Emmanuel Auboyneau – Amplegest : politique monétaire de la Fed, « ce n’est pas la fin de la hausse des taux »

Asset Management - Cette semaine, la Réserve fédérale (Fed) annonce un relèvement de son taux directeur. Ce ralentissement du resserrement monétaire marque-t-il le début du pivot de la Fed ? Quelles conséquences en termes de volatilité boursière ? Emmanuel Auboyneau, gérant associé chez Amplegest, répond en exclusivité au Courrier Financier.

Ce mercredi 14 décembre, la Réserve fédérale (Fed) remonte son taux directeur de 50 points de base — soit 0,5 point de pourcentage. Il fluctuera désormais entre 4,25 % et 4,5 % d’après le comité de politique monétaire de la banque centrale américaine. C’est le taux de référence le plus élevé depuis 2007. Avec cette hausse des taux d’un demi-point, la Fed entame un ralentissement de sa politique de resserrement monétaire, initiée en mars dernier. Le pic d’inflation est-il passé ? Le cycle de hausse des taux touche-t-il à sa fin ? Emmanuel Auboyneau, gérant associé chez Amplegest, répond en exclusivité au Courrier Financier.

Le Courrier Financier : Les Etats-Unis ont-ils atteint leur pic d’inflation ? Faut-il craindre l’hypothèse d’une récession en 2023 ?

Emmanuel Auboyneau - Amplegest : politique monétaire de la Fed, « ce n’est pas la fin de la hausse des taux »
Emmanuel Auboyneau

Emmanuel Auboyneau : Nous pensons que le pic d’inflation a bien été passé aux Etats-Unis, même si la décélération sera lente et progressive tout au long de 2023. Les effets de base favorables sur les matières premières sont le principal vecteur de cette baisse par rapport au point haut. Une stabilisation puis une modération des salaires sera le prochain point d’étape dans ce processus de décélération des prix.

Du côté de la croissance, nous anticipons davantage un ralentissement qu’une récession. L’emploi reste à ce jour très vigoureux aux Etats-Unis et la consommation est toujours solide. Toutefois, l’effet des hausses de taux passées finira par se faire sentir et la croissance devrait freiner significativement dans la première partie de 2023.

C.F. : La Réserve fédérale (Fed) a annoncé ce mercredi 13 décembre une hausse de 50 pdb. S’agit-il du pivot tant attendu ?

E.A. : La hausse des taux de 50 points de base était largement anticipée. Elle marque une inflexion dans la politique monétaire américaine. Mais ce n’est pas la fin de la hausse des taux. Jerome Powell l’a bien précisé dans un discours plus dur que prévu. Nous prévoyons encore deux ou trois hausses des taux en 2023 avant une possible stabilisation. Plus généralement les prochains chiffres guideront l’action de la Banque Centrale qui restera pragmatique dans son action future.

C.F. : Quel serait l’impact d’un resserrement monétaire sur l’économie mondiale en 2023 ?

E.A. : Tout dépend du type de resserrement et de son rythme. Une hausse des taux anticipée et objectivement justifiée peut très bien être absorbée par une économie si ses socles sont solides. Ce qui a surpris, et contribue à la décélération économique, est la vigueur inégalée de la hausse des taux en 2022, en Europe et aux Etats-Unis. Les banques centrales ont frappé vite et fort pour essayer de contenir une inflation galopante.

Une grande partie de cette hausse est désormais faite, et les prochaines remontées de taux seront de moindre ampleur. L’économie mondiale souffre déjà des hausses passées et devrait contenir les hausses futures. Notons toutefois que la Chine est à contre-courant et baisse ses taux depuis plusieurs mois. Une sortie de la politique zéro covid conjuguée à cette politique monétaire devrait contribuer positivement à la croissance mondiale.

C.F. : Pourquoi les marchés anticipent-ils un « soft landing » ? Comment cela se traduirait-il ?

E.A. : Les marchés anticipent un soft landing, tout du moins aux Etats-Unis. Ils partent du constat que l’économie américaine reste stable malgré les resserrements monétaires successifs. La consommation, l’emploi ou l’investissement des entreprises sont toujours au rendez-vous.

Un ralentissement est en cours mais, compte tenu de ces bases solides, il devrait être modéré et se traduire par un atterrissage en douceur de l’économie. La situation est plus compliquée en Europe, davantage impactée par la crise énergétique et par la guerre en Ukraine. Une récession est probable sur notre continent avant une reprise progressive fin 2023.

C.F. : Cette anticipation de marché est-elle compatible avec une éventuelle baisse de taux l’an prochain ?

E.A. : Une baisse des taux l’an prochain, si elle intervenait, viendrait saluer un succès dans la lutte contre l’inflation. Elle interviendrait dans un contexte économique sans doute compliqué avec des ralentissements plus ou moins prononcés. Nous n’anticipons pas cette éventualité avant, au mieux, fin 2023. Notre anticipation sur la croissance mondiale en 2023 ne pourra donc être impactée par cet éventuel mouvement de baisse des taux.

C.F. : Les investisseurs doivent-ils s’attendre à une forte volatilité boursière à horizon début 2023 ?

E.A. : Une volatilité boursière est très probable dans les six prochains mois. Le principal moteur des marchés restera la politique monétaire des banques centrales. Les décisions sur les taux et les déclarations des banquiers centraux seront scrutées et pourront donner lieu à de fortes variations de marché. D’autres facteurs contribueront à cette volatilité : l’évolution du conflit ukrainien, la situation sanitaire en Chine, les résultats trimestriels des sociétés, etc.

Les marchés sortent traumatisés d’une année 2022 éprouvante. Les liquidités sont disponibles, les marchés actions sont peu chers. Les bonnes nouvelles seront suivies de hausses importantes mais les forces baissières ne baisseront pas pavillon comme ça, d’où des épisodes probables de forte volatilité à venir.

Mathilde Hodouin - Le Courrier Financier

Rédactrice en chef (janvier 2019 - février 2024)

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