La croissance sur fond d’endettement

Asset Management - Dans sa note de conjoncture du mois de décembre, l’INSEE souligne que l’économie française est bien entrée dans un cycle de croissance, ce qui ne l’empêche pas de pointer quelques problèmes et risques. L’apparition de goulots d’étranglement au niveau des capacités de production et l’augmentation de l’endettement des entreprises sont des menaces à prendre en compte. Par ailleurs, l’institut statistique indique que les prélèvements obligatoires continueraient d’augmenter l’année prochaine pesant ainsi sur la consommation des ménages.

La croissance juste en-dessous des 2 % pour 2017

Depuis un an, l’activité croît au rythme de 0,5 à 0,6 % par trimestre. Au cours de l’été, la croissance annuelle a atteint 2,2 %, soit son plus haut niveau depuis 2011. L’INSEE souligne que cette croissance intervient dans un contexte international porteur. Toutes les grandes régions économiques sont en expansion. Le commerce mondial après une longue phase d’atonie est en augmentation du fait de la meilleure santé des pays émergents et du maintien de l’activité en Chine. Au sein de la zone euro, la croissance trimestrielle se situe entre 0,6 et 0,7 %. Le climat des affaires est au plus haut depuis 17 ans. Pour le moment, les incertitudes liées à la Catalogne, à la formation du gouvernement allemand et à la montée des tentations nationalistes en Europe de l’Est n’ont pas affecté le moral des entrepreneurs et eu peu d’incidences sur la croissance. L’INSEE prévoit une croissance de 1,9 % pour la France, soit légèrement au-dessus des prévisions gouvernementales (1,8 %) mais inférieure à la moyenne européenne (2,4 % pour la zone euro). Pour 2018, l’institut statistique considère que la progression de l’activité pourrait se ralentir en raison de l’augmentation des prélèvements. En revanche, l’institut statistique table sur une amélioration du commerce extérieur grâce aux produits agricoles et au tourisme. L’INSEE anticipe la création de 100 000 emplois par trimestre, permettant une très légère décrue du chômage qui passerait à 9,4 % d’ici la fin du premier semestre 2018.

Parmi les incertitudes citées par l’INSEE figurent la politique américaine et le comportement des ménages français face aux mesures prises par le Gouvernement. Un doute sur la progression de la consommation existe en raison d’une flexion temporaire du pouvoir d’achat provoquée par la hausse des prix et le relèvement de la CSG.

Vigilance accrue sur les dettes des entreprises

Dans sa note de conjoncture du mois de décembre, l’INSEE a mis l’accent sur la situation financière des entreprises françaises. S’il n’y a pas encore péril en la demeure, la dette des entreprises commence à inquiéter les autorités françaises. En effet, elle a augmenté de 16 points de PIB entre 2009 et 2016 quand elle est restée stable chez nos partenaires européens. La dette des entreprises françaises dépasse désormais les 90 % du PIB, niveau supérieur à celui enregistré en Allemagne, en Italie et en Espagne. Dans ces derniers pays, le poids de l’endettement recule depuis la crise. Les entreprises françaises profiteraient des taux bas pour s’endetter et accroître leurs liquidités. L’INSEE souligne, la progression de l’endettement net de liquidités est plus contenue. Les liquidités ont atteint pour les entreprises françaises 25 % du PIB fin 2016 contre 15 % en 2008. En Espagne, en Allemagne ou en Italie, les liquidités varient de 15 à 21 % du PIB. Pour apprécier la soutenabilité de la dette, il convient de prendre en compte l’évolution des fonds propres. Or, le taux d’endettement des entreprises 14 rapporté à leurs fonds propres a augmenté, entre 2010 et 2015, de 6 points. Cela signifie que la dette augmente plus vite que les fonds propres. Le poids de celle-ci s’est accru également par rapport à la valeur ajoutée prouvant qu’elle est, en partie, déconnectée du résultat des sociétés.

La progression de l’endettement proviendrait essentiellement des grandes entreprises qui auraient renoué avec l’investissement. Les entreprises françaises ont, en effet, accru leur effort d’investissement qui est passé de 10,9 % sur la période 2000/2007 à 11,5 % du PIB sur la période 2009/2016 quand celui de l’Espagne baissait de 15,4 à 13 %. De même, celui de l’Italie s’est contracté de 10,5 à 9,1 %. Pour sa part, l’investissement des entreprises allemandes est également orienté à la baisse (11,7 à 11,3 %).

