Europe : l’arme du gaz russe s’enraye à court terme mais les conséquences ne sont pas claires pour l’euro

Asset Management - Dans un contexte de crise énergétique cet hiver, l'euro est sous pression face au dollar. Quelles conséquences à long terme ? L'éclairage de Thomas Planell, CFA, Gérant-analyste chez DNCA Finance.

Interdiction de décharger ! Au large des côtes européennes, les méthaniers croisent à vitesse réduite sur ordre de leurs armateurs. Deux milliards d’euros de gaz liquéfié voguent ainsi, presque immobiles, à quelques encablures des terminaux qui parcourent le littoral de la Grèce jusqu’à la Pologne. Leurs propriétaires temporaires — traders, arbitragistes de matières premières — attendent une remontée des prix pour autoriser le transfert vers les unités de regazéification, les yeux rivés sur la structure des contrats à terme en fort contango. Le marché table sur une forte hausse des prix au paroxysme de l’hiver.

Conséquences de l’inflation énergétique

En attendant le creux des températures hivernales, les cuves de gaz européennes sont pleines. Le taux de remplissage atteint 94 %, 6 points au-dessus de sa moyenne des 7 dernières années. Les réserves de la France (99 %) et de la Belgique (100 %) sont totalement reconstituées. L’Europe s’est diversifiée : ses importations de LNG sont en hausse de 70 % tandis que les achats russes ne représentent plus que 7 % de l’approvisionnement du continent (contre 40 % en janvier). Outre la diversification de son approvisionnement, l’ajustement de la demande aux prix et aux conditions météorologiques exceptionnelles produit ses effets sur les prix « spot » qui ont baissé de moitié depuis leurs derniers points hauts de septembre.

La demande domestique a ainsi chuté de 12 % au cours des derniers mois, emmenée d’abord par le retrait de l’activité industrielle lourde (acier, aluminium). Les conditions climatiques qui n’auraient pas pu être meilleures pour l’Europe cet automne retardent les besoins en chauffage — nous estimons à 7 milliards de mètres cubes de gaz les économies réalisées pour chaque degré que les températures douces enregistrent au-dessus de leur moyenne historique — tandis que les intempéries succédant à la sécheresse estivale permettent aux capacités hydro-électriques de reprendre leur place dans le mix énergétique. Le redémarrage du terminal américain d’exportation de Freeport et des réacteurs nucléaires japonais augurent également d’un marché international du LNG moins tendu.

Cependant, pour les investisseurs européens, les conséquences du repli de l’inflation énergétique ne sont pas simples à appréhender. Théoriquement, il devrait permettre à leur devise d’échapper à un scénario d’enfoncement catastrophique de la parité avec le dollar. Au cours des derniers trimestres, le taux de change semble avoir suivi l’écart entre les prix européens et américains du gaz, qui a atteint un point haut début septembre. Au fur et à mesure de la reconstitution des stocks européens depuis l’été, ce spread a convergé vers ses niveaux de début d’année, ce qui aurait dû permettre à l’euro de repasser durablement au-dessus de la parité.

L’euro sous pression face au dollar

En réalité, déterminant fondamental du change, le différentiel de taux d’intérêt réel continue de se creuser des deux côtés de l’Atlantique, au détriment de la monnaie unique. Elle souffre d’un effet ciseau doublement défavorable. Il est causé d’une part, par une inflation des prix à la consommation qui continue d’accélérer en Europe (10,7 %) quand le contraire se produit aux Etats-Unis ; d’autre part, depuis la conférence de presse d’un Jerome Powell plus hawkish que prévu la semaine dernière, les futures sur Fed Funds tablent sur un taux terminal de la FED désormais supérieur à 5 % pesant d’autant sur l’attractivité de la rémunération des taux en euro.

Ce sont probablement les raisons pour lesquelles la tentative de l’euro de s’affranchir durablement de la parité la semaine dernière a avorté. Son repli s’est d’ailleurs emballé au fur et à mesure que Powell douchait les espoirs d’un pivot imminent de la FED. Et c’est probablement en réaction à la tonalité agressive de son homologue américain que Christine Lagarde est intervenue le lendemain, contredisant l’intonation plus conciliante de la semaine précédente, avertissant qu’une récession en Europe n’empêcherait pas la BCE de poursuivre son programme de remontée des taux.

A l’approche de cette récession (probablement la plus attendue de l’histoire !) l’euro reste sous pression face au dollar, historiquement cher, qui profite d’un positionnement spéculatif extrême. Les perspectives d’une récession inflationniste sont peu engageantes — mais puisse-t-elle continuer d’échapper aux scénarios-catastrophes que nous ne lui prédisons — l’Europe pourrait, espérons-le, recueillir à nouveau les faveurs des investisseurs.

Texte achevé de rédiger le 4 novembre 2022

Thomas Planell - DNCA

Gérant analyste

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