bénéficier du rebond à venir. Certaines obligations seront remboursées dans moins de 10 mois et à leur valeur faciale.

Faut-il profiter de la situation actuelle et reinvestir ?

Notre société a 20 ans d’existence, nous avons déjà traversé des périodes de crises financières importantes. Toutes ont été suivies de rebonds plus ou moins étalés dans le temps. Cette crise n’est pas financière à l’origine mais ses conséquences économiques sont fortes. La réaction des marchés est disproportionnée car les intervenants sont dans l’incertitude et incapables de probaliser leur risque. Comme évoqué précédemment, cette classe d’actifs marque une baisse significative qui est accentuée par un phénomène de mispricing et de besoin de liquidités.

Cette dislocation du lien entre l’économie réelle et les marchés financiers est temporaire. Pour ceux qui ont le temps et l’épargne, le marché offre de très belles opportunités. Il n’y a pas de timing idéal pour investir, en ce qui nous concerne, nous attendons de voir l’impact de cette crise aux Etats-Unis et les mesures qui seront prises aux niveaux budgétaires et monétaires. Par suite, notre reinvestissement sera progressif et étalé dans le temps.

Mais le plus important dans cette période est de garder la tête froide. Pour ceux qui sont investis, surtout ne pas cristalliser ses pertes en cédant à la panique. Une fois la progression de la pandémie maitrisée, il est fort probable que la parenthèse économique se traduise par un rebond rapide des marchés. Comme à son habitude, le marché du crédit marquera la reprise par paliers successifs en fonction des secteurs d’activités, des maturités, du rating et des décotes.

Il devrait se redresser grâce :

  • l’amélioration graduelle de la liquidité à mesure que les banques centrales mettront en oeuvre leurs injections et mesures d’assouplissement ;
  • une amélioration de la perception des risques de défauts au fil de la mise en place des mesures de soutien — chômage partiel, exonération de charges sociales, reports d’impôts — que les garanties publiques se diffusent et des mesures de « self help » des sociétés (suppression des dividendes, augmentation de capital, réduction des investissements, baisse des coûts, arbitrage d’actifs, etc. ;
  • un arbitrage du risque entre rendements très élevés offerts sur le crédit avec un risque mesurable et des dividendes incertains sur les actions.


L'équipe de Gestion Keren Finance - Keren Finance

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