L’Europe à l’heure japonaise ?

Patrimoine - Vieillissement de la population, excédents commerciaux, niveau élevé de l’épargne, taux d’intérêt faibles, etc., plusieurs signes pourraient laisser penser que la zone euro suit avec deux décennies de retard le chemin emprunté par le Japon. Néanmoins, des différences entre les deux zones économiques existent notamment sur la question de la dette publique et du retraitement de l’excès d’épargne.

Des démographies qui convergent mais avantage à l’Europe

Le Japon et l’Europe ont en commun une faible croissance démographique. Le Japon perd 300 000 habitants par an. Près de 35 % de la population aura plus de 60 ans. La population européenne devrait s’accroître à petit trot d’ici à 2040 avant de décliner. La demande intérieure reste beaucoup plus dynamique en Europe qu’au Japon du fait d’une démographie moins dégradée.

Des salaires insensibles au plein emploi

En période de plein emploi, les salaires sont censés augmenter du fait des goulets d’étranglement. Or, tel n’est pas le cas au Japon. Si en période de hausse du chômage, les salaires japonais baissent (-5 % en 2009 par rapport à 2008 pour le salaire nominal par tête avec un taux de chômage qui est passé de 3 à 6 %), quand la situation s’améliore, ceux-ci stagnent (le taux de chômage est revenu à 3 % depuis 2015 avec une progression nulle des salaires).

L’Europe suit le mouvement. La contraction du chômage qui est passé de 12 à 9 % de 2009 à 2017 ne s’accompagne pas de hausses de salaires. Leur évolution se situe entre 0 et 1 %. Même pour les pays européens qui sont en situation de plein emploi comme la République tchèque, l’Autriche ou les Pays-Bas, les salaires sont stables. La segmentation croissante du marché du travail, la concurrence des importations en provenance des pays émergents et le développement du travail indépendant (micro-entrepreneur, mini job, etc.) peuvent expliquer l’atonie des salaires.

La faible pression salariale limite les capacités de rebonds de l’inflation qui est donc de plus en plus déconnectée du taux de chômage. Ainsi, en zone euro, le taux de chômage évolue autour de 1 % depuis 2014 malgré une diminution du taux de chômage de trois points. Au Japon, le Gouvernement et la banque centrale se battent depuis plus de 20 ans contre la déflation qui perdure malgré le plein emploi.

Des excédents commerciaux de part et d’autre

Les deux régions économiques se caractérisent par de forts excédents commerciaux. La balance courante dégage un excédent de près de 4 % du PIB au sein de la zone euro et de 4,5 % du PIB au Japon. Pour relancer leur économie, zone euro et Japon ont directement ou indirectement pu compter sur la dépréciation de leur monnaie. Certes, la zone euro n’est pas homogène, les excédents trouvant leurs sources en Europe du Nord, en Allemagne et en République tchèque. Ces excédents commerciaux nourrissent l’épargne qui s’investit dans des produits sans risque.

Des dettes à foison, des similitudes mais aussi des différences

La dette publique et privée du Japon atteint près de 400 % du PIB. Elle a augmenté de près de 100 % du PIB depuis la crise de 2008. Cette hausse est imputable en grande partie à la dette publique, celle des ménages et des entreprises ayant tendance à baisser. Pour la zone euro, la hausse est moins forte. La dette totale est, en effet, passé de 220 à 255 % du PIB. Les dettes publique et privée ont augmenté au même rythme de 2008 à 2015 avant d’entamer une légère baisse.

Depuis 2002, le taux des obligations d’État japonais est inférieur à 2 %. Il est voisin de zéro depuis 2015. En Europe, les taux sont passés de 6 à 1 % en moyenne au sein de la zone euro de 2008 à 2017 avec un point bas en 2016 à moins de 1 %. Au Japon comme en zone euro, le taux directeur des banques centrales est nul.

Une différence en matière de partage des revenus

Le partage de la valeur ajoutée s’effectue au détriment des salariés au Japon. Les gains de productivité y sont redistribués au capital quand, en Europe, les salariés en captent une grande partie. Les profits après taxes, intérêts et dividendes représentent 15 % du PIB au Japon contre 13 % au sein de la zone euro. Ce partage au détriment des salariés pèse sur la demande intérieure et freine donc la croissance. L’Europe et le Japon ont indéniablement des points communs, néanmoins, l’Europe se différencie sur le plan du partage du profit et sur le mode de financement de la dette publique qui est plus internationalisée qu’au Japon. Par ailleurs, sa population continue de progresser avec un solde migratoire positif. Si les politiques monétaires sont voisines, les pratiques budgétaires diffèrent. Sous l’influence de l’Allemagne, les États européens ont, ces dernières années, réduit leurs déficits publics et ont même réussi à stabiliser le poids de la dette publique.

 

Philippe Crevel - Cercle de l'Epargne

Directeur

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