Livret A : 200e anniversaire

Patrimoine - En cette année 2018, le Livret A fête son bicentenaire. Même si le livret papier a laissé la place à une version numérisée, le Livret A a conservé ses grandes caractéristiques d’origine. En 2018, il est le produit d’épargne le plus largement diffusé. Le taux de détention par des personnes physiques était, fin 2016, de 83,4 %.

Au cours de son histoire, le Livret A a toujours donné lieu à de vifs débats centrés sur le problème de son plafond, de l’exonération fiscale dont il bénéficie et sur son mode de distribution. Plafond, exonération et distribution sont intimement liés dans le conflit qui a opposé durant près de deux cents ans le secteur bancaire traditionnel et les Caisses d’Épargne. La banalisation intervenue, il y a dix ans, aurait pu signifier la fin du produit d’épargne le plus populaire. Sa force et les symboles qu’il porte lui permettent d’engager avec sérénité son troisième siècle.

Né un jour de 1818

La volonté de développer une épargne de précaution et plus généralement la prévoyance est née juste avant la Révolution. En effet, en 1787, le banquier Étienne Delessert est le premier dirigeant de la Compagnie royale d’assurances sur la vie. Bénéficiant d’un monopole d’État, cette compagnie offre plusieurs formules d’assurance au public. Participent au conseil d’administration Condorcet, Talleyrand, Brissot et Mirabeau. Malgré de tels parrains, la compagnie fut dissoute. Elle peut néanmoins être considérée comme un des ancêtres de la Caisse d’Épargne de Paris. Ce projet resta, longtemps, lettre morte en raison des circonstances politiques de l’époque.

En pleine période révolutionnaire, l’État a besoin d’argent et a l’impérieuse nécessité de restaurer l’image des pouvoirs publics. Le principe de la création des caisses d’épargne est posé par la loi du 19 mars 1793 sur les secours publics. L’article 13 de cette loi indique « pour aider aux vues prévoyantes des citoyens qui voudraient se préparer des ressources à quelque époque que ce soit, il sera fait un établissement public sous le nom de Caisse Nationale de Prévoyance ». Il est intéressant de souligner que dès le départ, les caisses d’épargne visent à répondre à une problématique de prévoyance. Napoléon, avec la création de la Banque de France, pensa également mettre en place un système de constitution et de protection de l’épargne populaire. En effet, les premiers statuts de la Banque de France (24 nivôse an VIII) prévoyaient, dans son article 5, que cette dernière devra « ouvrir une caisse de placements et d’épargne dans laquelle toute somme au-dessus de 50 francs serait reçue pour être remboursée aux époques convenues ». Un décret pris le 3 septembre 1808 fut publié afin de préciser les modalités de fonctionnement de la Caisse mais celle-ci ne fonctionna pas réellement.

Après la Révolution et les guerres napoléoniennes qui ont mis à mal les finances publiques et l’épargne des Français, les pouvoirs publics décident de créer en 1816 la Caisse des Dépôts et Consignations afin d’assurer le financement à court terme de l’État. Louis XVIII souhaite disposer d’une banque indépendante de la Banque de France jugée trop proche de l’Ancien Empereur. La nouvelle institution bancaire utilise les consignations et les dépôts des notaires pour acheter la dette publique. En 1818, le banquier Benjamin Delessert (1773-1847), le fils de celui qui avait créé la Compagnie Royale d’Assurances, propose à Louis-Emmanuel Corvetto, ministre des Finances de Louis XVIII, d’étendre le financement de la Caisse par la création des caisses d’épargne, établissements qui auraient la charge de collecter auprès des classes moyennes émergentes leur épargne. Avant le Livret d’Épargne, il y a les Caisses d’Épargne or, la première, celle de Paris, fut créée par Ordonnance Royale du 29 juillet 1818 et reçut l’autorisation d’émettre le Livret d’épargne, le futur Livret A. Cette caisse prit le nom de Caisse d’Épargne et de Prévoyance de Paris. Furent créées après les caisses de Bordeaux et de Metz (1819), de Rouen (1820), de Marseille (1821), de Nantes, de Troyes, de Brest, du Havre, de Lyon (1822), de Reims (1823)…

