Le point sur la remontée de l’inflation

Asset Management - Un changement même minime peut avoir d’importantes retombées. C’est certainement le cas en ce qui concerne l’inflation et la psychologie des marchés.

Il n’y a pas si longtemps, une série de chiffres inférieurs aux prévisions faisait craindre la désinflation, donnait lieu à des avis de décès de la courbe de Phillips dans l’ensemble de la presse financière et poussait les taux à 10 ans des bons du Trésor américain à 1 point de base (pb) de 2,00%. Mais ces derniers mois, le retour (très timide) de l’inflation s’est avéré un thème sous-jacent sur l’ensemble des marchés d’actifs. Ce bulletin se penche sur les perspectives d’inflation pour le reste de l’année et leurs conséquences pour les investisseurs multi-actifs.

Avec la remontée des chiffres de l’inflation, les anticipations d’inflation fondées sur le marché ont passé le cap des 2%, gagnant 40 pb par rapport à leur point bas de mi-2017 et se rapprochant de niveaux que nous n’avions pas vus depuis mi-2014. Cela s’explique en partie par l’effet de ciseau haussier des prix du pétrole, le cours du Brent ayant brièvement atteint 70 dollars/baril ce mois-ci pour la première fois depuis trois ans (figure 1). Les actions ont elles aussi ressenti ce coup de pouce inflationniste, le panier des valeurs sensibles à l’inflation s’avérant la catégorie la plus performante sur les trois derniers mois, avec une progression deux fois supérieure aux 10% du S&P 500. La question qui se pose à présent est de savoir si cette évolution correspond à un réel changement de tendance de l’inflation ou si elle signale que les marchés sont en train de s’emballer.

L’inflation mesurée par l’IPC de base n’a gagné qu’un dixième de point de pourcentage ces derniers mois, à 1,8%, tandis que l’indice suivi par la Réserve fédérale (Fed), le « Core PCE » (indice des prix à la consommation des ménages hors énergie et alimentation), a peu progressé, passant de 1,3 à 1,5% et restant largement inférieur à l’objectif de 2%. Ces chiffres cachent toutefois un changement important de dynamique, l’inflation annualisée atteignant 2,5% sur T4 alors qu’elle était proche de zéro mi-2017. Nous hésitons à accorder trop d’importance à ce changement, car les variations de prix à très court terme sont parfois aléatoires. Nous guettons également des éléments de confirmation dans les enquêtes statistiques, mais les tendances récentes y sont moins marquées. L’enquête de l’Université du Michigan et celle de la Fed de New York font toutes deux ressortir des chiffres stables, et même si elles se sont légèrement orientées à la hausse récemment, elles restent bien à l’intérieur de la fourchette de ces dernières années (figure 2).

Le rôle du prix du pétrole 

Les économistes, les banques centrales et la plupart des investisseurs se concentrent à juste titre sur l’inflation sous-jacente. Mais comme nous l’avons laissé entendre, le prix du pétrole joue un rôle important dans l’évolution des anticipations d’inflation fondées sur le marché, qui peuvent à leur tour influencer les chiffres de l’inflation sous-jacente. Le thème du rééquilibrage domine encore largement le marché du pétrole.

Poursuivant leur récente décrue, les stocks américains de pétrole brut sont maintenant inférieurs d’env. 20% à leur point le plus haut et se rapprochent de leur niveau moyen sur cinq ans. La demande de pétrole reste forte : L’agence américaine d’information sur l’énergie (EIA) a récemment revu à la hausse ses prévisions de croissance de la production mondiale pour 2018, à 1,65 millions de barils par jour, tandis que la demande de l’Inde et de la Chine affiche une solide progression de 7% en rythme annuel. En ce qui concerne l’offre, les producteurs de schistes bitumineux continuent de dominer. Bien que les estimations de production soient en hausse aux États-Unis, il est remarquable que le nombre d’appareils de forage en activité soit resté stable depuis six mois malgré la remontée des prix de l’énergie. Cela montre que les producteurs d’énergie privilégient la rentabilité plutôt que la maximisation du chiffre d’affaires. Le marché pourrait connaître un repli des cours compte-tenu du niveau soutenu des positions à terme. Sachant toutefois que les investisseurs sont rémunérés lorsqu’ils conservent des contrats à terme en situation de déport, et que la production américaine de schistes bitumineux devrait se modérer plutôt que s’inverser (thème du rééquilibrage), les cours du Brent devraient se maintenir au dessus de la barre des 65 dollars/baril.

Chômage, salaires et inflation

Comme souvent, c’est le marché de l’emploi qui s’avère le baromètre déterminant de l’inflation sous-jacente. Bien que l’enquête NFIB1 des petites entreprises montre que le pourcentage d’entreprises prévoyant d’augmenter leurs salaires n’a été qu’une seule fois aussi élevé au cours de ses 34 ans d’histoire (en décembre 1989) et que le livre beige de la Fed fasse état d’une légère hausse des salaires, l’indicateur clé que représente la croissance moyenne du salaire horaire se maintient obstinément à 2,50%.

