Karl Toussaint du Wast – Netinvestissement : « Le blocage des virements SWIFT vient asphyxier l’économie russe »

Asset Management - En réaction contre l'invasion de l'Ukraine, les pays occidentaux viennent de bloquer l'accès de la Russie du réseau interbancaire Swift. Quelles seront les conséquences économiques de cette décision ? Karl Toussaint du Wast, cofondateur chez Netinvestissement, répond au Courrier Financier.

Le 24 février dernier, la Russie lançait une opération militaire en Ukraine. En réaction, les Etats-Unis et l’Union européenne (UE) ont déployé plusieurs trains de sanctions économiques. Ce samedi 26 février, les pays occidentaux ont coupé l’accès de Moscou au réseau de messagerie bancaire et financière Society of Worldwide Interbank Financial Telecommunications (SWIFT). Créée en 1973, SWIFT revendique aujourd’hui être utilisé par plus de 11 000 institutions financières dans plus de 200 pays et territoires. Ce blocage a été qualifié « d’arme nucléaire économique ». Karl Toussaint du Wast, cofondateur chez Netinvestissement, répond en exclusivité au Courrier Financier.

Le Courrier Financier : Qu’est-ce que SWIFT ? Quel rôle joue-t-il dans le système financier international ?

Karl Toussaint du Wast – Netinvestissement : « Le blocage des virements SWIFT vient asphyxier l’économie russe »
Karl Toussaint du Wast

Karl Toussaint du Wast : Le SWIFT est le code d’authentification d’une banque. Ce système permet d’encoder des transactions et donc de les suivre et de les sécuriser. Le SWIFT est utilisé par plus de 200 banques dans le monde. Il est aujourd’hui considéré comme le mode de virement bancaire le plus populaire dans les transactions, notamment internationales. A ce titre, il joue évidemment un rôle majeur et pour le moment stratégique dans le système financier actuel.

C.F. : Quels sont les organismes financiers concernés par le blocage de SWIFT ? Sous quelles conditions et/ou exemptions ?

K.T.W. : Pour le moment, les sanctions visent à pénaliser directement l’économie et le système financier russe, en interdisant l’utilisation des virements SWIFT pour les transactions en provenance et à destination de la Russie. La coalition a décidé de « couper le robinet » des flux financiers en identifiant les virements encodés RU et en les interdisant.

Ce sont les banques russes qui sont exclues de SWIFT. Cela signifie que tout virement émis (entrant ou sortant) par une banque russe sera automatiquement rejeté par les banques de la coalition : Etats-Unis, Europe, Angleterre, Canada pour le moment. Pour le moment, seul le secteur de l’énergie (gaz et pétrole) est exonéré de cette sanction pour des raisons évidentes.

C.F. : Quelles seront les conséquences de ce black-out financier sur les exportations russes ? Cette décision risque-t-elle d’attiser l’inflation en Europe ?

K.T.W. : Il y a plusieurs niveaux de lecture à ces sanctions. A court terme, cela risque d’avoir un impact sur le coup des matières premières notamment et énergétiques en particulier (gaz et pétrole) mais le pragmatisme de l’économie de marché mondiale s’adapte vite. Les solutions alternatives pour offrir les ressources nécessaires ont déjà été apportées par des pays concurrents sur le marché, tels que l’Algérie, en mesure de pouvoir fournir en pétrole et en gaz.

Par ailleurs, si ces décisions de sanctionner par la voie financière envoient un message « fort » aux populations occidentales, il faut avoir conscience que les grands organismes et institutions utiliseront des solutions alternatives pour continuer à commercer : solutions telles que des banques hors zone russe, ou encore la blockchain et les cryptomonnaies, dont nous voyons évidemment le cours exploser à la hausse depuis quelques jours.

C.F. : Comment le blocage de SWIFT affecte-t-il aujourd’hui la banque centrale russe ?

K.T.W. : Le blocage des virements SWIFT vient directement et immédiatement asphyxier l’économie russe en la privant des flux financiers. La Russie est un grand pays exportateur ; or, les priver la possibilité de recourir à des virements SWIFT complexifie et ralentit fortement l’économie du pays.

La banque centrale russe, tout comme n’importe quelle autre banque centrale, a un rôle de régulation — notamment de ses taux d’intérêts — mais doit également veiller à la bonne stabilité de sa monnaie face aux autres. Or, sans surprise, le rouble a dévissé ces derniers jours ; logique, car consécutivement à la mise en place des sanctions bancaires sur les virements SWIFT, l’économie russe se trouve immédiatement pénalisé.

C.F. : Quelles alternatives financières Moscou met-elle en place pour remplacer SWIFT ? Le pays va-t-il davantage se tourner vers la Chine ?

K.T.W. : La position de la Chine vis-à-vis de la Russie — et plus largement de ce conflit — est délicate, et relève de la diplomatie internationale. Je ne me positionnerai pas sur ce point. En revanche, à court terme, la Russie n’a comme seules alternatives opérationnelles que de passer par des voies bancaires non identifiées comme émanant directement de Russie, éventuellement via des alliés économiques… Bien que cette voie ne serait pas la plus favorable au maintien de la souveraineté de la Russie. La DEFI (finance décentralisée) et les cryptomonnaies semblent toutefois offrir l’alternative la plus évidente et la plus simple à Moscou.

C.F. : Les cryptomonnaies peuvent-elles permettre de contourner le blocage ?

K.T.W. : Clairement oui, les cryptomonnaies et leur système décentralisé (c’est-à-dire échappant justement à tout organe de contrôle et donc à toute possibilité de venir contrôler, bloquer, sanctionner ou empêcher) offrent une solution alternative évidente, déjà opérationnelle. Le Covid aura bousculé et accéléré le processus d’adoption d’outils de visio tels que Zoom ou Google Meet. Ce terrible conflit russo-ukrainien pourrait bien accélérer malgré lui, l’adoption et l’avènement de l’utilisation de la blockchain et des cryptomonnaies dans cette zone du monde.

Mathilde Hodouin - Le Courrier Financier

Rédactrice en chef (janvier 2019 - février 2024)

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