Hausse des taux d’intérêt et dette privée en zone euro : rien à craindre si ce n’est la peur elle-même

Immobilier - Contrairement au secteur public et aux grandes entreprises, les petites entreprises et les ménages ne peuvent pas se protéger d’une hausse des taux d’intérêts en ayant recours à la dette à long terme, arrimée aux très faibles taux actuels. Pour eux, qui dépendent des prêts bancaires, l’impact est plus direct : près de 80% des prêts bancaires récemment octroyés à des entreprises ont une période initiale de fixation du taux de moins d’un an.

Un impact modéré pour la zone euro dans son ensemble… 

Contrairement au secteur public, le secteur privé a profité de ces dernières années pour réduire son niveau de dette. La dette privée en zone euro s’est en effet contractée de -16 points de pourcentage depuis son pic de 2008. Avec des taux d’intérêts très bas, les paiements d’intérêts ont fortement chuté : le ratio du service de la dette (paiements d’intérêts exprimés en pourcentage du PIB) a perdu 3,4 points de pourcentage sur la période, s’établissant à 3% du PIB en 2016. Pour rappel, il atteignait des niveaux supérieurs à 5% avant la crise. Les montants évoqués en valeur absolue sont colossaux : en 2016, le secteur privé a payé 300 milliards d’euros d’intérêts en moins qu’en 2008. En cumulé, le secteur privé européen a économisé près de 1 550 milliards d’euros sur ces 8 ans.

Cependant, dans le futur, les taux d’intérêt et les niveaux de dette devraient à nouveau croître. Cela débouchera naturellement sur une hausse du poids des intérêts de la dette pour le secteur privé. Pour autant, la charge additionnelle à supporter pour les entreprises et les ménages européens ne sera pas insurmontable. Même dans le scénario le moins favorable (normalisation accélérée), les paiements d’intérêts n’augmenteront “que” de 282 milliards d’euros en 2022 par rapport à 2016. En d’autres termes, le secteur privé devrait toujours payer moins d’intérêts en 2022 qu’en 2008, 14 ans après le boom du crédit. Dans le cas d’une normalisation très graduelle, les paiements d’intérêts devraient croître de près de 160 milliards d’euros en 2022 par rapport à 2016. Le ratio du service de la dette en zone euro devrait gagner entre 0,7 (très graduelle) et 1,6 point de pourcentage (accélérée), atteignant respectivement 3,7% ou 4,7% du PIB en 2022.

… Mais certaines poches de vulnérabilités subsistent 

Néanmoins, d’importantes disparités subsistent entre les pays de la zone euro. Les ménages portugais sont notamment sur le point d’emprunter un chemin pour le moins cahoteux. La hausse des paiements d’intérêts pourrait leur coûter jusqu’à 4 points du revenu disponible, soit un doublement du poids des intérêts de la dette (normalisation accélérée). Les entreprises italiennes, françaises et portugaises devraient aussi être plus exposées à la hausse des taux d’intérêts, pour deux raisons : les intérêts dus représentent déjà une part importante de leur excédent d’exploitation (bien au-dessus de la moyenne européenne), et la hausse attendue devrait considérablement accroître cette charge.

Cependant, même en cas de normalisation accélérée, le poids des intérêts de la dette restera inférieur au niveau de 2008 pour les entreprises françaises et italiennes. De plus, dans ces deux pays, les entreprises disposent de trésoreries conséquentes, et peuvent compter sur une reprise des chiffres d’affaires et de la profitabilité qui feront office de bouclier. Ceci n’est pas le cas pour les entreprises portugaises, qui sont confrontées à une dette élevée et qui ont moins de trésorerie.

Quid du secteur privé français ? 

En France, le secteur privé a largement profité de la faiblesse des taux d’intérêts ces dernières années. Au total, les paiements d’intérêts ont reculé de plus de 30% : le secteur privé payait 103 milliards d’euros d’intérêts en 2008, contre 67 milliards d’euros en 2016. Ce recul est encore plus prononcé en pourcentage du PIB, puisque les versements d’intérêts représentaient 5,2% du PIB français en 2008 contre 3% en 2016.  Toutefois, en cas de normalisation très graduelle, le secteur privé français paiera, en 2022, 32 milliards d’euros d’intérêts de plus qu’en 2016, et le ratio du service de la dette grimpera à 3,8% du PIB, plus ou moins en ligne avec la moyenne de la zone euro. Si pour les ménages, le poids des intérêts de la dette restera faible (inférieur à la moyenne de la zone euro), c’est pour les entreprises que la situation sera plus délicate.

Ana Boata

Economiste, spécialisée dans les prévisions économiques, le suivi des changements politiques et risques pays.

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