Pierre-Antoine Dusoulier – iBanFirst : parité euro dollar, « le marché américain est perçu comme une valeur refuge »

Asset Management - Le marché des changes traverse une grosse phase de turbulence. La livre sterling plonge, tandis que l'euro poursuit son recul face au dollar. Quelles perspectives pour les investisseurs ? Pierre-Antoine Dusoulier, PDG d'iBanFirst, répond en exclusivité au Courrier Financier.

Depuis ce lundi 26 septembre, le marché des changes connaît de grosses turbulences. L’effet de l’intervention de la banque centrale britannique n’a pas duré longtemps. Ce jeudi 29 septembre, le dollar avance face à un panier de devises de référence (+0,88 %) quand la livre sterling abandonne -1,06 % contre le billet vert, rapporte Reuters. Les doutes des investisseurs persistent sur la gestion de l’économie au Royaume-Uni. Pendant ce temps, l’euro recule encore face au dollar. Quelles perspectives pour les cambistes dans les semaines à venir ? Pierre-Antoine Dusoulier, PDG d’iBanFirst, répond en exclusivité au Courrier Financier.

Le Courrier Financier : La livre sterling a touché un plus bas historique ce lundi 26 septembre. Comment la Banque d’Angleterre (BoE) a-t-elle réagi ?

Pierre-Antoine Dusoulier – iBanFirst : parité euro dollar, « le marché américain est perçu comme une valeur refuge »
Pierre-Antoine Dusoulier

Pierre-Antoine Dusoulier : Pour l’instant, la BoE fait le dos rond. Il n’y a pas de bonne solution. Si elle décide d’intervenir en augmentant drastiquement le taux directeur de 75 ou 100 points de base et que cela échoue à stabiliser la livre sterling, elle serait sans ressources pour faire face au marché. Si elle opte pour une hausse moindre (50 points de base), il est probable que ce sera un coup d’épée dans l’eau. Enfin, si elle ne fait rien, elle sera évidemment critiquée pour son attentisme. Face à une crise comme celle que traverse la livre sterling, il n’y a pas de réponse toute prête pour stabiliser le taux de change.

C.F. : De quelle manière le Brexit a-t-il contribué à fragiliser la livre sterling face au dollar tout puissant sur les marchés ?

P.A.D. : Le Brexit a engendré des ruptures au niveau de la chaîne d’approvisionnement avant la Covid. Avec la pandémie, ces disruptions se sont accentuées et elles sont effectivement plus importantes que dans d’autres pays européens. Mais ce serait erroné de lier le Brexit et la baisse de la livre sterling ces dernières séances. En réalité, la monnaie britannique a été plutôt résiliente pendant la période conduisant au Brexit. C’est bien la preuve que ce n’est vraisemblablement pas le point d’inquiétude des cambistes.

C.F. : En Europe, comment la guerre en Ukraine alimente-elle l’inflation ? La zone euro va-t-elle entrer en récession cet hiver ?

P.A.D. : Nous avons tort de systématiquement mettre en avant le fait que l’inflation soit uniquement liée à la guerre en Ukraine. Le conflit a été un accélérateur mais il est probable que même sans cela, nous aurions connu une période d’inflation anormalement élevée. Cela étant dit, les déboires sur le marché de l’électricité européen en lien avec la guerre en Ukraine et les difficultés du parc nucléaire vont certainement provoquer une récession en zone euro. En s’attardant sur les derniers indicateurs d’activité PMI, il apparaît évident que la zone euro est déjà entrée en récession au troisième trimestre.

C.F. : Pourquoi la faiblesse de l’euro face au dollar rend-t-elle la zone euro moins attractive pour les investisseurs ?

P.A.D. : La faiblesse de l’euro est plutôt le signe de la défiance des investisseurs à l’égard de la zone euro. Le raisonnement est simple. La période actuelle est marquée par une incertitude élevée, il est évident que la zone euro s’en sortira moins bien que les Etats-Unis.

Les investisseurs vont donc logiquement recycler leurs capitaux sur le marché américain qui est perçu comme une valeur refuge, ce qui fait monter le niveau du dollar. C’est un phénomène habituel en période de crise. La seule différence à l’heure actuelle, c’est que le phénomène est exacerbé. Nous constatons une fuite des capitaux un peu partout dans le monde en direction des Etats-Unis.

C.F. : Comment les politiques monétaires de la Réserve fédérale (Fed) et de la Banque centrale européenne (BCE) pèsent-elles sur l’appétence au risque des investisseurs ?

P.A.D. : Il est erroné de se focaliser trop sur la politique monétaire en ce moment. Toutes les banques centrales (à part quelques-unes) sont entrées dans un cycle de durcissement monétaire. Que la Fed ait commencé plus tôt que la BCE, je ne suis pas sûr que cela change fondamentalement la donne. En revanche, la perception des investisseurs que la zone euro fait face à un risque d’appauvrissement résultant de la crise énergétique est certainement un facteur primordial pour expliquer les mouvements des actifs, notamment sur le marché des changes.

C.F. : Dans ce contexte de turbulences sur le Forex, quelles perspectives à moyen terme pour la parité euro-dollar ?

P.A.D. : Il y a quelques semaines de cela, si je vous avais dit qu’il n’est pas impossible que l’EUR/USD atteigne le niveau situé à 0,90 d’ici la fin de l’année, vous m’auriez ri au nez. Je pense que ce n’est plus du tout absurde. Si l’EUR/USD passe sous le cap situé à 0,95, nous pourrions avoir une dégringolade plus rapide de la monnaie unique. Evidemment, cela va dépendre également de la gravité de la crise énergétique cet hiver et de l’ampleur de la récession. A ce stade, c’est assez difficile de savoir ce qui va se produire. 

Mathilde Hodouin - Le Courrier Financier

Rédactrice en chef (janvier 2019 - février 2024)

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