En 1830, 14 caisses avaient été mises en place. Il s’agissait alors d’établissements privés ayant la forme de société anonyme. La loi de 1835 entraîna un changement de statut important pour les caisses locales d’épargne. Elles furent alors transformées en établissements d’utilité publique sous le contrôle de l’État. Les Caisses mettent alors en place un système reposant sur un Livret, un document papier, le futur Livret A, récapitulant tous les versements et les remboursements. Des transferts entre caisses étaient autorisés, ce qui annonçait la création d’un futur réseau. Le temps d’organiser l’ensemble des opérations, la Caisse d’Épargne de Paris commence réellement la distribution du Livret d’Epargne à partir du 1er octobre 1818.

Le Livret d’épargne se diffusa par la suite sur l’ensemble du territoire. Le succès du Livret d’épargne ne fut pas immédiat. Ainsi, dans l’exposé des motifs de la loi relative aux caisses d’épargne de 1844, il est écrit « l’institution des caisses d’épargne compte vingt-six années d’existence ; ses progrès furent d’abord peu sensibles ». L’exposé des motifs revient sur les raisons du peu d’empressement des investisseurs à participer à la création de nouvelles caisses d’épargne. « Les sommes déposées ne pouvant être employées qu’en l’achat de rentes sur l’État, les hommes qui, par leur fortune ou leur position sociale, auraient pu concourir avec succès à la formation de nouveaux établissements, hésitaient dans l’appréhension d’une baisse de fonds publics à engager leur responsabilité sinon pécuniaire ou du moins morale ». Face à cette réticence, les pouvoirs publics ont décidé par ordonnance du 3 juin 1829 d’autoriser « le placement des dépôts au Trésor Public et en assurant par là même leur remboursement intégral ». L’exposé des motifs souligne qu’en cinq ans, 55 nouvelles caisses furent créées. Au 31 décembre 1834, 227 caisses étaient dénombrées.

Pourquoi je m’appelle Livret A ?

Le Livret A a marqué de nombreuses générations. Avant d’être dématérialisé, le Livret A était un objet quasi sacré. Il était très souvent rangé avec précaution. Il n’était sorti que pour aller à la Caisse d’Épargne ou à la Poste. Étaient inscrits en son sein les versements et les sorties. Il était la preuve de l’effort d’économies que ses titulaires réalisaient année après année. L’histoire du Livret A est comme celle de la France tumultueuse, faite de hauts et de bas. Souvent contesté mais toujours vivant, le Livret A a réussi à conserver malgré les mutations économiques et financières de ces deux cents dernières années ses caractéristiques d’origine. Il est resté un produit d’épargne simple doté d’une garantie en capital et d’un taux fixé par avance tout en étant exonéré d’impôt sur le revenu. Il a également conservé sa grande liquidité.

Le Livret des Caisses d’Épargne devient le Livret A car, au mois d’octobre 1965, le Ministre de l’Économie et des Finances de l’époque, Valéry Giscard d’Estaing, décide la création d’un second Livret d’épargne, dénommé Livret B qui est fiscalisé. Au mois de décembre de la même année, le Journal des Caisses d’Épargne emploie alors le terme de Livret A pour désigner le produit créé en 1818 et qui bénéficie de l’exonération fiscale. Ces appellations ne se sont pas imposées immédiatement. Les responsables des Caisses d’Épargne ont également utilisé le nom de « Premier Livret » pour le livret historique et « Livret Supplémentaire » pour le Livret B. En 1972 de manière concomitante avec la création d’une direction de la communication au sein de l’Union Nationale des Caisses d’Épargne, le terme « Livret A » est privilégié. Une circulaire du 5 septembre 1973 confirme de manière définitive le changement de nom qui n’a pas été depuis remis en cause. Certes, au cours des années 70, les appellations « Livret A, », « Livret d’Épargne A » et « Livret Spécial A » pouvaient cohabiter. Les deux dernières disparaissent du vocable des Caisses d’Épargne à partir du début des années 80. Le 19 juillet 1999, la Caisse Nationale des Caisses d’Épargne dépose auprès de l’Institut National de la Propriété Intellectuelle la marque « Livret A » sans nul doute pour empêcher sa banalisation. Ce dépôt ne l’empêchera pas mais il a fallu attendre 2008.

