Billet du Docteur Leber – avril 2022 : un nouveau monde de blocs

Asset Management - EXCLUSIF / Le mois de mars a été marqué par la guerre et par la manifestation de très grandes forces centrifuges dans le monde. Voici le billet mensuel du docteur Leber, fondateur d’Acatis, société de gestion indépendante allemande.

Malgré des images terribles en provenance d’Ukraine, les cours des valeurs internationales se sont inscrits en hausse sur ce mois, tandis que les indices obligataires accusaient des baisses. Les investisseurs sont toujours dans l’anticipation de l’avenir et attirent celui-ci dans le présent par le biais d’investissements prévisionnels. De toute évidence, les investisseurs en actions misent sur un prochain arrêt de la guerre et sur un impact économique faible sur l’économie mondiale.

Excellents résultats d’entreprise

De nombreux comptes annuels ont été présentés en février et mars. Ils sont majoritairement bons et se situent pour la plupart au-dessus des niveaux de bénéfices d’avant la pandémie. Les grands indices mondiaux sont dominés par les entreprises nord-américaines, où le conflit ukrainien ne joue pratiquement aucun rôle.

Une entreprise comme Alphabet, qui a vu son bénéfice passer de 40,3 milliards de dollars à 78,7 milliards, en est un bon exemple. Les grandes entreprises américaines du secteur de l’Internet ont poursuivi une croissance très rentable, et la Russie comme l’Ukraine n’y représentent que des différences d’arrondi.

Le développement technologique se poursuit également sans relâche. Jensen Huang, PDG de Nvidia, a annoncé que la puissance de calcul de ses ordinateurs serait multipliée par un million au cours des dix prochaines années. Du côté de la recherche pharmaceutique également, les développements se poursuivent sans être influencés par la situation en Ukraine. 

Des goulots d’étranglement

Des problèmes logistiques importants apparaissent en Europe, non seulement en Allemagne, pays membre de l’UE, mais aussi en Grande-Bretagne, ex-État membre de l’UE. Les chauffeurs de camion ukrainiens, qui représenteraient environ 10 % des chauffeurs européens, ont laissé leurs clés sur le contact et sont retournés en Ukraine pour se battre. Ces capacités manquent aux chaînes d’approvisionnement et entraînent des goulots d’étranglement. 

Plus que jamais La Chine souffre de sa politique de gestion de la crise du coronavirus. Estimant qu’il est impossible, sur la durée, de protéger un aussi grand pays avec une politique de confinements et ayant appris que les vaccins chinois ne sont pas très efficaces (50% de protection ?), nous nous attendons à vivre une politique de « stop and go » de longue durée. Mais on ne peut pas trop longtemps immobiliser, sur des périodes courtes mais répétées, des grandes villes comme Shanghai, qui compte 26 millions d’habitants. Ce n’est pas seulement mauvais pour l’ambiance en Chine, mais aussi pour les exportations. Celles-ci vont dans le monde entier et nous concernent directement. 

Il y a des problèmes d’approvisionnement. L’huile de tournesol se fait rare, le blé, qu’il soit ukrainien ou russe, ne sera que partiellement semé cette année, on manque de graines pour la production de moutarde et d’acier pour la fabrication de clous, les faisceaux de câbles des automobiles ne peuvent pas être montés, et enfin, les pièces de rechange produites en Ukraine pour les chars russes font défaut. 

On s’attend à d’importants problèmes d’approvisionnement en matières premières. L’aluminium, le nickel, le platine, le palladium, le néon et bien sûr le charbon, le pétrole et le gaz proviennent de Russie ou d’Ukraine. Leur absence crée des lacunes considérables dans les chaînes d’approvisionnement. Comment produire des catalyseurs automobiles sans platine ou palladium, des matières plastiques sans gaz, des pièces d’avion sans aluminium, des batteries sans nickel ? L’enjeu dépasse largement le simple fait de baisser de deux degrés la température de son salon. Ces goulots d’étranglement vont se propager à tous les niveaux de l’économie. 

La hausse de l’inflation

Ainsi, le taux d’inflation, qui avait entre-temps atteint un plus haut intermédiaire, continuera-t-il d’augmenter. Dans certains secteurs, on s’attend cette année à 15 % de hausse de prix. Cette perte de pouvoir d’achat s’ajoute au coût des 2 % à 4 % de perte de chiffre d’affaires et des amortissements des investissements occidentaux en Russie.

Ici, en Occident, nous pouvons nous permettre ces hausses de prix et ces pertes de revenus, mais elles sont insupportables pour les pays pauvres. Et puis il y a le changement climatique, dont la gestion coûtera de toute façon quelques points de pourcentage du produit national brut (avec ou sans efforts de prévention). Les mesures prises par les banques centrales sont inefficaces contre ces hausses de prix.

Quelles futures évolutions ?

L’interconnexion mondiale et la division mondiale du travail sont partiellement inversées. Nous assistons à une re-régionalisation associée à une nouvelle formation des blocs à l’échelle mondiale (la Russie se tourne vers l’Inde et la Chine). Un effondrement de la Russie, en raison de sa situation financière tendue, est possible.

Des coûts de défense élevés, auxquels s’ajoutent les pertes liées à l’Ukraine et les coûts de l’embargo, sont difficilement supportables pour un pays de la taille économique de l’Espagne. La faiblesse économique a eu raison du bloc de l’Est. Une désintégration similaire est également envisageable en Russie. 

Dans le même temps, d’énormes investissements sont nécessaires en Europe pour compenser les échecs du passé : qu’il s’agisse du stockage du gaz, des gazoducs, des lignes électriques, du développement de sources d’énergie alternatives, de l’augmentation des dépenses militaires, de nouvelles logistiques d’approvisionnement, des ports, et ce idéalement de manière coordonnée au niveau européen. Il reste peu de temps pour tout cela.

Hendrik Leber - ACATIS Investment

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