Chine : un colosse économique et politique aux pieds d’argile

Asset Management - Les marchés financiers gardent un œil sur la situation en Chine, où la population manifeste très fortement contre la politique zéro-Covid. Comment le pouvoir à Pékin gère-t-il la crise ? Quelles perspectives pour l'économie chinoise ? Le point avec Le Courrier Financier.

Les murs de la Cité interdite se fissurent-ils ? Cette semaine, les marchés surveillent de près les manifestations en Chine. La population proteste contre la politique du zéro-Covid, après un incendie mortel survenu le 24 novembre dernier dans un immeuble confiné. Dix personnes sont décédées et neuf autres ont été blessées à Urumqi, capitale régionale du Xinjiang (nord-ouest du pays), d’après un bilan officiel. De nombreux Chinois pointent du doigt les mesures sanitaires draconiennes de Pékin, qui auraient entravé l’action des secours. Pour la Chine, c’est une situation sociale et politique inédite depuis Tian’anmen en 1989.

Les limites de la politique zéro-Covid

Assistons-nous aux derniers soubresauts de la politique zéro-Covid ? Pas sûr, avec le fort rebond du nombre de cas ces dernières semaines. En moyenne, « le pays a enregistré plus de 35 000 nouveaux cas par jour sur la semaine du 28 novembre, un rythme supérieur au pic du printemps dernier », rappelle Julien-Pierre Nouen, Directeur des études économiques et de la gestion diversifiée chez Lazard Frères Gestion. Pékin peine à contenir le virus tout en préservant l’activité économique et la stabilité sociale. « L’abandon d’un des deux objectifs semble inévitable », résume Julien-Pierre Nouen.

Face à un variant Omicron très contagieux, la population chinoise reste peu immunisée — en particulier les plus âgés. Seuls 65,8 % des Chinois de plus de 80 ans seraient aujourd’hui pleinement vaccinés, d’après Commission nationale de la santé (NHC). La Chine n’a pas encore approuvé les vaccins à ARN, pourtant réputés plus efficaces. « La politique du zéro-Covid n’est pas sans impact sur les marchés financiers : le recul des prix du pétrole en novembre est notamment lié à la perspective de nouvelles restrictions sanitaires en Chine, qui pourraient elles-mêmes peser sur la croissance mondiale », commente Pierre-Julien Nouen.

Chine : quels soubresauts économiques et politiques ?
« La politique chinoise du zéro-Covid a-t-elle atteint ses limites ? »
Source : Lazare Frères Gestion

Le rebond des actions chinoises

Le pouvoir chinois va sans doute privilégier l’économie dans les mois à venir. Les manifestations n’ont pas été réprimées aussi sévèrement que nous aurions pu le craindre. Les autorités chinoises ont annoncé des mesures d’assouplissement de la politique zéro-Covid. Les marchés actions ont interprété le message comme favorable à l’activité. Les principaux indices des actions chinoises ont regagné de 10 % à 25 % depuis les plus bas niveaux atteints après le vingtième Congrès national du Parti communiste chinois (PCC) en octobre dernier. En 2023, la croissance chinoise devrait accélérer pour atteindre 4,5 % à 5,0 %.

Une perspective rassurante, même si l’indice PMI Caixin montre que l’activité manufacturière en Chine s’est contractée au mois de novembre. « Dans un premier temps, les secteurs décotés de la technologie et des thèmes liées à la réouverture pourraient surperformer. Ensuite, il conviendra de se concentrer sur les thèmes favorisés par la politique de « prospérité commune » : certaines entreprises publiques, économie verte, santé et consommation via des marques domestiques. Par ailleurs, la hausse pourrait être alimentée par le retour des investisseurs internationaux qui semblent encore sous-pondérés en actions chinoises », expliquent Jean-Marie Mercadal et Xinghang Li, Directeur général et Managing Director chez Syncicap AM.

Chine : quels soubresauts économiques et politiques ?
Chine : quels soubresauts économiques et politiques ?

Il faut sauver le soldat de l’immobilier

L’économie chinoise est un colosse aux pieds d’argile. Son autre faiblesse, c’est l’immobilier. D’après Reuters, Pékin aurait ordonné à ses quatre banques publiques d’émettre des prêts offshore d’ici le 10 décembre prochain. Objectif, aider les promoteurs chinois à rembourser leur dette à l’étranger. Bank of China, China Construction Bank, Industrial and Commercial Bank of China et Agricultural Bank of China auraient reçu des instructions orales. Chaque banque traitera trois à quatre propositions de prêts, garantis contre les actifs des promoteurs en Chine. Les banques sélectionneront les promoteurs qu’elles financeront.

Objectif, répondre à la pénurie de liquidités qui touche le secteur. L’immobilier chinois pèse pour un quart de la deuxième économie mondiale. Ces dernières décennies, il a joué un rôle essentiel dans la croissance économique du pays. Mais en 2022, de plus en plus de promoteurs ont fait défaut sur des créances en cours à l’étranger. De quoi dissuader les investisseurs internationaux de répondre aux nouvelles émissions de dette des entreprises chinoises. Avec les fonds prêtés par les banques, les promoteurs pourront rembourser les obligations émises en dollars. Ce programme de soutien devrait ensuite s’étendre à d’autres banques. De quoi stabiliser le colosse ?

Mathilde Hodouin - Le Courrier Financier

Rédactrice en chef (janvier 2019 - février 2024)

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