Chine : une politique économique à interpréter, critiquer et constater

Asset Management - Après la crise sanitaire du Covid-19, la Chine repense sa politique économique. Quel impact ces décisions vont-elles avoir sur le reste du monde ? Les explications d'Hervé Goulletquer, Stratégiste chez La Banque Postale Asset Management (LBPAM).

Les autorités chinoises envoient des messages sur l’orientation de la politique économique. Tout n’est pas très clair ; mais un point est à retenir et il a valeur universelle. L’environnement change et les réformes de structure s’imposent. Les indices PMI de décembre aux Etats-Unis et en Europe envoient un message optimiste sur l’activité économique.

Mais celui-ci n’est pas toujours bien calé avec les évolutions récentes de la mobilité. L’optimisme serait-il surfait ? Service minimum à la Fed. La banque centrale américaine n’est pas en mode réaction ; mais à court terme l’initiative serait plutôt à prendre du côté des pouvoirs exécutif et législatif. 

Politique économique chinoise…

Je l’ai peut-être trop dit ; mais il est important de suivre les réflexions de politique économique menées en Chine. Le pays est en « avance de phase » en la matière par rapport aux Etats-Unis et à la zone euro ; au moins au titre d’une « normalisation » plus précoce des conditions de la croissance et peut-être aussi, dans le sillage de ce premier point, à celui d’une recherche plus avancée des réponses adaptées à un environnement qui change pour cause de Covid, mais pas seulement.

En n’oubliant pas bien sûr que les caractéristiques « sociétales » de la Chine interdisent tout copier-coller sur l’« arc atlantique ». Ce qui n’empêche pas l’expérience chinoise de pouvoir être inspirante. Un bureau politique du PCC (Parti communiste chinois) s’est tenu ce vendredi 11 décembre et a discuté des objectifs économiques pour l’an prochain.

Les discussions seront approfondies et déboucheront sur des objectifs lors de la Central Economic Work Conference, qui doit se tenir approximativement maintenant — l’information sur la date précise n’est pas connue ! Quel panorama pouvons-nous dresser ? Le bureau politique aurait insisté sur les points suivants :

  • normalisation de la reprise, mais avec des incertitudes tant sur le profil des exportations que sur la politique chinoise de l’Administration Biden ;
  • amélioration de la supervision des monopoles (cela vaut d’abord pour les Géants de la Tech comme Alibaba, Tencent, voire SF Express) ;
  • point d’attention de mis sur la réforme côté demande ; devons-nous comprendre que les pouvoirs publics vont s’employer à promouvoir une hausse des revenus du travail, une baisse du taux d’épargne, une augmentation des transferts sociaux ou une réduction des impôts ?

…quelles perspectives en 2021 ?

C’est évidemment ce troisième aspect qui est le plus surprenant. Le long des dernières années l’accent était mis sur la politique de l’offre ; à savoir la réduction des capacités excédentaires dans les industries traditionnelles, fermer les entreprises « zombies » et diriger les flux de financement du secteur public et parapublic vers l’économie réelle.

Devons-nous envisager un changement de pied de la politique économique chinoise ? J’ai envie de répondre non. Une nouvelle étape dans la politique de l’offre s’ouvre : promouvoir l’innovation, améliorer l’environnement des affaires, s’assurer que les échanges extérieurs participe d’une montée en gamme de l’économie domestique, réduire les inégalités — et il reste nécessaire de continuer à contrôler l’endettement. 

La place laissée à la dynamisation de la demande paraît alors limitée ; sauf à être très volontariste dans la réduction des inégalités. Mais est-ce complètement cohérent avec la volonté farouche d’assurer la stabilité sociale ? Je ne crois pas. La politique de la demande sera pour beaucoup une résultante de l’avancement des chantiers côté offre. Il faut en parler bien sûr ; mais des conditions nécessaires à sa mise en œuvre doivent être remplies d’abord.

