La Réserve fédérale américaine aurait-elle pris du retard ?

Asset Management - Le marché sous-estime le risque que la Fed resserre les taux plus vite que prévu

La Réserve fédérale (la Fed) a relevé les taux d’intérêt le 15 mars dernier, troisième hausse seulement depuis la crise financière mondiale. Encouragé par l’inflation globale proche de son objectif de deux pour cent, une croissance plus robuste et de meilleures conditions sur le marché du travail, le Comité fédéral de « l’Open market » a décidé de relever la fourchette cible des taux des fonds fédéraux entre 0,75 et 1 pour cent1.

Pour autant, la banque centrale a indiqué qu’il n’y avait aucune urgence à accélérer le rythme de ce resserrement par rapport à ses prévisions moyennes de décembre de trois hausses de taux dans l’année. Une posture qui a semble-t-il déçu quelques acteurs du marché à en juger par la réponse immédiate du marché des bons du Trésor, dont les rendements à dix ans ont reculé à 2,5 pour cent le 15 mars au soir après avoir culminé aux alentours de 2,61% la veille2.

Comme la Fed, le marché s’attend principalement à des hausses de taux de trois-quarts de point en 2017. Quoiqu’il en soit, les plans de relance budgétaire de la nouvelle administration, le dynamisme des bourses et les prochaines élections en Europe sont autant de risques susceptibles de troubler les futures décisions en matière de politique monétaire. Après des hausses de taux plus tardives que prévu en 2015 et en 2016, le marché ne sous-estimerait-il pas le risque que la Fed ne parvienne pas à resserrer les taux suffisamment vite pour éviter une poussée inflationniste ?

Michael Grady, économiste sénior et stratégiste chez Aviva Investors, nous livre quelques éléments de réponse.

 La Fed va-t-elle respecter son objectif de trois hausses en 2017 ?

MG : Nous continuons d’anticiper, comme depuis le début de l’année, trois hausses de taux en 2017. Nous avions pensé que la première hausse de 2017 se produirait en mai ou en juin plutôt qu’en mars.

Cette première hausse de l’année est arrivée plus tôt que prévu en raison de baromètres économiques toujours au vert aux États-Unis. Les bons chiffres, à des niveaux étonnamment élevés, attestent d’une vigueur généralisée. À eux seuls, ces indicateurs n’auraient probablement pas été suffisants pour justifier une hausse en mars. Mais, étant donné que les baromètres de la croissance mondiale sont également remontés, les risques baissiers qu’elle comportait ont considérablement reculé si l’on considère la stabilisation de la croissance chinoise et de données plus positives en provenance d’Europe et des marchés émergents.

Les signes d’un renforcement de la croissance aux États-Unis mais aussi à l’étranger semblent avoir suffi à convaincre de nombreux responsables de la Fed. En effet, si tout le monde s’accorde sur trois hausses de taux dans l’année, les prévisions semblent désormais pencher vers davantage de hausses.

La hausse du mois de mars a-t-elle modifié les prévisions du marché concernant le rythme du resserrement de la politique monétaire ?

MG : La probabilité d’une hausse s’est rapidement répandue en ce début de mois de mars compte tenu des déclarations de certains décideurs politiques américains. Le marché table sur des taux, à un peu moins de trois hausses de taux en 2017, largement conformes aux attentes de la Fed ; c’est la première fois depuis très longtemps que les marchés rejoignent les fameux « graphiques à points » de la Fed.

Pour autant, l’année prochaine, les marchés n’anticipent qu’une ou deux hausses au lieu de trois ou quatre. C’est plus à ce moment-là que nous prévoyons un réajustement des anticipations sur les taux, étant donné notamment qu’une plus grande certitude entourera le train de mesures de relance budgétaire qui aura éventuellement été mis en place par l’administration Trump. En effet, une visibilité relativement dégagée sur un train de mesures de relance productives d’ici juin 2017 pourrait nous faire tabler sur trois hausses, voire plus, en 2018.

Ce récent regain de confiance aux États-Unis est-il animé par l’économie plus que par le Président Trump ?

MG : Difficile de dissocier les deux. Les conditions financières – cours boursiers et taux d’emprunt – n’ont jamais été aussi favorables aux ménages et aux entreprises. Donald Trump semble avoir eu plus d’effet sur le moral des entreprises que sur celui des ménages.

Les enquêtes auprès des petites entreprises ont fait état d’un rebond significatif après les élections de novembre et d’une confiance qui demeure élevée, les trois études mensuelles de la « National Federation of Independent Business » jusqu’en février affichant des niveaux record3. Les petites entreprises sont confortées par la perspective de réductions d’impôts et d’un assouplissement des obligations règlementaires. Le bon moral côté consommateurs – l’Indice de confiance des consommateurs en février était à son niveau le plus haut depuis juillet 20014 – est dû à la croissance du revenu réel l’année dernière, soutenue par un marché du travail robuste qui se renforce et peut-être par la perspective de la baisse de l’impôt sur les revenus.

Les salaires réels vont-ils continuer d’augmenter ?

MG : La croissance du salaire réel a été modérée étant donné la hausse de l’inflation. L’inflation de base dépasse aujourd’hui les deux pour cent. L’inflation était quasi nulle il y a douze mois, ce qui a été profitable à la croissance du salaire réel. La croissance du salaire nominal devrait dans les prochains mois continuer de progresser régulièrement, l’inflation de base devant effectivement retomber légèrement d’ici la fin de l’année. La croissance du salaire réel devrait donc être légèrement meilleure qu’aujourd’hui.

