L’Europe fédérale, un mot tabou mais une solution incontournable ?

Asset Management - L’Allemagne se distingue des autres pays de la zone euro par l’importance de son industrie, ses excédents commerciaux et sa préférence faible pour le présent. Contrairement à quelques idées reçues, l’Allemagne accroît ses ventes au sein de l’Europe. En 2016, les exportations allemandes à destination de l’Europe ont, en effet, progressé de 1,8 % et de 2,8 % avec les autres pays européens (je ne comprends pas 1,8% ou 2,8% ?). Le taux d’épargne en Allemagne est de plus de 10 % quand la moyenne européenne avoisine 5 %.

L’Allemagne a développé son économie autour de l’industrie en privilégiant le haut de gamme. Ce dernier concerne plus de 45 % de la production allemande. Par ailleurs, pour améliorer leurs marges, les entreprises d’outre-rhin recourent plus que leurs homologues européennes à une sous-traitance en provenance des pays à bas coûts. Les importations allemandes de biens intermédiaires sont deux fois plus importantes que celles de la France. Le positionnement des produits allemands leur permet d’être relativement insensibles aux variations des coûts de production à la différence de ceux de leurs concurrents français, espagnols ou italiens (élasticité prix).

Les autres pays d’Europe, surtout ceux de l’Europe du Sud, se caractérisent de leur côté par une forte préférence pour le présent avec des taux d’épargne faible, des processus de désindustrialisation rapide et, en conséquence, par de forts déficits commerciaux. Cette situation est, en partie, à l’origine de la crise des dettes publiques qui a frappé l’Europe à compter de 2011. Pour lutter contre ces déséquilibres, la solution mise en œuvre depuis sept ans repose sur la restauration de la compétitivité des pays d’Europe du Sud. Ces derniers ont, tout à la fois, dû réduire leur déficit public, et peser sur leurs coûts salariaux.

À ce petit jeu, l’Espagne s’en est le mieux sortie au prix néanmoins d’un chômage qui a atteint 25 % en 2014. Néanmoins, le système n’est pas optimal. En effet, la restauration de l’équilibre au sein de la zone passe par une diminution de la demande intérieure ce qui, par définition, réduit la croissance et détériore la situation de l’emploi.

L’Allemagne qui dépend de l’Union européenne pour ses exportations à plus de 60 % est la première victime du ralentissement de la consommation. Elle ne peut pas compter sur les consommateurs allemands pour prendre le relais, ceux-ci préférant épargner. De ce fait, malgré des excédents importants, la croissance allemande ne diffère guère de la moyenne européenne.

Si la zone euro était un État fédéral, les transferts de revenus de l’Allemagne vers les autres pays de la zone euro équilibreraient les balances courantes. Ces transferts pourraient prendre la forme de prestations sociales communautarisées, de transferts fiscaux sous forme de dotations, de subventions ou de transferts de capitaux (investissements, achats de titres). Or, depuis la crise financière de 2008 et celle des dettes souveraines de 2011, le marché financier européen s’est « renationalisé ». Il n’y a plus un marché européen des dettes mais des marchés nationaux. Les Italiens acquièrent des titres italiens et les Allemands des titres allemands. Le seul acteur fédéral dans ce système est la Banque centrale européenne.

L’Allemagne n’a pas un intérêt direct à avancer vers le fédéralisme européen. Les taux d’intérêt augmenteraient et les transferts s’effectueraient, du moins dans un premier temps, au profit des résidents du Sud. En revanche, un tel système assurerait la pérennité de la zone euro et augmenterait son taux de croissance.

Comment pourrait s’organiser un fédéralisme européen ?

Afin de réaliser des transferts réguliers et efficaces, la mise en place à l’échelle européenne de prestations sociales serait la meilleure solution. Si la couverture chômage était européenne, les pays connaissant le plein emploi, comme l’Allemagne ou la République tchèque, financeraient les indemnités des pays connaissant un fort taux de chômage. Il faudrait évidemment au préalable définir le montant des prestations et les taux de cotisations qui seraient communs aux différents États. Au lieu de relever socialement de leur pays d’origine ou de celui d’accueil, les travailleurs détachés pourraient être rattachés à une caisse européenne qui collecterait les cotisations et qui verserait les prestations. En appliquant des taux moyens, cette solution limiterait, en outre, le recours aux travailleurs détachés.

Parmi les outils souvent cités, figurent les euro-bonds avec, à la clef, la création d’une direction du Trésor européenne. La création de titres européens mutualisés permettrait de surmonter la segmentation du marché financier. Une telle avancée aboutirait à un important transfert de souveraineté. La levée de l’impôt, les émissions de titres constituent des prérogatives clefs des États modernes.

L’accroissement du budget européen avec l’instauration de fonds d’actions structurelles et conjoncturelles constitue également un des moyens pour atténuer les déséquilibres. Actuellement, le budget européen est avant tout un budget agricole et un budget en faveur des régions de l’Europe de l’Est. La mise en place de programmes d’investissement axés sur les infrastructures ou sur les nouvelles technologies est demandée depuis des années mais, à l’exception du plan Juncker, ces programmes sont restés lettre morte. Par ailleurs, pour lutter contre les chocs asymétriques, l’Europe devrait disposer de ressources mobilisables rapidement. Des États ou des régions touchés par une crise devraient pouvoir compter sur des aides européennes. L’octroi de prêts à taux zéro, le versement d’aides afin de financer de manière temporaire certaines prestations ou dépenses publiques (aides à la fermeture d’entreprises en faillite, financement de reconversion, de formation, etc.) pourraient être étudiés.

Le fédéralisme n’est pas à sens unique. Cela signifie que les États bénéficiaires des largesses de l’échelon européen rendraient des comptes. Les aides, les dotations, les subventions, les transferts seraient conditionnés. Aujourd’hui, peu d’États européens sont disposés à perdre une part significative de leur souveraineté. Les États du Nord ont peur d’être amenés à financer les États « laxistes » du Sud. Le système de négociation étatique qui prévaut depuis la création de l’euro, à défaut d’être économiquement satisfaisant, agrée les dirigeants de la très grande majorité des États membres. Emmanuel Macron a, certes, avancé l’idée de l’instauration d’une plus grande solidarité au sein de la zone euro qui aujourd’hui n’existe pas officiellement. Elle n’est qu’une émanation formelle de l’Union.

Philippe Crevel - Cercle de l'Epargne

Directeur

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