 

Le plafond du Livret A, une affaire d’État

Depuis l’ordonnance de 1829, qui a fait de l’État le garant des sommes placées sur le Livret A, le législateur est compétent pour fixer son plafond. Les responsables des Caisses d’Épargne réclament régulièrement l’augmentation du plafond quand ceux des banques y sont plutôt hostiles. Aussi bizarre que cela puisse paraître, le plafond du Livret n’a jamais fait l’objet d’une formule d’indexation. De ce fait, tout relèvement donne lieu à des psychodrames. L’inflation après la Première Guerre mondiale et la Seconde a contraint à de fortes hausses. Le plafond du Livret d’Épargne avait été initialement fixé à 2 000 francs avec accumulation illimitée des intérêts.

Entre 1829 et 1916, son montant varie entre 1 500 et 3 000 francs avec la prise en compte ou non des intérêts. Ces changements traduisent l’âpreté des débats au sein du Parlement, traduisant l’influence des différents lobbys. Ainsi, en 1835, le plafond du Livret A fut porté à 3 000 francs mais intérêts compris. En 1845, il est abaissé à 1 500 francs (2 000 francs avec les intérêts). Par la loi du 30 juin 1851, il est à nouveau diminué à 1 000 francs intérêts compris avant d’être remonté par la loi du 9 avril 1881 à 2 000 francs. En 1895, une nouvelle baisse du plafond intervient (1 500 francs intérêts compris). En 1916, une nouvelle hausse intervient (3 000 francs). En 1919, 1925 et 1926, trois augmentations de plafond sont décidées (respectivement 5 000, 7 000 et 12 000 francs), pour ce dernier plafond, les intérêts sont admis en sus dans la limite de 1 000 euros supplémentaires.

Du fait de l’inflation constatée à l’époque, le plafond de 1926 équivaut à celui de 1916. En 1931, un amendement voté par la Chambre des députés prévoit le passage du plafond à 30 000 francs applicable à deux types de livret, un premier ordinaire et un second à débit différé (l’argent étant disponible six mois après son dépôt). Le Gouvernement avait été défavorable à cette proposition. Le quotidien « Le Temps » considérait alors que cette mesure visait non pas à développer l’épargne populaire mais à permettre les Caisses d’Épargne à se livrer des opérations bancaires. Cet amendement intervient en pleine période de crise financière qui s’est traduite par la faillite de nombreux établissements bancaires. L’activité bancaire avait été, en outre, ternie par la multiplication des scandales dont celui lié aux malversations du banquier Albert Oustric. Le Sénat, soucieux de ménager le secteur bancaire n’adopta pas le texte de la Chambre des députés et se contenta de relever le plafond à 20 000 francs. Le plafond du Livret A suit l’inflation après la Seconde Guerre mondiale. La nécessité pour l’État de collecter de l’argent pour le financement du logement social l’incite à relever régulièrement le plafond. Par ailleurs, les ressources du Livret A concourent au financement de l’État. Lors de la crise de 2008 et celle des dettes souveraines de 2011, les pouvoirs publics ont pu compter sur les fonds de ce livret en particulier pour financer leurs besoins de trésorerie.

Philippe Crevel - Cercle de l'Epargne

Directeur

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