Brésil : l’opération Lava Jato permettra-t-elle d’assainir le paysage d’investissement ?

Asset Management - Depuis que le président brésilien Michel Temer a officiellement été accusé de corruption le mois dernier, le pays est entré dans une nouvelle période d’instabilité politique qui pourrait menacer la récente reprise économique. Les retards dans certaines réformes cruciales pourraient compromettre la reprise du pays sur le court terme, mais le Brésil connaît une révolution démocratique en termes de transparence dont nous pensons que les investisseurs peuvent se réjouir. Même si des incertitudes politiques subsistent, les réformes économiques sont en cours.

De 2004 à 2013, l’économie brésilienne a connu une période de croissance économique significative. En moyenne, le PIB a progressé de 4,5%[1] au cours de chacune de ces années, et le Brésil est devenu un marché émergent attrayant pour les investisseurs grâce à la réduction de moitié du chômage et à l’amélioration des conditions financières. En 2015, le pays a amorcé un virage économique et son PIB a diminué de 3,8% à 3,6% en 2015 et 2016 respectivement. L’inflation a doublé au cours de la même période et, en juillet 2015, la Banque centrale du Brésil a relevé ses taux à 14,25%, son plus haut niveau depuis dix ans. La faiblesse des prix des matières premières a mis l’économie sous pression, et le réal brésilien a chuté de plus de 40% par rapport au dollar américain entre janvier 2014 et septembre 2015. Cette récession économique brutale a depuis lors été exacerbée par les actuelles turbulences politiques.

 

Une économie marquée par les conflits politiques

En août 2016, Michel Temer a été élu président après la procédure de destitution de Dilma Rousseff, accusée de corruption. A mesure que le paysage politique se stabilisait, le pays a commencé à sortir de la pire récession de son histoire. L’une des priorités de la nouvelle administration Temer était de rétablir la crédibilité budgétaire et de renforcer la confiance des entreprises grâce à une série de propositions de réformes structurelles. Alors que le cercle vicieux de l’inflation et des taux directeurs élevés, parallèlement à la baisse de la croissance économique, semblait enfin se briser, le pays est resté plongé dans les nébulosités politiques, une enquête nationale sur la corruption (appelée « Lava Jato » ou « lavage express ») entrant dans sa troisième année. C’est, en termes de moyens et d’accusations, l’une des plus grandes opérations de lutte contre la corruption de l’histoire de l’Amérique latine. L’ensemble du système politique est remis en question, car rares sont les dirigeants politiques clés du pays qui en sont sortis indemnes – ce qui inclut le président lui-même.

 

Un président sur le fil du rasoir

Face aux faibles cotes de confiance et au manque de soutien au Congrès, Michel Temer pourrait avoir du mal à se maintenir au pouvoir et la probabilité de voir aboutir des réformes structurelles diminue sur le court terme. Compte tenu de la fragilité de sa position, il est peu probable que les réformes proposées par son administration soient approuvées sous leur forme actuelle – cela s’applique particulièrement aux réformes des retraites et du travail qui sont essentielles à la stabilisation de l’économie brésilienne.

Cette crise politique menace le paysage économique et pose de sérieux obstacles à la reprise, sous forme de hausse de l’inflation, des taux d’intérêt et du chômage ainsi que de la faible croissance salariale. Curieusement, contrairement à la forte correction de mai 2017 (lorsque le scandale de Michel Temer commençait à prendre forme), la réaction du marché à sa mise en accusation a été relativement timide. Les investisseurs peuvent supposer que les incertitudes politiques existantes ont déjà été prises en compte par le marché. Le réal brésilien et le Bovespa, l’indice de référence du pays, n’ont pas diminué de façon substantielle. En définitive, le Brésil connaît une révolution démocratique – alimentée par un choc de transparence – et, à long terme, nous pensons que les investisseurs peuvent être optimistes quant au changement de paradigme politique qui se dessine.

 

Stratégie d’investissement

Nous sommes optimistes concernant les fondamentaux économiques et pensons que le Brésil est incontestablement sur la voie de la récupération. Du côté des actions, la valorisation actuelle du marché brésilien est comparable à celle des autres pays émergents avec un PER de 12. Même si des incertitudes politiques subsistent, les réformes économiques sont en cours. L’inflation est tombée à 4% et la banque centrale va probablement continuer de réduire ses taux. Le réal brésilien devrait se stabiliser, même si les investisseurs doivent surveiller de près l’évolution de la crise politique. A notre avis, des opportunités existent bel et bien mais les investisseurs doivent rester sélectifs.

Après plusieurs mois d’investigations, des procès se déroulent dans tout le pays. Un changement de régime politique est clairement nécessaire au Brésil mais, en attendant, alors que l’ex-président Luiz Inácio Lula da Silva a été condamné à une peine d’emprisonnement de neuf ans et demi, son Parti des travailleurs (lui-même impliqué dans plusieurs scandales) est actuellement en tête des sondages pour les élections de 2018. Nous suivons de près les progrès de la campagne électorale et, bien entendu, son résultat, car le nouveau dirigeant jouera un rôle clé dans l’avenir économique du Brésil. Certes, la situation actuelle a de quoi inquiéter les investisseurs mais l’évolution du système politique pourrait être une étape nécessaire et positive vers une économie plus efficace. De nombreux scénarios sont possibles, avec deux principales préoccupations. La plus importante est de savoir si le Brésil garantira l’indispensable viabilité budgétaire. La deuxième, moins importante, concerne l’avenir politique de Michel Temer. Une élection présidentielle rapide avant la fin de son mandat en 2018 semble le scénario le plus plausible – mais, en fin de compte, tout renouveau de l’ordre politique entraînera un progrès de l’économie. La devise nationale et devise du positivisme « Ordem e Progresso » semble aujourd’hui plus appropriée que jamais.

Stéphane Monier

Responsable des investissements

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