Eric Lafrenière – Richelieu Gestion : Richelieu America ESG, « nous avons obtenu cinq étoiles Quantalys en janvier 2023 »

Asset Management - L'année dernière s'est révélée très chaotique sur les marchés actions. Comment le fonds actions « Richelieu America ESG » aborde-t-il l'année 2023 ? Eric Lafrenière, Gérant senior chez Richelieu Gestion, répond au Courrier Financier.

Le 10 décembre 2022, le fonds d’investissement « Richelieu America ESG » a fêté ses trois ans. L’occasion de revenir sur le positionnement de ce fonds actions nord-américaines — et sur l’environnement macroéconomique dans lequel il s’inscrit. Comment le fonds « Richelieu America ESG » se positionne-t-il en 2023 ? Dans le contexte inflationniste actuel, quelles perspectives pour le segment des actions nord-américaines ? Eric Lafrenière, Gérant senior chez Richelieu Gestion, répond en exclusivité aux questions du Courrier Financier.

Le Courrier Financier : Le Courrier Financier : Pouvez-vous nous présenter le fonds Richelieu America ESG ? Quelles sont ses caractéristiques ? 

Eric Lafrenière - Richelieu Gestion : Richelieu America ESG, « nous avons obtenu cinq étoiles Quantalys en janvier 2023 »
Eric Lafrenière

Eric Lafrenière : Le fonds Richelieu America ESG est le fruit d’une longue réflexion. J’ai travaillé pendant près de 20 ans en gestion collective et gestion sous mandat, auprès de grands clients avec des orientations d’investissements internationales [NDLR au sein des banques privées ABN AMRO et Neuflize OCB]. J’ai lancé le fonds Richelieu America ESG le 10 décembre 2019, peu de temps après mon arrivée chez Richelieu Gestion [NDLR en septembre de la même année]. C’est un fonds qui investit en actions américaines.  

Je voulais un fonds d’investissement qui pourrait se positionner en tant que brique d’allocation US international pour un client privé. J’ai donc proposé un processus d’investissement avec deux poches : une poche cœur et une poche multithématique. La poche cœur s’inspire du S&P 500 Dividend Aristocrats. Ce sous-indice sélectionne au sein du S&P 500 les sociétés qui ont augmenté tous les ans leurs dividendes au cours des 25 dernières années — avec certains critères de liquidité. 

Notre processus d’investissement se différencie pour battre cet indice de référence. Nous repérons les valeurs qui ont distribué des dividendes pendant une période d’au moins 15 ans — ce qui aujourd’hui inclut la crise sanitaire que nous venons de connaître et la crise financière de 2008. Ces entreprises ont pu continuer à faire progresser leur dividende, malgré ces crises. La poche cœur constitue l’assise de la gestion, c’est l’assise du fonds. Elle représente entre 50 % et 80 % des actifs. 

Nous y associons une poche multi-thématique. Aujourd’hui, cette poche est investie sur trois thèmes principaux. Tout d’abord, vous avez les modes de transport de demain (notamment les véhicules électriques — constructeurs, recyclage des minerais, etc. — et l’aéronautique). Comme deuxième thématique, nous avons retenu la digitalisation. Ce secteur a été un peu chahuté en 2022, mais il reste porteur sur le long terme. Si la crise du Covid a accéléré le développement du digital, la hausse des taux l’an dernier a pénalisé les valeurs digitales qui ont un biais plus croissance. 

La dernière thématique concerne le reshoring, c’est-à-dire le rapatriement d’une partie des chaînes de production aux Etats-Unis — ou chez les amis des Etats-Unis comme le Canada. C’est la troisième thématique en termes de poids. Après nous avons d’autres thématiques moins importantes comme la sécurité, ou l’innovation dans la santé. Cela nous permet d’aller chercher des performances de marché. Nous nous autorisons aussi à nous exposer à un événement ponctuel de marché. 

C.F. : C’est aussi un fonds ESG depuis 2020. De quels critères extra-financiers s’agit-il ? 

E.L. : Au lancement du fonds, nous avons commencé à travailler avec Vigeo Eiris. Dès le départ, nous avons appliqué une méthode Best in Class. Nous prenions la note globale attribuée par les fournisseurs de data, puis nous en retranchions les 20 % de valeurs les moins bien notées. Nous avons ajouté un deuxième critère, avoir une note ESG pour notre fonds qui soit supérieure à celle de l’indice en appliquant la même méthodologie à l’indice. Une manière de marquer notre appétence pour l’ESG, même si ce n’était pas nécessaire pour prétendre à un statut SFDR 8. Nous avons ensuite personnalisé cette approche afin de sélectionner des critères pertinents pour le fonds et d’ajuster nos pondérations. 

