L’ISR décolle-t-il vraiment ?

Asset Management - Si les initiatives ISR font les choux gras de la presse financière, la part des fonds dédiés est encore minime. Qu’en est-t-il de l’intérêt des épargnants ? Tour d’horizon de cette classe d’actifs.

Plusieurs milliers d’OPCVM, seulement quelques centaines de fonds ISR, et uniquement 113 labellisés Novethic. Pas de réglementation, une définition mal bornée, et un encours qui s’appuie presque essentiellement sur les investisseurs institutionnels : il y a matière à questionner la réalité de l’engouement dépeint pour l’ISR.

Commençons donc par définir les limites de l’ISR. « L’ISR n’est ni normé ni régulé : chaque acteur a sa définition et sa pratique », regrettait Anne-Catherine Husson-Traoré, directrice générale de Novethic (un centre de recherches spécialisé dans l’ISR), dans un article du journal Le Monde. En effet, s’il existe des méthodes pour circonscrire les pratiques, force est de constater qu’elles restent suffisamment évasives pour que les acteurs se permettent quelques libertés.

Elles sont quatre  : les contraintes ESG (processus de gestion qui prend en compte le profil de risque ESG d’une entreprise; les encours sous gestion respectant ces contraintes pèsent 338 milliards d’euros), la sélection ESG (stratégie de sélection, dans chaque secteur d’activité, des émetteurs présentant les meilleures pratiques du marché, pour 312 milliards d’euros d’encours en 2015), la valorisation financière (qui consiste à intégrer les critères ESG dans la valorisation) et les investissements thématiques (pour les entreprises porteuses de solutions environnementales, sociales ou de santé majeures).

Premier constat : il existe un réel paradoxe dans l’établissement de ces méthodes. En effet, une entreprise très polluante mettant en avant ses pratiques managériales exemplaires peut être éligible à l’ISR, ce qui peut être déroutant pour le particulier. Deuxième constat : les meilleures pratiques du secteur ne sont pas, in fine, toujours de bonnes pratiques, elles sont juste moins mauvaises que les autres. Enfin, l’investissement responsable de “conviction”, qui a le plus d’impact sur la gestion des portefeuilles, ne représente finalement que 7% des encours.

En croissance certes, mais auprès d’un public limité

De 2014 à 2015, les investissements ISR ont cru de 29%. Dans ce relatif succès, le poids des épargnants reste très marginal. Sur 746 milliards d’actifs ISR en 2015, les investisseurs institutionnels, assureurs en tête, trustent 90% des investissements. Seuls 10% sont constitués par l’épargne des français, via les contrats d’assurance-vie.

Ce désamour trouverait-il racine dans le manque de performance des produits ISR ? Sonia Fasolo, gérante ISR à la Financière de l’échiquier, refute, comme de nombreux acteurs investis dans ce domaine, cette hypothèse. “ C’est une idée reçue à laquelle nous cherchons à tordre le cou ! Il existe des fonds ISR dont les performances sont très honorables, comme Echiquier Major par exemple, notre fonds ISR labellisé par Novethic. La recherche académique démontre d’ailleurs qu’il existe une corrélation entre l’intégration des critères extra-financiers et la performance. La prise en compte des critères Environnementaux Sociaux et de Gouvernance a un autre mérite, celui de réduire les risques du portefeuille. C’est le cas d’Echiquier Major, positionné sur des valeurs européennes de croissance, qui présente une volatilité inférieure à celle de son indice de référence (MSCI Europe NR).

L’approche ISR permet de développer une meilleure gestion des risques, mais aussi de créer des opportunités d’investissement. À La Financière de l’Echiquier, nous sommes convaincus depuis longtemps que seule une vision globale des entreprises, par le prisme de critères financiers et extra-financiers, est gage de performance. L’analyse des critères ESG – avec un biais fort pour cette dernière dans notre approche – fait donc partie intégrante de la méthode d’évaluation des entreprises dans lesquelles nous investissons. À long terme, la démarche ESG est créatrice de valeur. »

Si création de valeur il y a, comment expliquer la faible part de l’épargne particulière dans l’ISR ? Interrogée sur les leviers de promotion de l’ISR auprès des français, Sonia Fasolo justifie ce maigre intérêt par une carence d’information. “L’investissement socialement responsable est encore insuffisamment connu ! L’existence des produits ISR n’est pas suffisamment relayée par les réseaux de distribution, notamment les banques. L’enjeu de la connaissance, de la clarté est primordial. Celui de la pédagogie aussi. Nous déployons de nombreuses initiatives pour sensibiliser nos clients particuliers et nos partenaires conseillers en gestion de patrimoine (CGP) ou institutionnels aux enjeux de l’ISR.

Les principaux leviers pour susciter l’intérêt sont sans doute l’accessibilité des informations et la pédagogie. Le concept ISR est parfois difficile à appréhender ; il existe de multiples approches très différentes, mais lorsque l’on expose concrètement aux investisseurs la démarche d’analyse et d’évaluation des entreprises, l’intérêt est au rendez-vous. L’épargne salariale constitue également un excellent point d’entrée, les gestionnaires d’épargne salariale proposant la plupart du temps des fonds ISR. C’est là également un bon moyen de faire connaître ces produits aux investisseurs particuliers.”

Tournons alors le regard du côté des gérants. Car la création d’un fonds ISR implique de mobiliser des ressources supplémentaires. En marge du suivi habituel des bilans des société, les gérants ISR doivent mener des entretiens et observations sur les aspects managériaux, sociaux et environnementaux, pour légitimer la présence des entreprises dans le fonds ISR. Cette lourdeur administrative serait-elle la cause de la faiblesse de l’offre ?

Reste que l’explosion des normes dans les grandes entreprises contraint les investisseurs institutionnels à aligner leurs pratiques sur ces protocoles, et que les fonds ISR et les codes dont ils s’accompagnent leur permettent de respecter ces engagements. De quoi expliquer que les encours des fonds ISR ont presque doublé en quatre ans.

Roxane Nojac - Le Courrier Financier

Rédactrice en chef (avril 2016 - janvier 2019)

Voir tous les articles de Roxane