Guerre en Ukraine : quel impact sur les matières premières ?

Asset Management - Ce jeudi 24 février, la Russie a lancé l'invasion de l'Ukraine. Pendant que les Occidentaux réagissent avec des sanctions économiques, les matières premières flambent sur les marchés. Céréales, pétrole, gaz... Quelles conséquences à moyen terme ?

Le drapeau ukrainien donne le ton. Deux bandes horizontales, bleue et jaune, qui représentent le ciel azur sur les champs de blé dans la steppe. L’image poétique — et quelque peu folklorique — révèle une réalité économique. L’Ukraine exporte 24 millions de tonnes de blé par an, nous rappelle Michel Portier, directeur d’Agritel. Le pays se classe septième producteur mondial de maïs et de blé et premier producteur mondial de tournesol (50 % des exportations mondiales). Mais l’invasion russe rebat les cartes. Ce jeudi 24 février au matin, Vladimir Poutine a annoncé une « opération militaire » en Ukraine. Depuis, le blocage logistique des ports ukrainiens fait flamber le prix du blé sur le marché européen.

Les ports ukrainiens à l’arrêt

Les exportations de céréales ukrainiennes passent à 90 % par la voie maritime. Or, les ports d’Odessa et de Kherson sur la mer Noire (sud du pays) ont été bombardés pendant l’offensive russe. « Aujourd’hui, les Ukrainiens ont d’autres problématiques que la logistique export de grains. D’ailleurs, sur la partie Mer Noire d’où sort la majorité de leur grain, nous avons une prime de risque extrêmement importante. Les ports sont quasiment à l’arrêt », explique Michel Portier au Courrier Financier. Début février, l’Ukraine disposait encore de plus de 6,3 millions de tonnes de blé tendre à exporter — un record pour la période. Entre février et mars, l’Ukraine représente en temps normal 8 % à 10 % du marché mondial.

Le prix du blé meunier a clôturé ce jeudi à un niveau record, avec un cours à 316,50 euros la tonne sur l’échéance de mars 2022 sur Euronext, rapporte l’AFP. En cause, la raréfaction de l’offre. L’attaque russe prive le marché mondial des grains d’une de ses sources principales. « Les marchés ont tout de suite réagi avec une hausse significative des matières agricoles. La demande se déplace vers l’Europe. Nous allons prendre des parts de marché aux Ukrainiens, et des sanctions vont être prises envers les Russes, qui ne pourront plus vendre leurs céréales à toutes les destinations », résume Michel Portier. La Russie est aujourd’hui le premier exportateur mondial de blé, avec 35 millions de tonnes par an.

La question du gaz russe

Mais l’ours russe dispose lui-aussi de leviers économiques. L’Europe reste très friande de son gaz. En 2020 l’Allemagne importait de Russie environ la moitié de son gaz (49 %), suivie de près par l’Italie (46 %). La France ne s’approvisionnait qu’à hauteur de 24 % par le même canal, d’après l’Agence de coopération des régulateurs de l’énergie. D’autres pays comme la Finlande (94 %) ou la Bulgarie (77 %) étaient encore plus dépendants. Rien qu’en 2021, l’Europe a importé de Russie 35 % de ses besoins en gaz ; et le pétrole russe pesait près du quart des importations européennes. « Le Brent est en train d’exploser, nous avons passé les 100 dollars par baril et le cours grimpe encore », relève Michel Portier.

L’escalade en Ukraine va garder le marché du gaz européen sous tension. Si la question des prix de l’énergie se pose, la flambée du gaz entraîne également celle des engrais minéraux — très utilisés dans le monde agricole. Un peu de chimie : ces fertilisants sont fabriqués à partir d’ammoniac, que vous obtenez en associant l’azote de l’air et l’hydrogène du gaz naturel. Avant la crise en Ukraine, le Vieux Continent importait 25 % de ses engrais de Russie. De cet élément dépend une partie des rendements agricoles européens. « Il faut s’attendre à une hausse significative de notre coût de production en blé. La souveraineté énergétique et la souveraineté alimentaire sont étroitement liées », avertit Michel Portier.

Guerre en Ukraine : quel impact sur les matières premières ?

Sanctions et spéculations

Faut-il craindre la spéculation sur les marchés ? Certes, le colza a grimpé de 100 euros la tonne dans le sillage de la flambée des huiles alimentaires (tournesol, palme, etc.). « C’est colossal » reconnaît Michel Portier, qui tempère cependant l’analyse. « Je pense à la parité euro-dollar qui a un impact sur le marché des grains. Le dollar est une valeur refuge actuellement. Dans ce contexte-là, la parité euro-dollar baisse et redonne de la compétitivité aux origines européennes en termes d’export. C’est donc un jeu d’ajustement qui se fait en permanence entre les marchés financiers et le marché des grains derrière, en sachant que le marché des grains présente une véritable corrélation avec ce qui se passe sur le marché physique », nous dit-il.

Dès ce jeudi, les Etats-Unis et l’Europe ont annoncé des sanctions économiques envers la Russie. Les Vingt-Sept ont approuvé une série de mesures ciblant les secteurs de la finance, de l’énergie et des transports. Il est question de couper la Russie du réseau interbancaire Swift, qui assure le transit d’ordres de paiement et de transferts de fonds entre banques. Si les Américains soutiennent cette idée, certains pays européens — dont l’Italie, la Hongrie et Chypre — préfèrent garder encore cet atout dans leur manche. Joe Biden entend infliger un « coût sévère à l’économie russe, à la fois immédiatement et à long terme ». De son côté, Moscou promet une réplique « sévère » aux sanctions européennes.

Mathilde Hodouin - Le Courrier Financier

Rédactrice en chef (janvier 2019 - février 2024)

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