L’économie américaine peut-elle supporter trois hausses de taux cette année ?

MG : Le problème est d’ajuster les taux au niveau le plus adapté à l’économie et à la Fed pour qu’elle puisse remplir sa mission. La Fed poursuit sa politique accommodante, et la cadence des hausses de taux devrait être suffisamment lente pour que le resserrement des conditions financières nationales reste modeste. Même après la hausse de mars, les conditions semblent réellement plus apaisées qu’elles ne l’étaient lorsque la banque centrale a relevé les taux en décembre étant donné l’affaiblissement du dollar et la hausse des cours bousiers.

Est-ce que la Fed est déjà en retard et quelles implications ce retard pourrait avoir restent deux grandes interrogations. Je ne crois pas que la Fed soit très en retard car l’inflation sous-jacente ne devrait pas considérablement dépasser son objectif d’ici un an ou plus. Mais, dans la pratique, avec une inflation déjà près de l’objectif et une économie proche du plein emploi, il est difficile de défendre des taux directeurs qui impliquent des taux d’intérêt réels largement négatifs.

Nul doute que le rythme du resserrement monétaire fera l’objet d’un intérêt plus vif si la relance budgétaire produit des résultats significatifs d’ici fin 2017.

La Fed a-t-elle intégré les plans de relance budgétaire promis par le Président Trump ?

MG : Avec probablement à l’esprit d’éventuelles mesures budgétaires, la Fed avait pour priorité en mars l’économie américaine. Il est encore trop tôt pour que la Fed intègre dans sa décision relative aux taux d’intérêt des dépenses publiques plus importantes.

Ni le discours de Donald Trump devant le Congrès le 28 février dernier, ni le « maigre budget » présenté par la Maison blanche le 16 mars, n’ont laissé paraître le moindre signe d’une possible relance budgétaire. En effet, la première priorité des Républicains sera de faire adopter leur projet de remplacement de l’« Obamacare », loi américaine encadrant la couverture des dépenses de santé, à la Chambre des Représentants et au Sénat. En attendant d’avoir plus de clarté sur ce point, il ne devrait pas y avoir davantage de visibilité en ce qui concerne les initiatives fiscales.

Aucune relance budgétaire ne devrait être introduite avant la toute fin d’année ni en 2018. Si certains postes du budget sont communiqués en amont et largement médiatisés, la demande des consommateurs et les décisions d’investissement des entreprises peuvent déjà être mises en œuvre en anticipation du changement. Le moral des ménages et des entreprises culmine à ses plus hauts d’après crise. Incontestablement, les décisions d’investissement anticipent déjà des dépenses publiques additionnelles. Toutefois, les entreprises ne peuvent prendre de telles décisions que dans la limite du crédit disponible.

Quelles conséquences à un dollar plus fort ?

MG : En supposant que la Fed relève les taux trois fois en 2017, le marché pourrait anticiper trois nouvelles hausses en 2018 ou six hausses les deux prochaines années, ce qui est plus que les estimations actuelles. Si ce scénario se concrétise, le dollar devrait être bien soutenu durant les douze prochains mois.

Historiquement, quand la Fed s’inquiète d’un dollar fort, c’est généralement à l’aune d’un contexte international et non purement américain et également d’un contexte de devises étrangères faibles. Cette fois, les hausses de taux d’intérêt s’inscriraient plus clairement en réponse à une forte croissance nationale et à un marché du travail dynamique.

Ceci étant dit, il convient de nuancer le raisonnement pour ce qui est du dollar. Si le dollar augmentait disons de 10 % l’année prochaine, le rythme des hausses de taux serait à coup sûr plus prudent.

Le dollar va-t-il profiter des divergences croissantes de politique entre banques centrales ?

MG : La reprise conjoncturelle en Europe est bienvenue mais elle ne suffit pas à garantir un resserrement de la politique monétaire en zone euro cette année. Contrairement à ces dernières années, la probabilité que la Banque centrale européenne commence à progressivement diminuer ses achats (voire même à augmenter les taux) semble pencher davantage pour cette année, mais nous restons sur notre prévision initiale d’une diminution graduelle  des achats d’actifs qui démarrerait en 2018.

Au Japon, l’inflation reste bien en deçà de l’objectif de la Banque du Japon qui ne devrait pas toucher à sa courbe des taux cible ni relever les taux à court terme.

Dans ces conditions, le dollar ne semble pas mal évalué. Pour autant, si les perspectives s’écartaient du consensus, l’orientation des prévisions indiquerait d’où pourraient provenir les pressions sur le dollar dans le courant de l’année. Nous pourrions tout aussi bien prévoir une appréciation de l’euro ou une décision surprise de politique monétaire qu’une accélération du rythme des hausses de la Fed en 2017. Le dollar ne risque donc pas de s’apprécier trop fortement face à l’euro. S’agissant du yen, le risque d’une plus grande divergence de politique joue en faveur d’un dollar plus fort, peu de signes suggérant un changement important de perspectives concernant l’économie japonaise à moyen terme.

La Rédaction - Le Courrier Financier

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