Sanctions de l’AMF : H2O Asset Management se débat dans la tempête

Asset Management - Ce mardi 3 janvier, l'Autorité des marchés financiers (AMF) a prononcé une sanction financière record à l'encontre d'H2O AM et de ses ex-dirigeants. La société de gestion va déposer un recours devant le Conseil d'Etat. Retour sur l'affaire avec Le Courrier Financier.

93 millions d’euros. Ce mardi 3 janvier, l’Autorité des marchés financiers (AMF) a infligé une amende record à la société H2O Asset Management (H2O AM) et à ses ex-dirigeants. Entre 2015 et janvier 2020, H2O AM — à l’époque filiale du groupe Natixis — avait investi 2,25 milliards d’euros dans des titres de dette privée émis par le groupe Tennor, à travers des acquisitions directes ou dans le cadre d’opérations de buy & sell back. Or, ces titres financiers « n’étaient pas éligibles à l’actif des fonds » tranche l’AMF. Six OPCVM sont concernés : Allegro, Multibonds, Multistratégies, Multiequities, Adagio et Moderato.

Dans sa décision du 30 décembre 2022, la Commission des sanctions de l’AMF reproche à la société de gestion britannique et à ses deux dirigeants de l’époque, Bruno Crastes (ex directeur général) et Vincent Chailley (ex directeur des investissements), « plusieurs manquements à leurs obligations professionnelles ». En conséquence, le régulateur prononce une sanction de 75 millions d’euros à l’égard d’H2O AM. L’amende s’élève à 15 millions d’euros pour Bruno Crastes, et à 3 millions d’euros pour Vincent Chailley. Cette décision peut encore faire l’objet d’un recours, c’est donc une nouvelle tempête judiciaire qui s’annonce.

Les écueils dans la gestion d’H2O AM

Pour les acquisitions directes, le régulateur pointe d’abord le défaut de liquidité. Les OPCVM ne pouvaient pas honorer les éventuelles demandes de rachat des porteurs. Dans un deuxième temps, ces titres financiers n’auraient pas dû entrer dans la politique d’investissement des OPCVM fixée dans les documents d’information (DICI). Enfin, H2O AM « ne disposait pas d’informations suffisantes pour valoriser ces instruments financiers de façon fiable ». Certains OPCVM détenaient par ailleurs plus de 10 % de titres de créance émis par un même émetteur. H2O AM n’aurait donc pas respecté le « ratio d’emprise » applicable à ces OPCVM.

Les griefs retenus sont comparables pour les opérations de buy & sell back. L’AMF retient que ces opérations reposaient sur les mêmes sous-jacents, qui n’étaient pas éligibles à l’actif des OPCVM. Le régulateur considère que la société H2O AM n’a « pas pris en compte de façon appropriée les risques qui empêchaient les fonds de dénouer ces opérations à leur valeur de marché, à leur initiative et à tout moment ». Par ailleurs relève l’Autorité, « certaines de ces opérations n’étaient pas prises en compte pour le calcul de l’exposition maximale de 5 % au risque de contrepartie sur un même cocontractant ».

Un vent favorable pour les investisseurs ?

Pour mémoire, c’est un article du Financial Times publié en juin 2019 qui avait dévoilé le pot aux roses. De nombreux investisseurs ont alors cherché à récupérer leur argent. En août 2020, sous l’impulsion de l’AMF, H2O AM avait suspendu les transactions sur sept fonds qui détenaient des actifs Tennor — ces derniers sont désormais cantonnés dans de nouveaux fonds, dits « side pockets » (fonds cantonnés). Ces fonds sont actuellement inaccessibles pour les investisseurs. D’après l’association Collectif Porteurs H2O, ces actifs sont désormais « invendables et illiquides ». Leur valorisation aurait chuté de près d’un tiers.

Le Collectif Porteurs H2O s’est créé le 3 décembre 2022. L’association regroupe plus de 3 000 investisseurs lésés. Professionnels et particuliers, tous ont souscrit dans des fonds d’H2O AM. Ce mardi 3 janvier, l’association s’est félicitée de la sanction prononcée par l’AMF, « et notamment des griefs retenus, clairs et circonstanciés ». Cette décision de la Commission des sanctions de l’AMF signifie-t-elle que investisseurs seront — en partie — remboursés ? Entre « les dépréciations déjà actées » à deux reprises par H2O AM et le « manque à gagner [des investisseurs, NDLR] sur leur investissement », l’association reste prudente.

Tempête judiciaire à l’horizon

Le Collectif Porteurs H2O prévoit de déposer une assignation contre la société de gestion britannique en mars 2023, afin d’obtenir « le remboursement de (l’)épargne bloquée ». Dans cette perspective, l‘association a repoussé la date de clôture des adhésions au 28 février prochain. « Le seul moyen de récupérer nos investissements, mais aussi un remboursement du préjudice subi, est d’engager une action en justice » affirme son président, Gérard Maurin. L’association a conclu un partenariat avec Deminor, société spécialisée dans le financement de litiges et qui se rémunère à travers des honoraires « au succès ».

De son côté, H2O AM « conteste vigoureusement la décision de la Commission des sanctions de l’AMF dont la sanction est disproportionnée au regard du dossier ». La société proteste de sa bonne foi — « aucune erreur intentionnelle n’a été commise » — et s’indigne que la liquidité des titres ait été examinée à une « date bien ultérieure » à leur acquisition. H2O AM annonce ce mercredi 4 janvier son intention de déposer un recours devant le Conseil d’État. La société dispose de près de 200 millions d’euros de réserves. Elle promet de s’engager « dans les prochains jours » dans une première phase de remboursement des fonds cantonnés.

Mathilde Hodouin - Le Courrier Financier

Rédactrice en chef (janvier 2019 - février 2024)

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