Chine : au pays de l’inflation trop basse

Asset Management - En 2022, la Chine résiste au phénomène de l'inflation. Dans ce contexte, comment évaluer les risques économiques et les opportunités d'investissement ? L'analyse d'Alexis Bienvenu, Fund Manager chez La Financière de l'Echiquier (LFDE).

Alors que le monde est en lutte contre une terrible flambée des prix, il est un pays qui résiste encore et toujours à l’inflation : la Chine. Tout n’y est qu’ordre et beauté… et inflation modérée. En janvier, elle s’élevait à 0,90 % sur un an, et en baisse ! L’inflation sous-jacente donne la même  image : 1,1 % en moyenne sur 3 ans.

Certes, elle n’atteint pas le niveau du champion toute catégorie de la déflation, le Japon, qui connaît actuellement son niveau d’inflation sous-jacente le plus bas depuis 15 ans : -1,1 %. Mais la Chine n’a pas le même niveau de croissance (ou en l’occurrence, de décroissance) que le Japon. Avec 5 % de croissance en rythme de croisière, elle est loin de subir la stagnation structurelle de son voisin. Un niveau d’inflation si bas dans une économie si vigoureuse est une énigme, et un risque économique… doublé d’une opportunité boursière !

Le retour de la consommation

L’énigme s’éclaire un peu si nous considérons que le niveau d’inflation actuel rejoint le niveau moyen constaté sur le très long terme, autour de 1,2 % depuis 2006. Le pays produit structurellement une inflation modérée malgré une croissance du PIB proche de 9 % en moyenne sur les 15 dernières années.

Une des causes suspectées en pareil cas est un excès de capacité industrielle. Le taux chinois d’utilisation des capacités tourne autour de 77 % ces dernières années. C’est à peine plus faible que celui les Etats-Unis. Cela n’explique donc pas une telle différence d’inflation.

D’autant que les prix à la production en Chine connaissent en ce moment le même sort que dans le reste du monde : ils explosent, à plus de 9 % sur un an, comme aux Etats-Unis — la zone euro est certes encore bien au-dessus, proche de 20 % actuellement. La clé réside donc surtout dans les prix à la consommation, non à la production.

Inflation et taux d’épargne

Une foison d’autres raisons peut être invoquée. Par exemple, le taux réel de chômage, bien que faible — imperturbablement ancré autour de 4 % — pourrait être plus élevé qu’il n’y paraît dans les statistiques officielles. Ou encore, la politique de limitation du crédit mise en place depuis plusieurs années pour limiter le risque de bulle immobilière pourrait avoir freiné la consommation en général.

Et surtout, un taux d’épargne toujours extrêmement élevé, proche de 30 % du revenu disponible, pénalise la consommation, structurellement insuffisante dans ce pays qui reste un pays de producteurs. Xi Jinping qui en a bien conscience, met en place des mesures de soutien à la consommation pour les classes populaires. Quoi qu’il en soit des raisons, les conséquences économiques sont considérables, et plutôt positives pour le reste du monde. 

En premier lieu, la Chine dans le contexte inflationniste actuel représente un facteur de modération des prix mondiaux à la consommation. Ce n’est pas vrai, bien entendu, du prix des matières premières, où ses besoins sont inextinguibles, ni des prix à la production, où elle subit le sort commun. Mais imagine-t-on où serait l’inflation mondiale à la consommation si la Chine ajoutait la sienne au concert des nations ?

Quel rendement pour l’investisseur ?

En second lieu, elle offre un refuge à l’épargne obligataire mondiale en recherche panique de rendement. Avec des obligations souveraines encore correctement rémunérées – le 3 mois est à 1,80 %, le 5 ans à 2,50 % — elle est un des très rares pays à proposer un placement obligataire sans risque qui offre mieux, en devise locale, qu’une perspective certaine d’appauvrissement.

Naturellement, le rendement final pour l’investisseur étranger doit aussi prendre en compte l’éventuelle couverture du risque de change, qui est élevée pour des investisseurs subissant des taux courts très faibles ou négatifs.

Enfin et surtout, sa faible inflation lui offre la possibilité de mobiliser à plein les ressources de sa banque centrale pour relancer localement le crédit, soutenir l’immobilier en difficulté, voire déprécier la devise, ce qui aurait un impact déflationniste dans l’ensemble des pays où elle exporte. Certes, une franche dépréciation ferait surgir de nouvelles tensions avec les Etats-Unis. Mais ils y trouveraient peut-être suffisamment leur compte en contexte d’inflation pour ne pas en prendre trop ombrage.

Politique monétaire et conjoncture

A l’heure où presque toutes les banques centrales resserrent leurs politiques monétaires et créent par là-même les conditions d’un prochain ralentissement, la Chine — avec le Japon — apparaît comme une des dernières sources disponibles de liquidités abondantes pour le cas où le monde en ait besoin. 

Soit de façon conjoncturelle, s’il s’agit de contrer un fléchissement économique. Soit de façon structurelle, en particulier pour investir ambitieusement dans la transition énergétique — ce qu’elle fait justement avec détermination. La Chine sera-t-elle pour l’Occident une planche de salut dans l’océan de l’inflation — autant qu’elle fut sa perdition dans la vague des délocalisations ?

Rédaction achevée le 18 février 2022

Alexis Bienvenu - LFDE

Gérant

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