Finance Comportementale – Opus 1/3

Asset Management - Tout au long du mois d’août, Quantology Capital Management et Le Courrier Financier vous présentent trois ouvrages de référence dans le domaine de la Finance Comportementale. Premier opus : « Thinking. Fast and Slow » (en français : « Système 1 / Système 2 : Les deux vitesses de la Pensée ») de Daniel Kahneman, publié en 2011.

En 2017, le prix Nobel d’Economie est attribué à Richard H. Thaler, professeur au MIT. Ce dernier est récompensé pour sa contribution au concept de « Nudge » ou en français « paternalisme libertarien », une théorie qui préconise l’utilisation des suggestions douces afin d’influencer des prises de décision.

Cette reconnaissance est le fruit d’un long travail sur l’étude des comportements des agents économiques, initié par feu Amos Tversky (décédé en 1996) et Daniel Kahneman, ce dernier étant le premier, en 2002, à être récompensé par un Nobel pour ses travaux sur l’influence de la psychologie en économie et dans les prises de décisions des acteurs.

L’Homme, tiraillé entre instinct et réflexion ?

L’ouvrage présenté aujourd’hui s’intéresse plus particulièrement à l’importance des stéréotypes dans nos choix. Le titre français met en avant la coexistence des deux systèmes de pensée dans le cerveau humain :

  • Le Système 1 est la partie la plus facilement et la plus rapidement accessible du cerveau. Aucun effort ni volonté de contrôle de soi n’est nécessaire pour y faire appel : il opère de façon automatique, et se rapporte à l’intuition, à l’instinct. Il est utilisé pour répondre à des demandes du quotidien : s’orienter, répondre à un calcul simple. Il est également très sensible aux émotions ;
  • Le Système 2 est beaucoup plus lent, il demande beaucoup d’énergie (le cerveau est un muscle rappelons-le !) et d’effort pour être sollicité. Il se rapporte aux questions complexes, de logique, aux problématiques de théorie d’agence, de choix ou de concentration comme répondre à un examen ou lire des noms de couleurs qui ne
    sont pas colorées dans la teinte correspondante.

Les conséquences dans notre quotidien sont multiples. En bon partisan du moindre effort, le cerveau va toujours privilégier le Système 1, économe en énergie (en consommation de glucose) : c’est la raison pour laquelle l’intuition est la première idée qui nous vient à l’esprit.

Puis vient le temps de la réflexion, plus long, plus lent, c’est le Système 2 qui nous rattrape. Notons que faire appel à lui entraîne souvent une augmentation de la température corporelle et une sudation plus importante.

Quelques exemples

Cette immédiateté du Système 1 nous rend vulnérables aux biais cognitifs qui nous influencent, et ce de façon très insidieuse. Les exemples sont légion, en voici quelques-uns :

Prenons l’exemple d’une transaction immobilière. Le choix du prix initial de mise en vente est fondamental. En effet, supposons que le même bien soit mis en vente à un prix A pour une population donnée d’un côté, et d’un autre côté mis en vente à un prix B (B très supérieur à A) pour un autre échantillon de population (indépendant du premier et qui ne communique pas avec).

La négociation se faisant toujours sur la base du prix affiché, l’acheteur discutera du prix en ayant cette référence ancrée, tout comme est ancrée dans son esprit la négociation socialement « acceptable ». Ainsi, le prix de transaction dans le groupe B sera supérieur au prix négocié dans le groupe A, alors que le prix — dans un univers rationnel — devrait être le même dans les deux cas, puisque le bien vendu est strictement le même. Le prix de transaction devrait être indépendant de la référence de départ, or la réalité montre que ce n’est pas le cas : c’est le biais d’ancrage.

Autre exemple du quotidien. Considérez deux restaurants qui proposent une carte et un cadre équivalents sur une place : l’un est vide, l’autre est plein. Comment les gens qui arrivent sur la place vont-ils se répartir ? La majorité sera rassurée de rejoindre celui qui est déjà occupé, et va donc accentuer le déséquilibre irrationnel et injustifié (si ce n’est par la
situation initiale) entre deux établissement de qualité pourtant similaire.

Une application à la finance et à la gestion d’actifs ?

De nombreux papiers académiques cherchant à expliquer la contre-performance de l’industrie de la gestion active soulignent la contribution négative de la prise de décision humaine à la performance : en clair, l’humain est gouverné par ses biais cognitifs. Cela l’induit à prendre des mauvaises décisions, ou à prendre des décisions à un moment qui
n’est pas important, ce qui revient au même. L’affect prend le dessus sur la rationalité froide, ce qui se remarque particulièrement en période de marché volatil, agité.

Cela corrobore les points importants mis en avant par Kahneman et incite à investir du temps, des équipes et des talents sur la déconstruction des processus de prise de décision dans la gestion, et de les rationnaliser au maximum en laissant le moins possible cours à l’improvisation. Il s’agit de comprendre pourquoi telle décision d’investissement est prise : quel est le rationnel derrière et d’éviter le fameux « parce que je sens le marché ».

En résumé, le livre de Daniel Kahneman est un magnifique recueil d’exemples parlants et ludiques du quotidien qui nous concernent tous.
Il met en lumière nombre de biais et nous invite à nous interroger sur ce qui guide réellement nos actions et nos choix.

Julien Messias - Quantology Capital Management

Fondateur - Gérant de fonds

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