L’impact aux USA et en Europe

Quel message pouvons-nous tirer pour les Etats-Unis et l’Europe de ce que nous comprenons de l’orientation prise par la politique économique chinoise ? Sans doute que la crise sanitaire est un révélateur de changements plus larges en cours (technologiques, climatiques, et géopolitiques, pour l’essentiel) et qu’à ce titre il faut encourager les adaptations nécessaires. L’enjeu en Europe et aux Etats-Unis est sans doute et avant tout de pousser à la roue en faveur de la double transition environnementale et digitale. La politique budgétaire facilitera-t-elle cette nécessaire évolution ?

Faisons un point sur l’orientation de la conjoncture économique en décembre. La publication des indices PMI dans un certain nombre de grands pays pour ce mois ne nous y invite-t-il pas ? Disons-le tout net ; le message envoyé est plutôt favorable, malgré la poursuite de la deuxième vague de l’épidémie. La baisse est limitée aux Etats-Unis et le rebond est  en œuvre en zone euro : pour les indices composite, agrégeant l’activité dans les secteurs manufacturier et de services, respectivement 55,7 après 58,6 et 55 ,5 après 53,8.

Chine : une politique économique à interpréter, critiquer et constater

Il n’empêche qu’un sentiment, si ce n’est de malaise, de message biaisé, peut être ressenti à la lecture de ces chiffres. La relation entre profil des PMIs et mobilité, forte évidemment depuis quelques mois, parait se distendre nettement dans certains pays, dont l’Allemagne et les Etats-Unis, et beaucoup moins dans d’autres (France et Royaume-Uni). Pourquoi cela ? On ne sait pas bien. Dans tous les cas, attention à des chiffres du PIB au T4 en décalage par rapport aux attentes nées de la lecture d’indices PMI favorables (complaisants ?).

Chine : une politique économique à interpréter, critiquer et constater

Service minimum à la Fed

Parlons Fed. Que nous disent les mots écrits, les chiffres présentés et les paroles prononcées ce mercredi 16 décembre à Washington à partir de 14h00, heure locale ?

Commençons par les mots écrits. D’un communiqué à l’autre (de celui du 5 novembre à celui du 16 décembre), le seul changement concerne le guidage prospectif (forward guidance) du programme d’achats de Titres d’Etat et de mortgage-backed. Ceux-ci se poursuivront au moins au rythme actuel jusqu’à ce que « des progrès substantiels aient été réalisés dans l’atteinte des objectifs de maximisation de l’emploi et de stabilité des prix ». On se contentait jusqu’à maintenant de parler d’un rythme d’achat au moins maintenu à l’horizon des prochains mois.

Passons aux chiffres présentés. Notons des projections médianes un peu meilleures pour ce qui est de la croissance du PIB, du taux de chômage et de l’inflation. Sans que pour autant ne soit envisagé « collectivement » une hausse du taux directeur d’ici à 2023. Remarquons aussi, en entrant dans la dispersion des choix des seize membres du comité de politique monétaire, que sept d’entre eux parient sur une inflation supérieure à 2% l’an en 2023 (mais inférieur à 2,2 %) et que cinq font le choix d’une hausse du taux directeur cette année-là. Comme si la tolérance à une inflation un peu plus forte n’était pas une idée forte aussi bien partagée que cela !

Arrêtons-nous sur les paroles de Jerome Powell, le Président du Board de la banque, centrale, durant la conférence de presse. Il a insisté sur l’incertitude persistante, qui caractérise l’environnement, sur l’importance du soutien apporté par la Fed et sur la capacité à en faire davantage si nécessaire. Concernant le guidage qualitatif introduit pour ce qui est des achats de titres, il a pointé un langage précédent  devenu dépassé et le fait que pour le moment aucun élément chiffré n’est introduit.

Il y a un côté « service minimum » dans tout ceci. La Fed n’est pas en mode réaction, car elle a déjà fait beaucoup et qu’elle s’engage à maintenir un réglage très accommodant pour longtemps. Mais le mode action paraît être transféré à la Maison Blanche et au Congrès. A eux d’assurer le soutien d’une économie  fragilisée par la deuxième vague de l’épidémie.