Crise de 2007 : le marché est-il plus sûr dix ans après ?

Asset Management - La plupart des investisseurs se souviennent du lieu où ils se trouvaient lorsque la crise financière mondiale a commencé. Au cours de l'été 2007, j’ai mis fin à mes vacances pour retourner à mon bureau lorsque BNP Paribas a suspendu trois fonds monétaires exposés au marché américain des «subprimes», des prêts hypothécaires à risque. C’est alors qu’une page de l’histoire économique s’ouvre. Aujourd’hui encore, une partie de l'économie, des classes d'actifs et des industries cherchent à renouer avec la croissance et des leçons doivent être tirées.

Les économies en excès de vitesse

Dix ans après la crise financière, je continue de comparer les économies à des voitures engagées sur une autoroute et la dette à la vitesse des véhicules. Dans les économies modernes, l’effet de levier est un facteur fondamental de la croissance, tout comme la vitesse d’une voiture est un élément déterminant de la distance parcourue. Toutefois, chaque modèle de voiture présente un niveau de vitesse optimal en termes de performance. Ma première voiture, par exemple, supportait aisément une vitesse de 130 km/h mais à partir de 150 km/h, sa stabilité diminuait. À bien des égards, une économie suit un comportement similaire. Si la dette dépasse son niveau optimal, l’équilibre du système devient précaire. La confiance des investisseurs s’affaiblit et les créanciers commencent à s’inquiéter du remboursement de leurs prêts. Et c’est précisément cette perte de confiance qui a converti une crise du marché hypothécaire américain en une catastrophe économique d’ordre mondial.

L’aléa moral

L’aléa moral est le risque qu’une ou plusieurs parties au contrat bénéficient d’une action contraire aux principes de ce même contrat. En 2007, le marché financier a connu ce risque. Les créanciers aux Etats-Unis, mais également dans de nombreuses autres économies développées, accordaient des prêts, notamment hypothécaires, à des ménages peu solvables. Les gouvernements ont voulu mettre un terme à cette pratique et ont cherché à pénaliser les acteurs hypothécaires en laissant une crise advenir. Ce qui avait pour but de purifier le secteur. Ils anticipaient ainsi des mises en faillite des emprunteurs les plus en difficulté et un assainissement progressif des prêts risqués.

Cependant, les autorités ont sous-estimé la rapidité à laquelle la crise s’est propagée. Partie du marché hypothécaire, elle a atteint l’ensemble du système bancaire. En un an, la crise a conduit la quatrième plus grande banque d’investissement américaine à la faillite. En filant la métaphore de la voiture, c’est l’instant où le véhicule sort de la route. Deux options s’offrent alors au conducteur.

Des autorités face à deux options

Lorsque les économies présentent des symptômes de crise, les autorités et les gouvernements ont le choix entre deux options. Ils peuvent décider de ne rien faire, laissant s’affirmer les forces du marché, ce qui aboutit généralement à une crise très profonde. Il s’agit de l’option choisie par les autorités lors de la fameuse crise de 1929. Grâce à cette expérience, nous savons que les économies peuvent se relever, même si elles doivent endurer une récession économique brutale, des conflits sociaux, des bouleversements politiques et une guerre en l’occurrence.

La deuxième option consiste à renflouer les institutions qui représentent le plus grand risque systémique et à injecter de nouvelles liquidités dans le système. Après avoir choisi la première option en 2007, les autorités ont radicalement changé de cap en 2008 après que de nombreuses institutions financières aient été affectées. Aux États-Unis, la Réserve fédérale (Fed) a injecté des quantités de liquidités sans précédent dans l’économie. Sa base monétaire est passée d’environ 850 milliards de dollars en juillet 2007 à plus de 4000 milliards de dollars en juillet 2014, lorsque l’effort d’assouplissement quantitatif était proche de son apogée. Ainsi, la Fed et d’autres banques centrales ont atténué le malaise économique à court terme mais ils l’ont également prolongé à moyen terme. L’économie mondiale s’inscrit aujourd’hui dans un nouveau paradigme de croissance caractérisé par une croissance économique faible – mais stable – et par des rendements moins élevés. Je crois que cette situation n’est pas prête de changer.

Le nouveau paradigme

Une dizaine d’années après, en reprenant l’allusion à l’autoroute, quelles leçons à propos de la vitesse a tiré le conducteur au volant de sa voiture ? Les données récentes sur la dette publique et la dette d’entreprise suggèrent que le conducteur n’a rien appris. L’ensemble des principales économies ont vu leur dette publique en pourcentage du PIB considérablement augmenter depuis 2007.

Au cours de la même période, la dette chinoise a augmenté de 24000 milliards de dollars et la dette des États-Unis s’élève à 352,4% de son PIB aujourd’hui. Avec une croissance qui reste lente, il semble évident que la voiture continue à conduire au-dessus de sa vitesse optimale.

Doit-on s’inquiéter ?

Alors que nous vivons encore dans un monde fortement endetté, un investisseur intelligent peut utiliser les leçons de la crise pour construire des portefeuilles adaptés au nouveau paradigme économique dans lequel nous nous trouvons. Les trois leçons les plus importantes – fondements de notre philosophie de construction de portefeuilles chez Lombard Odier – sont les suivantes :

1) La liquidité d’un actif est fortement corrélée à sa qualité intrinsèque. Un actif financier de qualité est liquide quel que soit l’environnement économique. J’attache donc une importance primordiale à la qualité des actifs que nous proposons afin construire des portefeuilles efficients et robustes.

2) L’utilisation de plusieurs modèles de risque est primordiale car l’évaluation du risque dépend de l’angle d’analyse que nous choisissions. Il semble dès lors nécessaire d’agréger les différentes perspectives afin d’obtenir un spectre de risque le plus large possible.

3) L’excès de liquidités bénéficie aux actifs financiers. En effet, l’accroissement des liquidités dans un marché alimente les actifs liquides tels que les actions ou les obligations. Les actifs moins liquides tels que l’immobilier, l’infrastructure ou encore le private equity attirent dans un premier temps moins de flux, limitant ainsi le risque de formation de bulles spéculatives sur ces actifs. Je cherche donc à construire des portefeuilles diversifiés avec des actifs traditionnels mais aussi avec des actifs réels afin de profiter de la prime d’illiquidité offerte par ces derniers.

Alors que nous continuons de construire des portefeuilles qui reflètent les enseignements de la crise, je suis heureux d’être récemment revenu d’une période de vacances ininterrompue. Attentif aux aléas économiques, j’ai repris la gestion des portefeuilles en sachant que le patrimoine de nos clients se trouve plus en sécurité aujourd’hui, quel que soit le paysage économique, car nous avons effectivement tiré les leçons dix ans après le début d’une crise économique majeure.

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Stéphane Monier

Responsable des investissements

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