Banques centrales : la Fed et la BCE, Derrick et Harry

Asset Management - La semaine dernière encore, les marchés ont perçu l'action de la Réserve fédérale américaine (Fed) comme volontariste, face à une Banque Centrale Européenne (BCE) jugée pusillanime. Ce différentiel d'appréciation se vérifie-t-il à l'épreuve des faits, en termes de politiques monétaires ? Les explications d'Olivier de Berranger, Directeur de la gestion d'actifs et Directeur Général Délégué chez LFDE.

La semaine passée a vu se réunir coup sur coup deux des principales banques centrales mondiales, la Fed puis la BCE. Quelle différence ! Les marchés ne s’y sont pas trompés. Le soir de l’intervention de la Fed, les marchés clôturaient en nette hausse. Le soir de l’intervention de la BCE, en forte baisse… surtout les indices européens justement. Pourtant, la Fed n’a rien annoncé de neuf, à l’inverse de la BCE !

Mais la Fed avait déjà annoncé des innovations majeures le 9 avril dernier, en particulier l’achat d’obligations spéculatives et de larges prêts à différents types d’institutions : entreprises, Etats non fédéraux, collectivités locales, etc. Le marché actions avait fortement monté sur ces annonces. Nous n’attendions donc rien de nouveau de sa part, à part l’assurance — effectivement donnée — qu’elle pourrait accroître son programme sans limite de taille ni de durée.

« Helicopter money » en mode furtif

La seule once de déception pouvait venir de l’insistance de son président, Jerome Powell, sur le fait que les prêts accordés n’étaient pas des subventions, mais devraient être remboursés. Cela paraît aller de soi, mais nous pouvons y lire en creux que la Fed n’est pas disposée à larguer ce qui s’appelle de « l’helicopter money », c’est-à-dire à créer de l’argent pour le distribuer de façon définitive. 

C’est pourtant quasiment ce qu’elle fait sans l’avouer, en achetant sans limite les dettes de l’Etat fédéral — qui peut ainsi s’endetter sans compter à taux quasiment nul. Mais dans le principe, ces obligations devront bien être remboursées par l’Etat américain. Sauf qu’elles pourraient l’être au moyen de nouvelles émissions de dette, que la Fed pourrait à nouveau acheter, et ainsi de suite, tant que la Fed joue le jeu. Ce qui revient à ne jamais vraiment rembourser.

La BCE, un mandat plus restreint

De son côté, la BCE a certes annoncé une amélioration des conditions de crédit octroyées aux banques dans le cadre de programme de facilitation du crédit (« TLTRO ») : dans certains cas, celles-ci pourront s’endetter à un taux négatif allant jusqu’à – 1 %, c’est-à-dire en gagnant de l’argent par le seul fait d’emprunter auprès de la BCE pour prêter aux agents économiques. Mais peu d’autres mesures fortes ont été décidées. En particulier, la BCE a indiqué qu’elle n’avait pas envisagé la possibilité d’acheter des obligations de notation « spéculative », ce que la Fed vient pourtant de faire.

Il faut reconnaître que le mandat de la banque centrale européenne ne l’aide pas à aller aussi vite et aussi loin que la Fed. Il se borne à viser une inflation de moyen terme proche (mais inférieure) à 2 %, alors que la Fed se voit aussi attribuer l’objectif de favoriser le plein emploi, donc d’éviter les faillites d’entreprises saines qui peinent à se refinancer. Il lui faut donc passer par l’argument du risque de déflation et de stabilité de la zone euro pour agir, alors que la Fed a les coudées plus franches.

Résilience cachée en zone euro

A la fin, cela peut revenir au même car un chômage élevé peut entraîner une déflation. Mais ce n’est pas automatique : chômage et inflation peuvent aller de pair, comme l’ont montré les années 1970. Et la complexité de l’argumentaire rend l’action moins efficace. Nous l’avons vu d’ailleurs après la crise de 2008 : alors que la crise avait pris naissance aux Etats-Unis, c’est l’Europe qui en avait finalement le plus souffert, son PIB global — et son niveau de chômage — n’ayant retrouvé son niveau pré-2008 que bien après les Etats-Unis.

Certes, la reprise américaine ne doit pas tout à la Fed. Mais elle n’y est pas étrangère. La pusillanimité européenne risque d’avoir les mêmes conséquences. Cela dit, il ne faut pas désespérer de la BCE. Elle a montré sa capacité de réaction à plusieurs reprises. En juillet 2012, l’intervention de Mario Draghi a permis de conserver l’unité de la zone euro. C’est bien elle aussi qui, après la Banque du Japon, mais bien avant la Fed, s’est mise à acheter des obligations d’entreprises. Enfin, la taille de son bilan rapporté au PIB de la zone est supérieure à celle de la Fed.

Un cliché tenace

Gageons donc que la BCE saura trouver les moyens de soutenir correctement la zone euro. Mais il faudra apaiser les dissensions internes. Etre plus patient qu’avec la Fed. Dommage que les clichés s’avèrent justes cette fois, renvoyant une l’Europe pusillanime face à une Fed volontariste… L’inspecteur Derrick face à l’inspecteur Harry.

Olivier de Berranger - LFDE

Directeur de la gestion d'actifs et Directeur Général Délégué

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