Les marché de taux, d’actions et de matières premières reflètent le retour de l’inflation

Figure 1 (Source : Bloomberg, J.P. Morgan Asset Management. Données en date de janvier 2018. Informations fournies àtitre purement indicatif)

Les marchés d’actifs reflètent la récente remontée de l’inflation. Les points morts d’inflation ont franchi le cap des 2% et le prix du pétrole s’est rapproché de la barre des 70 dollars/baril. Sur les trois derniers mois, l’inflation représente le panier thématique le plus performant parmi les actions. Ce panier se compose principalement de valeurs de la finance et de l’énergie. L’énergie et les matériaux bénéficient évidemment de la hausse des prix des matières premières, surtout lorsqu’elle s’accompagne d’une maîtrise des dépenses d’investissement, tandis que les valeurs financières sont favorisées par la remontée des taux courts et des actifs de meilleure qualité.

Nous pensons que le taux de chômage « naturel » a baissé en parallèle du taux de chômage « officiel », permettant ainsi à l’économie de fonctionner à un taux de capacité plus élevé que d’habitude sans générer pour autant des tensions inflationnistes plus fortes. La baisse du taux de chômage peut ainsi continuer de coexister en paix avec une hausse graduelle de l’inflation, ce qui modère les velléités de resserrement de la politique monétaire de la banque centrale. Pour la suite, nous pensons que l’inflation américaine devrait se normaliser, mais il est peu probable qu’elle dépasse de beaucoup l’objectif de 2% de manière durable : la courbe de Phillips relativement plate et l’effet désinflationniste des technologies sont deux facteurs qui limitent son potentiel de hausse.

Les acteurs du marché se demandent dans quelle mesure la tension du marché de l’emploi, le niveau élevé de confiance des entreprises et la politique de relance budgétaire vont modifier ces perspectives. Bien que limitées, les données les plus récentes indiquent que les entreprises utiliseront le produit des baisses d’impôt pour une combinaison de dépenses d’investissement, de distributions aux actionnaires et (dans le cas notamment de Wal-Mart) de hausses de salaire. Nous suivons de près la saison des résultats du 4ème trimestre pour voir si d’autres entreprises suivront l’exemple de Wal-Mart.

Implications pour les classes d’actifs

Le changement de perception des investisseurs à l’égard de l’inflation semble se justifier, mais nous ne sommes pas sûrs que l’évolution récente des points morts d’inflation se reproduise. Pour que les rendements obligataires américains augmentent de manière significative, il faudrait que la hausse de l’inflation soit suffisante dans la zone euro et au Japon pour amener la Banque centrale européenne et la Banque du Japon à changer leur politique. Bien qu’il y ait des signes d’une reprise de l’inflation dans ces deux régions, ils sont loin d’être univoques et nous ne les jugeons pas suffisants pour amener l’une ou l’autre des banques centrales à changer de politique à court terme. Les marchés actions ont tendance à faire bon accueil à une inflation modérée lorsqu’elle favorise la croissance nominale et donc les bénéfices des entreprises. La croissance stable des salaires laisse à penser que la hausse des coûts ne devrait pas encore peser sur les marges bénéficiaires des entreprises. De plus, même si la hausse des salaires devait s’accélérer, nous pensons que le levier opérationnel résultant d’un contexte de forte croissance ferait plus que compenser cette hausse des coûts. C’est la détérioration des perspectives de croissance et la baisse de la demande qui tuent les marges des entreprises, pas les coûts. Pour le moment, le faible niveau des taux d’intérêt réels et du coût du capital continuent de favoriser les actifs risqués. Tout en surveillant de près les valorisations tendues des actions et le sentiment haussier en plein essor, aucun de ces deux facteurs ne semble justifier un changement de notre position « pro-risque » qui favorise les actions au détriment des obligations et privilégie une exposition diversifiée aux actions américaines, japonaises et émergentes.

L’inflation sous-jacente a augmenté, mais les prévisions restent à l’intérieur de la fourchette récente

Figure 2 (Source : Haver Analytics, J.P. Morgan Asset Management. Données en date de janvier 2018. Informations fournies à titre purement indicatif)

Même si les taux annuels d’inflation n’affichent qu’une légère progression sur les derniers mois, l’indice annualisé de l’inflation sous-jacente sur trois mois (Core CPI) a nettement augmenté. L’avancée régulière de l’économie vers la fin de cycle conduira à une augmentation graduelle des tensions inflationnistes, mais nous hésitons à extrapoler la tendance récente des prix, notant que les prévisions d’inflation restent dans la fourchette récente et que la progression des salaires semble stable.