Aujourd’hui dans le process de Richelieu ESG America, nous surpondérons le critère de gouvernance à 40 % [NDLR le G de ESG] contre 30 % pour les deux autres [NDLR environnementaux et sociaux]. Pour qu’une entreprise voit son dividende progresser dans le temps, elle doit être bien dirigée. Afin de couvrir les trois piliers E, S et G, nous utilisons 23 sous-critères pour aboutir à une note. Nous appliquons aussi un système de malus de 10 % à 20 % en fonction du niveau de controverse de la société. Ensuite, nous reclassons les valeurs par secteurs et nous retenons les 80 % les mieux notées. 

Nous échangeons souvent avec le dirigeant des sociétés dans lesquelles nous investissons — ou avec le responsable de l’ESG s’il y en a un. Cette méthodologie implique beaucoup d’échanges formels et informels, ce qui nous permet de voir plus large. C’est un processus positif qui bénéficie à toute la gamme de Richelieu Gestion. En septembre 2022, nous avons recruté un collaborateur chargé de l’ESG. Il accompagne tous les gérants dans le suivi des valeurs en portefeuille, et facilite les échanges avec les sociétés dans lesquelles nous serions susceptibles d’investir. 

C.F. : Le fonds a fêté ses trois ans en décembre 2022. Pourquoi s’agit-il d’une étape très importante pour le fonds ? 

E.L. : Beaucoup d’investisseurs veulent connaître la robustesse de la performance d’un fonds. Trois ans d’existence, c’est le seuil à partir duquel les sociétés comme Quantalys vont commencer à octroyer une notation de fonds. Nous avons obtenu cinq étoiles Quantalys en janvier 2023 — la note maximale pour un fonds d’investissement. Cette cinquième étoile démontre une régularité de la performance et une bonne gestion des risques à l’intérieur du fonds. 

Pour les investisseurs, c’est un signe de fiabilité dans le track de long terme. J’y suis très attaché. En termes de performances, la première moitié de l’année 2022 a été difficile ; mais nous avons quasiment rattrapé notre retard à fin janvier 2023. Les performances passées ne préjugent pas des performances futures, mais la première partie de l’année 2023 se présente bien.  

C.F. : Comment résumer l’environnement macroéconomique aux Etats-Unis en 2022 ? Quel impact a-t-il eu sur le fonds Richelieu America ESG ? 

E.L : Pendant toute l’année 2021, la Réserve fédérale américaine (Fed) a sous-estimé la hausse de l’inflation, ce qui a permis aux marchés de fortement progresser. Mais début 2022, le réveil a été brutal. Le climat global d’investissement s’est fortement dégradé avec le déclenchement de la guerre en Ukraine, le 24 février 2022 — conflit qui a encore aggravé les pressions inflationnistes. Dès le premier trimestre 2022, la banque centrale américaine a procédé à un rythme de hausse des taux très fort. Ce tournant hawkish de la politique monétaire a un impact sur les valeurs américaines de croissance, notamment dans le secteur de la tech — des valeurs attractives en raison de taux particulièrement bas. Ce mécanisme s’est retourné.  

Mais sous la vague, certains secteurs ont tiré leur épingle du jeu. C’est le cas par exemple de l’énergie — qui a presque doublé son poids dans les indices en raison de la sous-performance des autres secteurs. Il est toujours possible d’aller chercher de la performance sur certains sous-secteurs des indices, ou sur des thématiques plus porteuses. En 2023, une grande question se pose sur le marché américain : la Fed risque-t-elle d’aller trop loin ? Sa politique monétaire va-t-elle plonger l’économie américaine dans une forte récession ? Chez Richelieu Gestion, ce n’est pas notre scénario. 

Après la hausse des taux de 0,25 point de pourcentage lors de la réunion de la Fed du 1er février dernier, nous nous attendons à ce qu’elle porte les taux directeurs dans une fourchette 5,25 à 5,50 %. La Fed devrait ensuite attendre de voir si l’inflation — qui commence à se résorber — poursuit sur une tendance baissière. Pour la Fed, l’objectif consiste à ramener l’inflation sous la barre des 2 % mais elle pourrait se contenter d’un niveau légèrement au-dessus. Plusieurs scénarios sont possibles en Europe et aux Etats-Unis : le hard landing, le soft landing (celui que nous avons en tête) et même le no landing (pas de récession, l’économie continue sa course). 

C.F. : En 2022, le dollar a également connu un fort rallye haussier. Que s’est-il passé ? Quelles conséquences sur votre gestion ? 

