Etats-Unis : êtes-vous plutôt télé ou budget ?

Asset Management - Cette semaine; le cap du million de morts de la Covid-19 sera dépassé. A l'heure de la présidentielle américaine, les Démocrates poussent en faveur d’une nouvelle initiative budgétaire de soutien/relance. Visiblement, ils ne veulent pas porter le blâme en cas de ralentissement de la croissance. Pourquoi alors les Républicains prennent-ils un tel risque ? Le point avec Hervé Goulletquer, Stratégiste à la Direction de la gestion chez La Banque Postale Asset Management.

C’est sans doute cette semaine que le seul du million de morts à cause de l’épidémie de coronavirus sera franchi. Le montant sera alors comparable au nombre total de décès occasionnés par la grippe asiatique en 1957 – 1958 ou celle de Hong Kong 10 ans plus tard. C’est plus que le SRAS (770 000 morts en 2002 – 2003), mais beaucoup moins que la grippe espagnole d’il y a cent ans (40 à 50 millions de morts).

Pour nous rassurer, nous mettrons en avant un ratio décès sur cas qui baisse depuis le mois de mai : d’un peu plus de 7 % à 3 %. Il n’empêche que la dynamique de la maladie, si elle se poursuit, sera assez vite source de tensions au niveau de l’offre hospitalière de soins. Trouver alors le bon équilibre entre fonctionnement de l’économie et fonctionnement du système de santé sera alors compliqué. L’enjeu des prochaines semaines est là.

Actions américaines volatiles

C’est ce mardi 29 septembre qu’aura lieu le premier débat entre les deux candidats à l’élection présidentielle américaine. Il y en aura deux autres les 15 et 22 octobre, en sachant que les candidats à la Vice-présidence se feront face devant les caméras de télévision le 7 octobre. Nous entrons véritablement dans la dernière « ligne droite » de la campagne.

L’enjeu est jugé important par plus de 80 % des Américains et la crainte existe que le processus électoral ne se passe très bien (la question du vote par correspondance). Y aura-t-il une contestation du résultat et faudra-t-il faire preuve de patience avant de savoir qui sera le Président à partir du 20 janvier prochain ? Cet intérêt inquiet participe aussi de la vigilance des marchés financiers. Ainsi la volatilité anticipée de l’indice actions S&P 500 augmente, avec même un contrat novembre au-dessus de celui d’octobre.

L’impact de la télé…

A priori, il y aurait des raisons de considérer que la série des débats peut amener des changements dans la perception et peut-être donc le choix des électeurs. D’abord, la campagne est plus faite de principes et d’émotions que d’éléments programmatiques et ensuite, Joe Biden n’est pas considéré comme une « bête de scène » ; comment va-t-il se comporter face aux coups de boutoir qui lui assénera Donald Trump ?  

Pourtant, les conclusions de la science politique relativisent l’importance de ces joutes télévisuelles. Nous pourrons nous référer à un working paper de laHarvard Business School, paru en décembre 2019. En observant 62 élections dans 10 pays entre 1952 et 2017, les auteurs montrent que 17 % à 29 % des votants se décident dans les deux mois précédant l’élection — ce qui veut dire aussi que plus de 70 % ont fait leur choix plus tôt.

Ce processus de décision est continu et s’appuie sur la perception des opinions et des qualités exprimées par les candidats plus que sur leur chance de l’emporter. L’impact des « débats télé » est négligeable : un changement marginal, tant par l’ampleur que par la durée de l’impact (1,4 % sur 3 jours !).

…et le poids du budget

Une nouvelle initiative budgétaire a été proposée aux Etats-Unis par la majorité démocrate de la Chambre des représentants. Elle se monte à 2400 milliards de dollars et est donc moins importante que celle présentée au printemps dernier (3 400 milliards). Elle pourrait, sans surprise, être votée dès cette semaine.  C’est après que les choses se compliquent.

D’abord, si l’ambition est de trouver un accord avant les élections du 3 novembre, le temps est compté. Le 9 octobre au soir, le Congrès arête de siéger et les sessions ne reprendront que le 15 novembre. En sachant que le nouveau Congrès (prenant en compte les parlementaires nouvellement élus) se réunira pour la première fois le 3 janvier 2021.

Ensuite, il faudra s’entendre avec la Sénat à majorité républicaine. Disons que plus de la moitié de ceux-ci n’est pas convaincue de l’opportunité d’un nouveau plan de soutien/relance (officiellement le quatrième depuis l’apparition de l’épidémie ; en fait le cinquième, il y en a eu un avant le premier, mais il était assez petit !).

Trois angles politiques possibles

Nous croyons comprendre qu’un « geste » de quelques centaines de milliards de dollars pourrait rencontrer une adhésion majoritaire. Mais l’écart par rapport au projet des Démocrates de la Chambre est si vaste que forger un compromis rapidement paraît impossible. C’est à ce niveau que la Maison Blanche intervient. Elle se fait insistante pour signifier que le Président Trump serait en faveur d’un calibrage pouvant aller jusqu’à 1500 milliards de dollars.

Celui-ci pourra-t-il l’imposer à ses « troupes » du Sénat ? Si oui, le fossé par rapport au texte défendu par les Démocrates du Sénat n’est plus infranchissable. Est-ce possible ? La question est de nature politique. Trois angles différents peuvent être proposés :

  • premièrement, les deux partis ont pu s’entendre il n‘y a pas si longtemps pour éviter une fermeture de l’Administration fédérale au 1er octobre (shutdown) ;
  • deuxièmement, l’abcès de fixation autour de la Cour suprême ne facilite pas le dialogue, voire rend difficile tout compromis. On en parlait le jeudi de la semaine dernière ;
  • troisièmement, et c’est le point délicat, il faut s’interroger sur lequel des deux camps subira l’essentiel du blâme en cas d’incapacité à s’entendre. Les Démocrates peuvent mettre en avant leur constance à proposer une initiative budgétaire et ceci depuis de longs mois. La Maison Blanche voudra mettre à son crédit sa tentative de rapprocher les points de vue des majorités de chacune des Chambres. Dans ce cas ce sont les candidats républicains au Sénat qui seraient à risque. Pourquoi alors le groupe majoritaire de la Chambre haute n’a-t-il pas été plus actif dans la recherche du consensus ? Probablement et simplement parce que sur les 53 membres, une majorité n’est pas renouvelée cette année (30 contre 23 qui se présentent devant les électeurs). Une vision plus idéologique ou de principe aurait donc prévalu.

Cette analyse sur qui portera le blâme doit tout de même être passé au test de vraisemblance. Si l’absence de nouveau plan de soutien/relance se traduit par une vraie déception en matière de croissance et que celle-ci est palpable dès le mois d’octobre, alors la Maisons Blanche et même les Démocrates pourraient être emportés par la critique a priori à destination des sénateurs républicains. Il est peu probable que les choses se passent cependant ainsi. L’inflexion ne se ferait pas sentir avant novembre. Le vote aura eu lieu.