Les entreprises se financent de plus en plus à travers l’émission d’obligations. Elles ont contribué, depuis 2009, à hauteur de 14,5 des 16 points de PIB d’augmentation de l’endettement. À la différence de leurs homologues européennes, les entreprises françaises ont été très sensibles à la baisse des taux qui sont passés de 6 à 2 % de 2008 à 2017. Chez nos partenaires, les entreprises ont financé leurs investissements en recourant à l’autofinancement. Le choix de l’endettement serait la conséquence de la dégradation des résultats des entreprises constatée depuis la crise. Le taux d’épargne est au plus bas. Depuis 2014, une stabilisation de la situation financière est constatée avec l’introduction du CICE et la mise en place du pacte de solidarité, mais à la différence de l’Espagne ou de l’Italie, les salaires ont continué à augmenter. En Allemagne, les entreprises ont réduit le versement des dividendes afin de financer les nouveaux investissements.

L’INSEE met en garde contre cette augmentation de la dette qui pourrait fragiliser les entreprises en cas de retournement de conjoncture.

Un des problèmes majeurs des entreprises françaises est leur incapacité à relever leur taux de marge. Se situant autour de 32,7 % entre 1987 et 2007, le taux de marge a chuté durant la crise de 2009 et durant celle de 2011/2013 (29,9 %). En 2013, il a atteint un niveau inconnu depuis 1985 avant de redresser pour revenir autour de 31,6 %. Il reste inférieur à sa moyenne de longue période. Cette contraction est avant tout imputable aux entreprises du secteur tertiaire marchand. La disjonction des taux de marges entre entreprises industrielles et entreprises de services est liée au fait que les premières ont bénéficié plus fortement du CICE et de la baisse du prix de l’énergie. 40 % de l’augmentation du taux de marge dans l’industrie provient des mesures prises par le Gouvernement (CICE, pacte de responsabilité, réforme de la taxe professionnelle, etc.). Par ailleurs, les entreprises industrielles ont investi pour réduire le poids de la main d’œuvre quand les entreprises de services disposent de moins de marges de manœuvre pour améliorer leurs résultats. Les entreprises de service qui se sont développées ces dernières années sont fortement consommatrices de main d’œuvre à faible qualification (services à la personne, VTC, logistique, etc.). La baisse du taux de marge des entreprises de services n’est pas spécifique à la France ; elle est constatée dans toute l’Europe et notamment en Allemagne. Mais, en raison du poids plus important du secteur tertiaire, son impact est plus important dans notre pays. La montée de la concurrence dans le secteur des services avec la digitalisation a, par ailleurs, pesé sur les marges des entreprises.

La baisse plus marquée en France du taux de marge provient également de la poursuite des augmentations des salaires qui sont décorrélées des gains de productivité. À partir de 2010, cette situation ne concerne pas l’industrie. En effet, sa valeur ajoutée a progressé plus vite que la masse salariale.

L’INSEE considère que l’affaissement des taux de marge serait pérenne en liaison avec les structures de notre économie. Le développement du secteur tertiaire, le poids des TPE et le maintien d’un haut niveau de prélèvements pèseraient durablement sur les marges des entreprises françaises.

Des prélèvements obligatoires toujours en hausse

Le pouvoir d’achat des ménages n’augmenterait que faiblement dans les prochains mois en raison du retour certes timide de l’inflation et de la hausse des prélèvements. Ainsi, les gains pourraient être divisés par deux passant de 1,3 % à 0,6 % de 2015 à 2016 (sur le 1er semestre). Les augmentations des impôts et des taxes interviennent essentiellement en janvier quand les baisses sont étalées sur l’année. L’augmentation de la CSG de 1,7 point ainsi que le relèvement des taxes sur l’énergie et sur le tabac auront des effets sur l’ensemble de l’année 2018 quand les réductions de cotisations sociales, la diminution de la taxe d’habitation, celle de l’ISF, l’amélioration du crédit d’impôt pour l’emploi d’un salarié, la mise en place du Prélèvement forfaitaire Unique ne joueront à plein qu’au cours du second semestre.

Au total, sur l’ensemble de l’année 2018, les ménages devraient acquitter 4,5 milliards d’euros de prélèvements en plus, ce qui amputera leur pouvoir d’achat de 0,3 point. Les retraités assujettis au taux normal de CSG seront les plus concernés par cette augmentation.

L’INSEE considère que les ménages puiseront dans leur épargne pour absorber ce surcroît de prélèvements. Or, ils pourraient au contraire accroître leur effort d’épargne pour faire face à de plus lourdes échéances fiscales. Certes, le climat économique porteur et la décrue attendue des prélèvements pour la fin de l’année pourraient les amener à ne pas provisionner. Affaire à suivre.

Philippe Crevel - Cercle de l'Epargne

Directeur

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