Le dollar a connu +6,7 % de hausse en 2022 — sachant qu’au dernier trimestre, la devise américaine s’est quand même légèrement affaiblie. Nous sommes montés jusqu’à +14 % avant de terminer l’année autour de +6 %. La dépréciation s’est faite au deuxième semestre 2022, ce qui a pesé sur la sous-performance des marchés américains. Début 2023, tous les regards se tournent vers la Chine avec la fin de la politique zéro Covid. Nous constatons un engouement pour les actions émergentes, notamment chinoises, après des années pendant lesquelles le marché américain était mis en avant.  

En 2023, nous espérons une année de performances en dessous des radars. En d’autres termes, nous misons sur l’hypothèse que les investisseurs vont se concentrer sur d’autres sujets, ce qui va nous permettre de travailler de manière plus sereine avec Richelieu America ESG et d’aller chercher de la performance sur une zone qui reste incontournable pour un investisseur sur le long terme. Aujourd’hui, l’Amérique du Nord représente plus ou moins 60 % des allocations des grands indices MSCI World. 

C.F. : Comment votre fonds se positionne-t-il en 2023 ? C’est un fonds cœur de portefeuille. Comment cela se traduit-il ? 

E.L. : Nous partons sur le scénario suivant : a priori, pas de récession, ou une récession dite « technique » (soft landing). Pour aborder sa quatrième année d’existence, le fonds est positionné avec une approche plutôt équilibrée — entre notre poche cœur et notre poche multithématique nous sommes investis à environ 52-53 % au sein de la poche cœur pour la performance des dividendes. Au sein de la poche multithématique, nous mettons en avant les trois thématiques évoquées plus haut.  

Le fonds n’est pas géré en sectoriel, c’est un fonds de conviction qui détient 35 à 40 lignes en portefeuille. Ces derniers mois nous avons élargi le nombre de valeurs — Richelieu America ESG atteint désormais son seuil maximal de 40 lignes. Nous avons réduit le poids des principales lignes, même si le fonds est concentré. Nous attendons d’avoir plus de visibilité sur l’évolution de l’inflation aux USA en 2023. Nous gardons plusieurs moteurs de performance, entre la poche cœur et la poche thématique. Le stock picking reste le levier historique de performance chez Richelieu Gestion. 

Nous nous concentrons sur des valeurs que nous maîtrisons bien, avec un potentiel de forte appréciation. 80 % des valeurs qui étaient dans la poche cœur lors du lancement du fonds y sont toujours. Nous réalisons des arbitrages sur le poids des valeurs, mais nous les sélectionnons pour les conserver. Dans la poche thématique, ça bouge un peu plus. Le premier semestre 2023 risque d’être un peu chaotique, avec un marché plus volatil en Europe comme aux Etats-Unis. 

Au deuxième semestre 2023, les investisseurs devraient anticiper une politique de la Fed plus accommodante pour 2024. Le marché essaie toujours de se positionner en amont des scénarios économiques. Mais ce scénario central est susceptible d’évoluer au cours de l’année, en fonction de l’évolution de la macro. Nous avons cette capacité d’ajuster notre scénario et de piloter à l’intérieur de notre allocation et de nos moteurs de performance. 

C.F. : Pourquoi investir dans le fonds Richelieu America ESG ? 

E.L. : Trois points me semblent importants. Premièrement, le positionnement du fonds en cœur d’allocation répond parfaitement au souhait d’un client privé qui voudrait s’exposer à l’international et au marché US. Deuxièmement, le track record sur les trois dernières années valide le positionnement de notre fonds, qui dans des cycles de marchés a montré que le fonds savait s’adapter (5 étoiles Quantalys). Troisièmement, nous essayons également d’apporter le maximum d’informations auprès de nos clients par de la communication, de la proximité et de la transparence.  

Enfin, malgré l’année 2022 en demi-teinte en termes de résultat, nous avons eu une collecte positive grâce à de nouveaux clients mais aussi la fidélité de nos partenaires qui nous accompagnent depuis le lancement du fonds. J’en profite pour les remercier. Le fonds a été lancé en décembre 2019 avec 4,5 millions d’euros d’actifs. Aujourd’hui nous nous retrouvons légèrement en-dessous de 100 millions d’euros. Nos clients privés et institutionnels nous ont fait confiance en 2022 malgré un contexte difficile, et ils ont eu raison ! 

Peut-être ajouterais-je aussi un petit clin d’œil. Dans le fonds Richelieu America ESG, nous parlons beaucoup des Etats-Unis mais le fonds est aussi exposé à quelques entreprises canadiennes. Je vis en Europe depuis 20 ans, mais je suis moi-même Canadien — né au Canada. Le Canada est aussi un marché très attrayant. Nous y dénichons des pépites qui se retrouvent dans la poche cœur ou dans la poche multithématique. Aujourd’hui, ça représente 4 à 5 sociétés soit 10 % du portefeuille. 

Mathilde Hodouin - Le Courrier Financier

Rédactrice en chef (janvier 2019 - février 2024)

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