Chine/Etats-Unis : commerce, yuan et recul des marchés

Asset Management - Tarifs douaniers, dévaluation du yuan, pressions sur la Fed... La guerre commerciale a repris entre la Chine et les Etats-Unis la semaine dernière. Les deux géants vont-ils trouver un terrain d'entente ? Quelle stratégie d'investissement adopter dans ce contexte incertain ? Etsy Dwek, Directrice de la Stratégie Marchés Mondiaux du pôle Dynamic Solutions chez Natixis Investment Managers, partage son analyse.

Le président Trump a surpris les marchés la semaine dernière en annonçant que les États-Unis imposeraient à compter du 1er septembre de nouveaux droits de douane de l’ordre de 10 % sur 300 milliards de dollars d’importations chinoises. L’annonce a suivi une semaine de négociations directes, et au lendemain de la baisse de ses taux d’intérêt par la Fed, qui a cependant signalé ne pas s’engager dans un cycle complet de détente.

Nous pourrions presque penser que Donald Trump fait pression sur la Fed pour qu’elle assouplisse davantage la situation, alors que Jerome Powell a signalé que l’incertitude commerciale était l’un des principaux risques — sinon le principal — à prendre en compte. Ainsi, les marchés s’attendent-ils à des hausses en septembre et en décembre.

Chute du yuan et des rendements

La Chine a riposté en suspendant les importations de produits agricoles américains et en laissant sa monnaie s’affaiblir. Il est important de souligner cependant que si les décideurs politiques chinois ont permis une dépréciation du yuan, ils n’ont pas été à l’origine d’une dévaluation de leur monnaie. Ils ont en effet laissé le Renminbi franchir le niveau psychologique clé de 7 yuans pour 1 dollar, sans intervenir pour le renforcer. Néanmoins, le Trésor américain a dès lors accusé la Chine de manipuler sa monnaie. 

Les marchés ont en conséquence fortement réagi. La tendance a été exacerbée par le caractère inattendu de l’annonce, ainsi que par l’amenuisement de la liquidité en août. Les rendements sont tombés à leur plus bas niveau depuis plusieurs années, le rendement des obligations du Trésor américain à 10 ans se situant actuellement autour de 1,76 %. L’or a progressé, tandis que le dollar s’est surtout déprécié, sauf par rapport au Renminbi onshore et offshore.

Vers une escalade de la guerre commerciale ?

Le fait que la Banque populaire de Chine ait permis au yuan de franchir le Rubicon de 7 yuans pour 1 dollar pourrait être considéré comme un signe que les Etats-Unis et la Chine sont loin d’avoir conclu un accord, d’autant plus alors que le département du Trésor américain a rapidement qualifié la Chine de manipulateur de devises, une terminologie qu’il avait évitée par le passé. Toutefois, la Chine a placé son dernier fixing en dessous de 7 yuans pour 1 dollar, afin de tenter de désamorcer la situation.

Nous nous attendons à ce que les décideurs politiques chinois maintiennent la monnaie relativement stable autour des niveaux actuels. Nous ne nous attendons pas à une dévaluation active massive. Nous nous attendons également à des représailles de la part de la Chine si les nouveaux droits de douane sont imposés en septembre, ainsi qu’à des mesures de relance plus ciblées pour gérer le ralentissement dans un contexte mondial difficile.

Quelle marge de manœuvre pour Donald Trump ?

Qualifier la Chine de « manipulateur de devises » signifie qu’il y a un risque que les États-Unis cherchent à obtenir des sanctions, ou qu’ils augmentent leurs droits de douane en réponse, mais il est peu probable que cela soit immédiat. Si la monnaie se stabilise autour ou en dessous de 7 yuans pour 1 dollar, la situation pourrait s’améliorer.

Comme nous l’avons dit dans le passé, nous voyons peu de signes que Donald Trump cesse d’être « dur avec la Chine » pour l’instant. Tant qu’il n’y aura pas un coût politique sérieux avec une croissance américaine beaucoup plus faible ou un recul important des marchés, Donald Trump maintiendra sa position actuelle. De plus, le président semble compter sur la Fed pour atténuer les risques économiques par de nouvelles baisses de taux, ajoutant ainsi un amortisseur à son conflit commercial.

Possibilité d’accord et rôle de la Fed

Notre scénario de base demeure une sorte de trêve ou d’accord plus tard cette année ou plus probablement au début de 2020, afin d’assurer un contexte économique acceptable en vue des élections américaines. Nous nous attendons également à ce que la Fed continue de subir des pressions pour soutenir l’économie américaine.

Un assouplissement supplémentaire n’est pas nécessaire à l’heure actuelle, mais peut-être au cours des prochains mois. A moins que Donald Trump ne décide de retarder la hausse des droits de douane prévue en septembre, la Fed réduira probablement les taux en septembre et gardera également la porte ouverte pour décembre.

Perspectives d’investissements

Après de fortes corrections vendredi et lundi, les marchés tendent à se stabiliser. Il est peu probable que cette situation instable soit résolue à court terme, ce qui implique une volatilité accrue sur les marchés et un certain potentiel de correction. Néanmoins, nous maintenons une vision relativement positive pour les marchés boursiers… à moins d’une nouvelle escalade de la guerre commerciale.

Ce dernier scénario se produirait alors que les prévisions de bénéfices ont déjà été revues à la baisse, que la Fed devrait continuer à soutenir les marchés — comme d’autres grandes banques centrales — et que si la situation se détériore trop, Donald Trump devrait établir une nouvelle trêve. Mais le chemin pourrait être tortueux.

Les rendements obligataires se sont redressés et pourraient reculer quelque peu si la situation se stabilise, mais nous ne nous attendons pas non plus à une forte remontée. Nous maintenons notre exposition à certains titres de base à titre de protection. Il est probable que les valeurs refuges en général resteront demandées en raison de l’incertitude persistante.

Esty Dwek - Natixis IM

Directrice de la Stratégie Marchés Mondiaux du pôle Dynamic Solutions

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